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Tour de cartes purement mathématique

Bonsoir,

Je ne sais pas si ce sujet a sa place dans "Combinatoire et graphes", quoiqu'il en soit la propriété suivante est plaisante, et même très étonnante car contre-intuitive quant on la découvre (ce qui fut mon cas) à travers ses applications ludiques :

Considérons une suite finie A[small]i[/small], [small]i =1,...,PK[/small], P et K étant deux entiers > 1.

On "coupe" la suite en deux sous-suites : A[small]i[/small], [small]i=1,...,N[/small] et A[small]i[/small], [small]i=N+1,...,PK[/small], N étant un entier tel que 0<N<PK.

On réindexe la seconde sous-suite en inversant l'ordre des termes, i.e. on construit :

B[small]i[/small] = A[small](PK-i+1), i=1,...,PK-N[/small].

Maintenant on passe à une étape dont la formulation mathématique est possible mais un peu lourde, aussi je l'exprime en termes intuitifs :

On suppose que les deux suites ainsi obtenues sont "concrétisées" par des cartes à jouer et on les mélange "comme dans les films" : un paquet dans chaque main, défilement des cartes avec les pouces et imbrication des deux paquets.

On peut aussi étaler à plat sur une table les deux suites (ou paquets de cartes) en deux colonnes parallèles et les imbriquer délicatement.

Vous allez peut-être penser que cette manipulation introduit le plus parfait désordre dans l'ordre des termes de la suite initiale (c'est ce que j'ai pensé moi aussi au début, je ne voulais pas y croire).

Eh bien, pas tout à fait, car on obtient une suite C[small]i, i=1,...,PK[/small] telle que :

Pour tout j entier dans [0, K-1], l'application f[small]j[/small] qui à m dans {0,...,P-1} associe la valeur modulo P de l'entier n tel que
C[small](jP+m+1)[/small] = A[small]n[/small] est une permutation de {0,...,P-1}.

Autrement dit, quel que soit le mélange effectué (sous réserve du respect du mode opératoire), il y a quelque chose d'invariant !

A noter que la permutation f[small]j[/small] peut varier lorsque j varie, sinon ce serait trop beau.

En fait, j'ai pris connaissance de cette propriété à travers des articles sur un certain type de tour de cartes, donc sous une forme non mathématique au départ.
Le premier effet de surprise passé, j'ai compris pourquoi ça fonctionne, et je vous laisse le plaisir de le découvrir par vous-mêmes, ainsi que d'en imaginer des applications "prestidigitatives".
Par la suite, j'ai commencé à rédiger une démonstration, mais j'ai laissé tomber car je trouvais que ça nécessitait des notations trop lourdes (formalisation du mélange des cartes).

Réponses

  • Bonjour,

    Je suis moi même passionné de magie depuis plusieurs années (je donne même des cours au collège dans le cadre de l'accompagnement éducatif !), je connais plutôt bien le principe de Gilbreath. J'ai d'ailleurs expliqué plusieurs tours à mes élèves utilisant ce principe.

    Voici quelque chose qui pourrait t'intéresser : Le principe de Gilbreath de Richard Vollmer (Magie uniquement).
    La littérature française en magie n'est pas aussi intéressante que la littérature américaine/anglaise. Il existe évidemment des tas de livres qui parlent de tours faisant intervenir le principe de Gilbreath.
    Le plus intéressant, à mon avis (pour ce qui t'intéresse), est le livre Magical Mathematics de Persi Diaconis et Ron Graham. Ce livre n'est pas très difficile à trouver et ne coûte pas très cher.
    Il y a un chapitre sur le principe de Gilbreath, dans lequel il y a une petite partie mathématique avec la preuve du principe. La difficulté réside dans la formalisation du problème. En fait, on peut le faire avec des outils d'un niveau assez élémentaire, disons des outils de sup/L1 : permutations, congruences. Il y a aussi une jolie explication qui montre comment ce principe est relié à l'ensemble de Mandelbrot
    Une petite remarque est faite que je trouve intéressante : Les auteurs disent que D.E Knuth a utilisé le principe de Gilbreath dans TAOCP pour fusionner deux fichiers sans conflit ! J'avais déjà cherché cela, mais je ne me souviens plus dans quel tome cela se trouve.

