Charles Torossian à Marianne
Mathématiques au lycée : mieux former, mieux orienter, mieux accompagner.
Tribune
Publié le 29/01/2022 à 16:59
Charles Torossian est co-auteur du rapport « 21 mesures pour l’enseignement des mathématiques ». Il évoque dans ce texte la réforme des lycées qui constitue, selon lui, une révolution intellectuelle de notre système éducatif.
En février 2018, le député Cédric Villani et moi-même remettions notre rapport, dont 19 des 21 mesures sont mises en œuvre, notamment dans le premier degré. C’est une réponse systémique face aux difficultés installées depuis 40 ans. L’idée était qu’il fallait s’attaquer aussi à l’organisation comme la formation des enseignants et le pilotage au sein des établissements.
Non les maths au lycée n’ont pas disparu
Les mathématiques sont bien dans le socle fondamental du citoyen et c’est pourquoi elles concernent tout le monde et sont enseignées au-delà du cours de maths. Une meilleure explicitation dans les autres disciplines est nécessaire pour rassurer nos élèves. Ces mathématiques utiles pour tous les jours sont enseignées depuis l’école primaire et c’est bien leur meilleure acquisition jusqu’en fin de seconde qu’il s’agit de reconquérir ; tout débat se plaçant en cycle terminal, même s’il peut être entendu, cache la forêt qui est encore derrière nous.
Enseignement
commun pour l’ensemble des séries technologiques (3h en 1ère et Term),
organisés en modules dans la voie professionnelle, les programmes
reprennent essentiellement les mêmes thématiques qu’en voie générale et
proposent en terminale pro un complément pour les élèves qui voudraient
poursuivre des études. La bivalence des professeurs de maths-sciences et
le co-enseignement ont ouvert des horizons pédagogiques et didactiques
inédits. Un futur charpentier bénéficie de l’intervention simultanée des enseignants de maths et des professeurs spécialisés en menuiserie !
Le choix des spécialités en lycée général
Rappelons que tous les élèves de cette voie ont un enseignement scientifique. Former aux sciences nos futurs citoyens est une priorité. Qu’il soit possible de discuter du choix du programme, de sa volumétrie et la place des maths, notamment en 1ère j’en conviens, mais il serait faux de prétendre que nos élèves, qui n’ont pas choisi l’enseignement de spécialité, n’ont plus l’occasion de faire des maths.
Revenons-en aux chiffres qui circulent ces dernières semaines, sous la plume d’éminents patrons d’industrie, d’intellectuels, d’experts déclarés, voire de candidats à l’élection présidentielle. En terminale générale, il n’y aurait plus que 40 % d’élèves qui feraient des mathématiques ! C’est confondre la spécialité et les options maths complémentaires (MC) ou expertes (ME). Au total, près de 60 % des lycéennes et lycéens généraux ont un enseignement de maths. Ne pas compter l'option MC dans les infographies qui circulent en ce moment est assez malhonnête, assez insultant pour les 64 000 élèves qui l'ont suivie en 2021 et pour les professeurs qui l'ont enseignée mais surtout un très mauvais signal envoyé aux formations du supérieur ! Si on tient compte les autres voies, on arrive à 80 % d’une classe d’âge de lycéennes et lycéens qui sont confrontés aux logarithmes !
La Terminale S (TS) aurait été un terreau fertile pour la poursuite d’études scientifiques ! C’est oublier la réalité : en 2014, on comptait 44 % de poursuites vers des formations scientifiques, 24 % dans la santé et 32 % des formations non scientifiques. En vérité la série S était majoritairement choisie pour d’autres motifs que sa dimension scientifique. Il n’y aurait plus assez d’élèves qui feraient des maths « sérieuses » pour alimenter les filières du sup ! Il n’y avait qu’environ que 20 % des élèves de TS qui prenaient la spécialité maths (8 heures par semaine). Ils n’étaient que 37 000 en 2011, alors qu’en 2021 ils sont 52 000 à avoir choisi ME (9 heures par semaine avec des programmes plus ambitieux) et continuent très fortement dans les formations scientifiques (80 à 90 %) alors qu’ils n’étaient que 56 % du temps de la TS. C’est un succès incontestable.
Que la volumétrie de nos licences de maths et informatique ne soit pas encore reconstituée est un fait. La structure précédente de la TS avait siphonné, au profit des études de santé, les effectifs de nos lycéens et surtout de nos meilleures lycéennes depuis le début des années 2000. Aujourd’hui la majorité de nos futurs étudiants en santé prennent MC, qui indique que c’est un enseignement bien calibré et laissant un large panel pédagogique et didactique aux enseignants.
La spécialité mathématiques au lycée serait inégalitaire et on y retrouverait 46 % d’élèves issus des CSP + ! C’est oublier qu’il faut rapporter ce chiffre à la distribution sociologique du lycée : 39 % d’élèves issus de CSP + (et déjà 42 % en TS en 2018 !), une situation installée depuis fort longtemps hélas ! Cela nous renvoie à tout le travail qui est en train d’être fait à l’école primaire et au collège depuis 2018 pour faire que l’enseignement y soit plus efficace pour mettre en œuvre l’égalité des chances et la décorrélation entre les résultats scolaires et les catégories socio-professionnelles.
La réforme du lycée ne permettrait plus de faire des études économiques si on ne prend pas la spécialité, considérée comme trop difficile ! La réforme du lycée fait aussi le pari de la transformation des filières d’enseignement supérieur pour prendre en compte les compétences réelles des élèves et leur motivation, mais surtout pour les élargir. Dans les Instituts d’études politiques on trouve 30 % d’élèves qui n’ont fait pas fait MC !
