La consistance de ZFA

Bonjour à tous,

Une fois de plus je suis em…bêté. Je travaille actuellement sur ZFA, Zermelo-Fraenkel with Atoms. Le langage comporte un prédicat unaire additionnel At, où on interprète $At(x)$ par "$x$ est un atome". Chose qui surprendra tout le monde, on définit aussi le prédicat set par

$$set(x) \equiv_{df} \neg At(x).$$

Dès l'instant qu'il y a au moins un atome l'axiome d'extensionnalité sous sa forme usuelle devient faux, puisque l'atome a les mêmes éléments que $\emptyset$, i.e. aucun. On doit donc modifier les axiomes comme suit.

Axiome d'extensionnalité faible :

$$\forall x \forall y [(set(x) \land set(y) \land \forall z (z \in x \Leftrightarrow z \in y)) \Rightarrow x=y].$$

Axiome de l'ensemble vide : $\exists x [set(x) \land \forall y (y \notin x)]$.

On a également besoin d'un axiome qui dit que les atomes sont vides.

Axiome des atomes : $\forall a [At(a) \Rightarrow \forall x (x \notin a)]$.

Dans certains cas il est opportun de supposer l'existence d'un ensemble d'atomes, ce qu'on appellera l'"axiome de petitesse". (La terminologie est de moi).

Axiome de petitesse : $\exists X [set(X) \land \forall a (a \in X \Leftrightarrow At(a))]$.

Cependant, dans certains cas on peut aussi être amenés à considérer des modèles avec une classe propre d'atomes. Mais pour l'instant on va travailler avec les quatre axiomes ci-dessus. Les autres axiomes de ZF demeurent inchangés. En particulier l'axiome de fondation assure que tout ensemble non vide a un élément $\in$-minimal, mais la nouveauté ici est que cet élément peut être un atome. Par exemple, si $a$ est un atome, l'axiome de la paire assure l'existence de l'ensemble $\{a\}$, et l'élément minimal de cet ensemble est $a$. Bien sûr, dans ce contexte l'axiome de fondation n'est plus équivalent à dire que la hiérarchie des $V_\alpha$ remplit l'univers : ce résultat est faux dès l'instant qu'il y a au moins un atome. En lieu et place on va définir d'autres hiérarchies cumulatives, mais auparavant il nous faut modifier légèrement la définition des ordinaux.

Définition : Un ordinal est un ensemble transitif, bien ordonné par la relation $\in$, et ne contenant aucun atome comme élément : $\forall \alpha [\mathbb{ON}(\alpha) \Rightarrow set(\alpha)]$.

Ceci étant fait, on peut maintenant définir une hiérarchie cumulative à partir de n'importe quel ensemble $S$.        

$P^0(S)=S$.

$P^{\alpha+1}(S)=P^\alpha(S) \cup \mathscr P(P^\alpha(S))$.

$P^\lambda(S)=\bigcup \limits_{\alpha < \lambda} P^\alpha(S) \text{ si } \lambda \text{ est limite}$

$P^\infty(S)=\bigcup \limits_{\alpha \in \mathbb{ON}} P^\alpha(S)$.         

On remarquera que par rapport à la définition classique on a légèrement modifié la formulation du cas successeur : d'habitude on prend simplement $P^{\alpha+1}(S)= \mathscr P(P^\alpha(S))$. La raison de cette modification est que s'il y a des atomes dans $S$ on les perdrait à la première étape si on posait $P^1(S)= \mathscr P(S)$ (puisqu'on ne prendrait que des sous-ensembles de $S$). Mais avec la définition ci-dessus on conserve les atomes initiaux "éternellement".

 

Maintenant, deux cas particuliers intéressants se présentent : si $S= \emptyset$, $P^\infty(\emptyset)$ nous donne l'univers habituel, et on se retrouve dans ZF. Le second cas intéressant est celui où $S=A$, $A$ étant l'ensemble des atomes, qui existe par l'axiome de petitesse.