    Magicalement,
    Philippe
  • Merci pour ces indications.

    En effet, il s'agit bien du principe de Gilbreath (qui l'avait découvert il me semble sous une forme plus faible : P=2 en se référant à mon exposé, avec commme application le tour "magnetic colors"), mais je ne l'ai pas précisé volontairement pour laisser travailler l'imagination des lecteurs.
    Curieusement, j'ai découvert cela en m'intéressant aux nombres premiers et en tombant sur la conjecture de Proth-Gilbreath, qui n'a rien à voir.

    Je ne suis pas passionné de prestidigitation, mais lorsque des tours s'appuient uniquement sur de la logique, sans escamotage nécessitant une incroyable habileté manuelle, alors là je suis preneur, et c'est le cas avec le principe de Gilbreath.

    J'ai modestement "inventé" un tour s'appuyant sur ce principe :

    Je montre au spectateur un jeu de 52 cartes faces découvertes et je lui fais constater qu'il est tout à fait normal (ce qui est rigoureusement vrai en ce sens que ce sont exactement les cartes d'un jeu de 52 acheté au supermarché).
    Je lui explique que les figures (rois, dames, valets) on décidé de se partager les autres cartes pour ne plus avoir à guerroyer, mais qu'auparavant elles ont évincé les as qui n'étaient pas d'accord.
    Je lui demande d'ôter lui-même les 4 as, restent 48 cartes.
    Je lui demande de couper, je trouve un prétexte pour intervertir l'ordre d'un des paquets et je lui demande de mélanger lui-même.
    En distribuant les cartes par groupes de 4, on constate qu'il y a une et une seule figure dans chaque groupe, ce qui montre qu'elles se sont effectivement partagé le territoire.
    N.B. : 3 méthodes pour intervertir avant mélange l'ordre d'un des paquets, dont l'une liée à la méthode de mélange : "distribuer" sur la table en un seul paquet le paquet dont on veut intervertir l'ordre, ou bien retourner d'un seul tenant le paquet en question faces découvertes (rapide mais pas très élégant à mon avis), ou bien former deux colonnes adjacentes en étalant sur la table chacun des paquets, mais en étalant l'un de bas en haut et l'autre de haut en bas, ce qui rend l'imbrication des deux colonnes délicate, attention aux collisions et aux cartes qui sautent !

    Franchement, je trouve le tour 'magnetic colors" plus spectaculaire et sobre, du vrai travail de pro.
  • Bon alors, comme ce n'est pas trop long, je reprends un peu ce qui est dit dans le livre que j'ai cité plus haut.
    Je t'énonce le théorème et te laisse bosser un peu dessus.

    Soit $N$ un nombre entier naturel non nul et $j$ un nombre entier compris entre $1$ et $N$.
    Le fait de distribuer les $j$ premières cartes du dessus d'un jeu de $N$ cartes sur la table, les unes sur les autres, et d'effectuer un mélange à effeuillage (riffle shuffle) des deux paquets ainsi formés (les $j$ cartes posées et le paquet des $N-j$ cartes restantes) s'appelle un mélange de Gilbreath.
    Si l'on numérote les cartes de haut en bas de $1$ à $N$ et qu'on note $\pi$ la permutation de $[\![1,N]\!]$ ainsi obtenue après un seul mélange de Gilbreath, on dit que $\pi$ est une permutation de Gilbreath. ($\pi(k)$ désigne la $k$-ième carte en partant du haut du paquet obtenu pour tout $k$).
    On peut démontrer qu'il y a $2^{N-1}$ telles permutations (facile).