La présence des filles dans les formations de mathématiques
Les mathématiques du lycée aggraveraient l’écart entre filles et garçons ! Si on compte MC et spé M en terminale on a près de 50 % de filles (idem en spé math 1ère en 2019 avec une petite érosion en 2021 à surveiller). Il est vrai qu’il y a 1/3 de filles en ME et 2/3 en MC et on souhaiterait plus de filles en maths expertes ou maths de spécialité. Le panel du lycée général est largement biaisé (F : G = 56 : 44) et que tout ce qui s’est constitué en termes de stéréotypes depuis le primaire est largement conscientisé. La série S n’avait que 46 % de filles et 4,5 % les filles du lycée général (15 500 en 2014) faisaient 8 heures de maths !
Si on cherche à se rassurer sur la capacité du système actuel à former des filles pour les amener dans les métiers de la data ou les masters de maths, il ne faut pas raisonner en termes de ratio (qui embarque le passif des stéréotypes), mais sur les volumétries. À la rentrée 2014 on peut estimer que seulement 6 000 filles, très formées aux maths, s’étaient orientées vers CPGE + licence sciences + école d’ingénieurs ! Le sujet était donc dans la faible efficience de l'orientation. Elles étaient 17 000 à avoir fait 9 heures de maths en 2021, dont 12 657 dans les doublettes Maths + PC et 1 115 dans la doublette Math + NSI. Grâce aux taux de poursuites d’études scientifiques bien meilleurs, nous sommes enfin en train de réinjecter sur le long terme des filles dans les métiers qui utilisent beaucoup de mathématiques.
L’objectif est de rassurer les filles sur leurs compétences réelles, d'augmenter la confiance en soi et de changer le regard de la société sur le rapport entre les filles et les mathématiques. La question n’est pas seulement une question de mathématiques dans la classe, c’est tout un écosystème qui touche au projet d’établissement, au suivi général de la discipline et au fond la question des valeurs dans notre société.
-- Schnoebelen, Philippe
Réponses
En tous les cas il suit le gouvernement donc rien n’est étonnant, de mon point de vue.
Charles Torossian est "conseiller spécial auprès de la direction générale de l'enseignement scolaire (DGESCO)". Ça n'est pas très étonnant qu'il propage la bonne parole de son chef.
Non les maths au lycée n’ont pas disparu
La majorité d'une classe de prépa commerciale ne peut additionner des fractions de nombres à deux chiffres sans se tromper. La première étape vers la guérison est de reconnaître qu'on est malade.
Ils sont incorrigibles décidément
Essayez de me trouver un seul document émanant de l'EN ou de ses représentants au sens large ou ne figure pas à chaque page une occurrence de "inégalité sociale" ou "égalité des chances".
Ces contraintes détruisent l'enseignement public - le seul auquel peuvent accéder ces pauvres dont presque tout le corps enseignant pleure les malheurs.
-- Schnoebelen, Philippe
-- Schnoebelen, Philippe
Torossian dit :
Par ailleurs, comparer les nombre de filles ayant eu leur bac en 2014 et ayant fini un parcours bac+5 avec le nombre de filles ayant eu leur bac en 2021 et juste intégré une filière math/physique dans le supérieur me parait assez malhonnête. Comme s'il n'y allait pas y avoir de pertes importantes d'effectifs entre les premiers mois de la première année et la fin d'étude à bac+5...
@math2 :
C'est tout à fait normal. Les étudiants de médecine font ce qu'on appelle une thèse d'exercice, qui n'a de thèse que le nom et se rapproche en fait beaucoup plus d'un mémoire de M2. Comme indiqué dans l'article wikipédia cela ne confère pas le grade universitaire de docteur, ce n'est pas suffisant pour passer la qualification pour devenir MCF etc. Les anglo-saxons font eux la distinctions entre M.D. et PhD là où, pour le français moyen, docteur désigne un médecin et pas un PhD. Il existe évidemment des thèses de doctorat en 3 ans dans le domaine de la médecine qui sont de "vraies" thèses et permettent de poursuivre dans la recherche académique ensuite.
« La réforme du lycée fait aussi le pari de la transformation des filières d’enseignement supérieur pour prendre en compte les compétences réelles des élèves et leur motivation, mais surtout pour les élargir.»
Comment peut-on en arriver à cela.
Autrement dit, pourquoi un élève de fin de seconde aujourd'hui ne peut choisir qu'entre la maximum de maths ou rien du tout ? Les anciennes séries avaient au moins cet avantage : on pouvait moduler l'enseignement des mathématiques en fonction du niveau et des diverses possibilités des gens. Aujourd'hui c'est tout ou rien !
D'un autre côté (et je parle sous le contrôle des collègues de lycée), l'histoire-géo est à la fois en spécialité et en tronc commun : une collègue prof de physique me disait que les élèves ayant pris cette "fameuse" spécialité HGGSP (sauf erreur = histoire-géo, géopolitique et sciences politiques) + le tronc commun avaient donc 10h / semaine d'histoire-géo. Si ce compte est correct, c'est autant monumental qu'inutile. Mais j'ai cru comprendre que le lobby des profs d'HG étaient très actif...
C'est un petit mensonge, car en fait je doutais déjà avant...
À ma connaissance, Jean-Pierre Kahane n'a jamais été IG. Tu ne confondrais pas avec Robert Cabane ?
-- Schnoebelen, Philippe