Lemme : Avec les notations ci-dessus, $P^\infty(A)=V$.

Preuve : Il suffit d'adapter la preuve du théorème qui dit que l'axiome de fondation entraîne que la hiérarchie cumulative remplit l'univers.

On peut donc construire itérativement le monde des ensembles à partir des atomes. Bien entendu, si $A= \emptyset$, on retrouve ZF. Mais si $A \neq \emptyset$, on peut définir le noyau comme étant la classe $K=P^\infty(\emptyset)$. Il est clair que $(K, \in)$ est modèle de ZF. On a ainsi démontré que la consistance de ZFA $+$ "Il existe au moins un atome" entraîne la consistance de ZF. On va voir que la réciproque est vraie, et en fait on peut même démontrer un peu mieux.

 

La suite est empruntée au Jech : « Set Theory », page 250.

Lemme : La théorie ZFA $+$ AC $+$ "Il existe une infinité d'atomes" est consistante relativement à ZFC.

Preuve : 1) On va construire un modèle de cette théorie. Soit $C$ un ensemble infini d’ensembles de même rang.

OK, ça existe, par exemple $C=V_{\omega+1} \setminus V_\omega$, où tous les ensembles ont pour rang $\omega$.

2) De cette façon on a $X \notin TC(Y)$ pour tous $X,Y \in C$, où $TC$ désigne la clôture transitive.

OK, on sait que $$TC(Y)= Y \cup \bigcup Y \cup \bigcup \bigcup Y \cup...$$

et, pour des raisons évidentes de rang, on ne peut avoir ni $X \in Y$, ni $X \in \bigcup Y$, ni $X \in \bigcup \bigcup Y$ etc.

3) Considérons un $X_0 \in C$ comme l’ensemble vide, et les autres $X \in C$ comme des atomes. On construit alors le modèle à partir de $C$ en itérant l’opération $P^*(Z)= \mathscr P(Z) \setminus \{\emptyset\}$.

C’est à partir de là que je ne comprends plus. Je suppose que sa construction consiste à poser $R_0=C$, $R_{\alpha+1} = P^*(R_\alpha)$ et $R_\lambda =$ la réunion pour les ordinaux limites. Mais comment s’assurer que $R_\infty$, i.e. la réunion de tous ces bazars, est modèle de ZFA + AC ? D’abord, comment définit-on la relation d’appartenance dans le modèle ? Et qu’est-ce qu’on en a à faire que dans $C$, aucun élément n’appartienne à la clôture transitive d’un autre ?

Merci d’avance si quelqu’un a des connaissances là-dessus… et désolé pour les 3 kilomètres de ce fil.

Martial

 







Réponses

  • Calli
    Modifié (February 2023)
    Salut,
    Je pense qu'on prend pour $\in_{R_\infty}$ la restriction du $\in$ du premier modèle.