    Voici maintenant le théorème que l'on peut démontrer, appelé "Principe Ultime de Gilbreath" :

    Pour une permutation $\pi$ de $[\![1,N]\!]$, les conditions suivantes sont équivalentes :

    $(i)$ $\pi$ est une permutation de Gilbreath.
    $(ii)$ Pour tout $j$, les nombres $\pi(k),\ k\in[\![1,j]\!]$ sont distincts modulo $j$.
    $(iii)$ Pour tout $j$ et $k$ tels que $jk\leq N$, les nombres $\pi((k-1)j+l),\ l\in[\![1,j]\!]$ sont distincts modulo $j$.
    $(iv)$ Pour tout $j$, l'ensemble $\pi\left([\![1,j]\!]\right)$ est constitué de $j$ nombres entiers consécutifs.


    Je te laisse interpréter ces diverses conditions d'un point de vue magique et faire la démonstration ce théorème.

    Voilà une petite version de magnetic colors que j'ai apprise à mes élèves :
    On prend un nombre pairs de cartes (16 me semble raisonnable, 12 peut suffire), la moitié noire et la moitié rouge, que l'on arrange "façon Gilbreath" : On alterne les rouges et les noires jusqu'à la moitié, puis on répète la même couleur et on continue d'alterner.
    Donc : $RNRNRNRNNRNRNRNR$ ou $NRNRNRNRRNRNRNRN$
    "Je vais prendre quelques cartes dans le jeu, seize cartes pour être précis, mais c'est vous qui allez les mélanger"
    On pose les deux moitiés de huit cartes côte à côte, et on demande à la personne de les mélanger de cette façon :
    "Prenez des cartes successivement d'un paquet et de l'autre, une par une, et formez une seule pile. Vous pouvez bien sûr prendre deux fois une carte du même paquet".
    Le spectateur s'exécute, une fois qu'il a terminé, le magicien reprend le paquet et distribue les cartes en deux paquets (en alternant une carte d'un côté et de l'autre) : "Je vais maintenant faire deux paquets de cartes et on va jouer à une sorte de bataille."
    Une fois les cartes distribuées : "Choisissez le paquet que vous voulez".
    On explique ensuite au spectateur les règles : "C'est une version simplifiée de la bataille. C'est vous qui allez choisir les règles : Soit vous choisissez de gagner en ayant deux couleurs distinctes, donc une carte rouge et une carte noire, soit vous choisissez de gagner en ayant deux cartes de la même couleur, donc deux cartes rouges ou deux cartes noires". (J'ai remarqué que les gens choisissent plus souvent les couleurs distinctes, mais peu importe. Une fois j'ai insisté plus lourdement sur le fait qu'il y avait "deux cas possibles" pour gagner avec la même couleur, et la personne l'a choisi).
    Peu importe le choix, le résultat est aussi magique dans les deux cas. Quand le spectateur choisit de gagner avec deux couleurs différentes, il gagne tous les plis, sinon c'est le magicien qui gagne. Le spectateur et le magicien tourne alors les cartes une par une en les prenant du haut du paquet, et le spectateur se demande alors comment il est possible qu'il ait tout gagné (ou tout perdu) alors que vous lui avez fait faire les mélanges et deux choix.
    Le tour est simple, mais accessible à des sixièmes et cinquièmes qui n'y connaissent rien ! J'en connais d'autres plus percutants, bien sûr ;)
  • "J'en connais d'autres plus percutants, bien sûr"