    "Et qu’est-ce qu’on en a à faire que dans $C$, aucun élément n’appartienne à la clôture transitive d’un autre ?"
    On peut montrer par récurrence ordinale sur $\alpha$ que pour $E\in R_\alpha$, il existe $X\in C$ tel que $X\in TC(E)$. Donc en supposant par l'absurde qu'il existe $E\in R_\infty$ et $Y\in C$ tels que $E\in Y$, on en déduit qu'il existe $X\in C$ tel que $X\in TC(E)\subset TC(Y)$, ce qui est absurde d'après la propriété 2). Donc  $(R_\infty,\in,at_{R_\infty})$ vérifie l'axiome des atomes et l'axiome de l'ensemble vide (car $X_0$ est effectivement vide dans $R_\infty$).
  • Ensuite $R_0 \in R_\infty$, donc $\{X\in R_0 \mid X\neq X_0\} \in R_\infty$, donc $R_\infty$ vérifie l'axiome de petitesse. Et les autres axiomes de ZFC doivent se transmettent à $R_\infty$ je présume... (mais je n'ai pas vérifié)
  • marco
    Modifié (February 2023)
    Si la relation d'appartenance dans le modèle est la même que dans ZFC, on a besoin du fait que tout $x$ de $C$ n'appartient pas à la clôture transitive d'un autre élément de $C$, pour montrer l'axiome des atomes. En effet, soit $a$ un atome, c'est-à-dire un élément de $C$, soit $x \in R_{\alpha}$, on va montrer que $x \notin TC(a)$, par récurrence transfinie. Si $\alpha$ est limite, alors il existe $\beta \in \alpha$ tel que $x \in R_{\beta}$, donc par hypothèse de récurrence, $x \notin TC(a)$. Si $\alpha=\beta+1$, alors $x$ est une partie de $R_{\beta}$ non vide, car $R_{\alpha}=P^*(R_{\beta})$. Alors,  il existe $y \in x$, tel que $y \in R_{\beta}$, donc $y \notin TC(a)$ (par hyp. de rec.). Or, $x \in TC(a) \implies y \in TC(a)$. Donc $x \notin TC(a)$.

    Donc pour tout $x$, $x \notin TC(a)$, donc $x \notin a$.
  • @Calli, @marco : merci pour vos réponses. Je vais cogiter tout ça.
  • J'ai parfaitement compris les arguments de @Calli et @marco. Voici la preuve définitive provisoire.
    Lemme : La théorie ZFA $+$ AC $+$ "Il existe une infinité d'atomes" est consistante relativement à ZFC.
    Preuve : On va construire un modèle de cette théorie. Soit $C$ un ensemble infini d'ensembles de même rang, par exemple $C=V_{\omega+1} \setminus V_\omega$, dont tous les éléments ont pour rang $\omega$.
    Claim 1 : Si $X,Y \in C$, alors $X \notin TC(Y)$, où TC désigne la clôture transitive.
    Preuve du Claim 1 : Il suffit de se rappeler que
    $$TC(Y)= Y \cup \bigcup Y \cup \bigcup \bigcup Y \cup...$$
    Si $X \in Y$ on devrait avoir $rg(X)=rg(Y)+1$, ce qui n'est pas puisque $rg(X)=rg(Y)$. Si $X \in \bigcup Y$ il existe $Z$ tel que $X \in Z \in Y$, et donc on devrait avoir $rg(Y)=rg(X)+2$, ce qui n'est pas. On démontre de même que $X \notin \bigcup \bigcup Y$ etc, donc au final $X \notin TC(Y)$.
    Fin de la preuve du Claim 1.
    Maintenant, on choisit $X_0 \in C$. Dans le modèle, on va considérer $X_0$ comme l'ensemble vide, et les autres éléments $X \in C$ comme des atomes. Ensuite on construit itérativement le modèle en prenant successivement $R_0=C$, $R_{\alpha+1} = \mathscr P(R_\alpha) \setminus \{\emptyset\}$, et $R_\lambda = \bigcup \limits_{\alpha < \lambda} R_\alpha$ pour $\lambda$ limite. Puis on pose $R_\infty = \bigcup \limits_{\alpha \in \mathbb{ON}} R_\alpha$. On munit $R_\infty$ de la relation $\in_\infty$, qui est la restriction à $R_\infty$ de l'appartenance dans $V$. On va montrer que la structure $(R_\infty, \in_\infty, At_\infty)$, où on a posé $At_\infty(a) \Leftrightarrow a \in C \land a \neq X_0$, est modèle de ZFA $+$ AC $+$ "Il existe une infinité d'atomes". Le dernier point est clair. Pour le reste on commence par l'axiome des atomes.
    Claim 2 : Soit $a$ un atome, c'est-à-dire un élément de $C \setminus \{X_0\}$. Alors, pour tout $x \in R_\infty$, $x \notin TC(a)$.
    Preuve du Claim 2 : Soit $x \in R_\infty$. On va raisonner par récurrence transfinie sur $\alpha$, où $\alpha$ est le plus petit ordinal tel que $x \in R_\alpha$.
    $\to$ Si $\alpha=0$, $x \in C$, et on sait par le Claim 1 que $x \notin TC(a)$.
    $\to$ Si $\alpha$ est limite, il existe $\beta \in \alpha$ tel que $x \in R_\beta$, donc par l'hypothèse de récurrence $x \notin TC(a)$.
    $\to$ Si $\alpha$ est successeur, $\alpha=\beta+1$, alors $x$ est une partie non vide de $R_\beta$, puisque $R_\alpha = \mathscr P(R_\beta) \setminus \{\emptyset\}$. On choisit $y \in x$, donc $y \in R_\beta$. Par l'hypothèse de récurrence $y \notin TC(a)$. Si $x \in TC(a)$, comme $y \in x$, par transitivité de $TC(a)$ on a aussi $y \in TC(a)$, contradiction. On a bien montré que $x \notin TC(a)$.
    Fin de la preuve du Claim 2.
    Comme $a \subseteq TC(a)$, du Claim 2 on déduit en particulier que $\forall x \in R_\infty, x \notin a$, donc $R_\infty$ satisfait l'axiome des atomes. L'axiome de l'ensemble vide est également satisfait, puisque $X_0$ est effectivement vide dans $R_\infty$. Par ailleurs, $R_0 \in R_\infty$, donc l'ensemble des atomes, i.e. $\{X \in R_0 : X \neq X_0\}$, est dans $R_\infty$, donc $R_\infty$ vérifie l'axiome de petitesse.
    Le soin est laissé au lecteur de vérifier que $R_\infty$ satisfait les autres axiomes de ZFC. (C'est routine).