    Je veux! Ca a l'air rigolo ces histoires :)
  • En voici un autre, utilisant de nouveau le "Principe Ultime de Gilbreath".
    On prend un paquet de 52 cartes, et on arrange les cartes sans tenir compte des couleurs de manière à avoir une série complète, dans un ordre quelconque. Par exemple : R-9-7-D-5-10-6-3-A-V-4-2-8
    On répète donc une deuxième fois ce motif : R-9-7-D-5-10-6-3-A-V-4-2-8 R-9-7-D-5-10-6-3-A-V-4-2-8
    Cela correspond à la moitié du jeu. Ensuite, on arrange les cartes dans le sens contraire de manière à obtenir un mélange de Gilbreath au moment de couper le jeu en deux et de faire un mélange à effeuillage.
    Cela donne donc ceci :
    R-9-7-D-5-10-6-3-A-V-4-2-8 R-9-7-D-5-10-6-3-A-V-4-2-8 8-2-4-V-A-3-6-10-5-D-7-9-R 8-2-4-V-A-3-6-10-5-D-7-9-R
    C'est bien ce que l'on obtiendrait si l'on partait de :
    R-9-7-D-5-10-6-3-A-V-4-2-8 R-9-7-D-5-10-6-3-A-V-4-2-8 R-9-7-D-5-10-6-3-A-V-4-2-8 R-9-7-D-5-10-6-3-A-V-4-2-8
    en distribuant les 26 premières cartes sur la table et en remettant le paquet obtenu sur le paquet de départ.
    D'après le $(iii)$ du P.U. de Gilbreath, après un mélange des deux paquets obtenus (donc deux paquets de 26 cartes),
    on obtient (prendre $j=13$) quatre paquets de 13 cartes dans lesquels on retrouve des cartes avec 13 positions de départ distinctes modulo 13, ce qui revient à dire que les 13 cartes ont des valeurs distinctes (avec des couleurs mélangées). Un exemple de tour utilisant ce fait :
    On arrange le jeu comme ci-dessus. On commence par faire quelques faux mélanges et ou fausses coupes tout en expliquant le tour : En fait il s'agit plus d'un exemple de prouesse de mémorisation qu'un tour.
    On coupe le jeu exactement en deux, et on tend les deux paquets obtenus au spectateur en demandant de les mélanger. Il ne faut évidemment faire qu'un seul mélange !
    Ensuite, on demande au spectateur de distribuer les treize premières cartes sur la table, faces contre table. Le magicien explique alors au spectateur qu'il va mémoriser les valeurs des cartes (mais pas les couleurs). Le magicien prend alors les cartes dans ses mains et fait un petit éventail tout en donnant l'impression de mémoriser. Il suffit de compter quelques secondes dans sa tête puis de les reposer en disant au spectateur que les cartes sont mémorisées.
    Les cartes sont alors déposées sur la table, face vers le bas, et mélangées par le spectateur (en les dispersant sur la table). On lui demande alors d'en tirer une. Le magicien récupère alors toutes les cartes restantes, les regarde quelques secondes, puis donne la valeur de la carte manquante, prouvant qu'il a bien mémorisé les valeurs.
    On demande de nouveau de distribuer 13 cartes, et on répète la même chose en demandant au spectateur de retirer deux cartes. Evidemment, ce n'est pas plus difficile !
    Pour le final, on demande au spectateur de distribuer 13 cartes, mais après avoir posé quelques cartes, on lui dit alors "En fait, on va utiliser les 26 cartes restantes... Etant donné que j'ai déjà mémorisé les valeurs des cartes précédentes, je connais bien entendu les valeurs de celles qui restent. Je n'ai donc pas besoin de les regarder !". Le spectateur disperse alors les 26 cartes restantes sur la table et le magicien lui demande de retirer 5 cartes. Le magicien récupère alors les 21 cartes restantes, et après quelques secondes de réflexion (c'est un peu plus long bien sûr), il peut lui annoncer les valeurs des 5 cartes qui ont été prélevées (d'une traite, avec un peu d'entraînement). Dans cette dernière étape, il faut faire attention au fait qu'il puisse y avoir deux cartes de la même valeur qui ont été prélevées.

    Voilà un petit tour facile à faire (on peut se passer des faux mélanges au départ) et qui peut impressionner pas mal de gens !
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