    Acknowledgements : Un grand merci à Calli et marco, du forum les-mathematiques.net, qui m'ont aidé à rédiger cette preuve à partir de la preuve incompréhensible de Jech ("Set Theory", page 250) qui tient en quatre lignes.

    Remarque : De la preuve ci-dessus on déduit que l'ensemble $A$ de tous les atomes peut être choisi arbitrairement grand. En effet, si on se donne un cardinal infini $\kappa$, il suffit de choisir $C=V_{\kappa+1} \setminus V_\kappa$. On a alors $|A|=|C| = 2^{|V_\kappa|} \geq 2^\kappa > \kappa$.

  • J'ai dit "preuve définitive provisoire", car j'aimerais bien, pour la vérification du fait que les autres axiomes de ZFC sont vrais dans $R_\infty$, trouver un argument plus convaincant que "c'est routine". J'ai grave la flemme de mettre les mains dans le cambouis, mais j'ai l'impression que les axiomes se transmettent "héréditairement " de $V$ à $R_\infty$. Vous en pensez quoi ?
  • Je ne sais pas. Je ne l'ai jamais fait donc je ne pourrais pas confirmer que ça marche autrement qu'en mettant les mains dans le cambouis (mais j'ai aussi la flemme  ;) ).
  • @Calli : OK, on va laisser comme ça, c'est toujours mieux que le galimatias de Jech...
  • Est-ce qu'il n'y a pas un problème avec l'axiome de séparation ? Par exemple, si on considère un ensemble $x$ dans le modèle, et que l'on définit $y=\{ z \in x ~|~z \neq z\}$, normalement $y = \emptyset$ et, dans le modèle, on doit obtenir $y=X_0$.
  • @marco : tu dois avoir raison, il y a un truc chelou par là-dessous. En fait je me demande s'il ne faut pas définir la relation $\in_\infty$ du modèle par $x \in_\infty y \Leftrightarrow x \in TC(y)$, où $TC$ est calculée dans $V$. Cela modifierait par la même occasion la notion d'égalité dans le modèle, et peut-être que ton exemple ne marcherait plus...
    Mais pour tout dire j'ai vraiment du mal à y voir clair dans ce satané modèle.
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