Ensembles dans la théorie des ensembles

Bonjour,

Je me pose une question basique en théorie des ensembles : puisque tout est ensemble, alors comment définir un réel par exemple $\sqrt{2}$, en tant qu'ensemble : quels sont ses éléments ?, ou encore, un point de l'espace.

Et si on a trouvé une définition satisfaisante de $\sqrt{2}$ en tant qu'ensemble (par exemple, l'ensemble formé des éléments de la suite ordonnée de ses décimales), on peut en trouver une autre (par exemple, l'ensemble formé des éléments d'une quelconque suite qui converge vers $\sqrt{2}$, disons la suite de Héron), les éléments de ces deux ensembles ne vont pas coïncider, donc ces deux ensembles vont être différents, contradiction.

Pouvez-vous m'éclairer de vos lumières ? Merci d'avance.

Réponses

  • Si tu construis les réels en "complétant" $\Q$ alors un réel est une classe d'équivalence de suites rationnelles. C'est donc un ensemble.
  • Bonjour Julia,

    Tu poses une question intéressante. Si tu as construit $\mathbb{R}$ par les suites de Cauchy, $\sqrt{2}$ est égal à un certain ensemble de suites de Cauchy. Si tu l'as construit par la méthode des sections commençantes de Dedekind, tu as
    $$\sqrt{2}= \mathbb{Q}^- \cup \{x \in \mathbb{Q}^+ : x^2 <2\}.$$
    Ensemblistement, ces deux ensembles n'ont rien à voir. Le premier a la puissance du continu, le second est dénombrable. Et puis il y a d'autres exemples, comme tu le signales.

    Après, c'est une question de convention : le $\mathbb{R}$ construit par Cauchy et le $\mathbb{R}'$ construit par Dedekind étant isomorphes en tant que corps totalement ordonnés, on décide de les identifier, donc aussi d'identifier le $\sqrt{2}$ de l'un avec le $\sqrt{2}$ de l'autre. Mais c'est seulement une convention, disons un "arrangement" entre mathématiciens, pas forcément settheorists.

    Dans la construction des ensembles de nombres tu rencontres le même problème beaucoup plus tôt, quand tu décides d'identifier le relatif $(+3)$ avec le naturel $3$. Tu as $3= \{0,1,2\}$, tandis que
    $$(+3) = \{(n+3,n) : n \in \mathbb{N}\}.$$
    Et pourtant cette convention est fort commode.
  • Sur la représentation de $\sqrt 2$ par deux ensembles différents, rien de nouveau sous le soleil. Pour donner un autre exemple qui te sera sûrement plus familier : c'est quoi $\mathbb Z/n \mathbb Z$ ? C'est $\{\{a \in \mathbb Z \mid a \equiv k \pmod n\} \mid k \in \{0, \dots, n-1\}\}$ ? C'est $\{e^{\frac{2ik\pi}{n}} \mid k \in \{0, \dots, n-1\}\}$ ? Les deux groupes remplissent les mêmes fonctions

    Ce qui compte pour tout le monde, toi y compris, ce n'est pas ce "qu'est" $\sqrt 2$, mais plutôt ses relations aux autres objets d'intérêt. En l'occurrence, si l'on se donne "un" $\mathbb R$ (c'est-à-dire un ensemble remplissant toutes les propriétés attendues, et il en existe une infinité de distincts ! L'important est qu'ils sont forcément isomorphes en tant que corps ordonnés) alors $\sqrt 2$ sera l'élément $x$ vérifiant $$x^2 = 2 \text{ et } x \geq 0.$$
  • C'est un peu la même question que "est-ce que $X^3$ est $X\times (X\times X), (X\times X)\times X$ ou encore l'ensemble des fonctions $3\to X$, voire des fonctions $\{1,2,3\}\to X$ ?"

    La réponse c'est que tous ces machins sont différents, mais leur différence n'est pas intéressante.

    De la même manière, la question "est-ce que $\sqrt 2 \subset \pi$ ?" a une réponse différente selon le modèle de $\mathbb R$ choisi, mais ce n'est pas une question intéressante. Ce qui compte c'est que $\sqrt 2 \leq \pi$.

    Les isomorphismes de corps ordonnés ne sont pas des isomorphismes d'ensembles munis de $\in$ ou $\subset$, et c'est tout. Tant mieux !

    $\mathbb R$ n'est pas défini à égalité près, mais à isomorphisme près, comme la quasi-totalité des objets mathématiques. (Ce qui est important, c'est se souvenir de "isomorphisme de quoi ?" et "quel isomorphisme ?")
  • Les remarques sur le fait que les objets mathématiques sont définis à isomorphisme près se mettent au fond sous la forme "$\forall x P(x)$" (exemple: $P(x)$ pourrait être "$x$ est un corps ordonné possédant la propriété de la borne supérieure" ).
    Ces remarques n'invalident en rien la pertinence d'énoncés du type $\exists x P(x)$, ceux dont les preuves construisent les objets.
    La preuve de ce genre d'énoncé existentiel reste un préalable indispensable à la transformation (parfois maintenue à un niveau implicite) de $\forall x (P(x) \Rightarrow Q)$ en $Q$ où $Q$ est un énoncé ne parlant pas de $x$.
    Une fonction est un ensemble $f$ de couples tel que pour tous $x,y,z$, si $(x,y)\in f$ et $(x,z)\in f$ alors $y = z$.
  • Bonjour,

    je me permets une remarque, en écho à des échanges qui ont déjà eu lieu concernant la théorie des ensembles. La théorie des ensemble n'est pas la théorie des "mathématiques de tous les jours". En clair, la théorie des ensembles est une théorie similaire à la théorie des groupes par exemple, régie par des axiomes et qui devrait plutôt s'appeler la théorie des univers. Appeler les éléments des modèles de la théorie des univers des "ensembles" est un artifice de langage, plus philosophique qu'autre chose, qui tente de faire un lien entre ces éléments et les ensembles "classiques", "naïfs" (les vrais ensembles).

    Ainsi $\sqrt{2}$ "n'est pas" un ensemble; la question peut être uniquement posée sur $\lceil \sqrt{2}\rceil$, c'est-à-dire un élément d'un univers de la théorie des ensembles dont la définition est celle qu'on accorde à "notre" $\sqrt{2}$. Et du coup, cela résout le problème en fait: $\lceil \sqrt{2}\rceil$ est un (pseudo) "ensemble", comme élément d'un univers, défini par une formule donnée. C'est la formule de définition qui est importante.

    @l
  • @l : bonjour. J'espère que tu vas bien. As-tu réussi à mettre la main sur les cours des théories des ensembles (ou de théorie des univers), s'il te plait ?
    Le chat ouvrit les yeux, le soleil y entra. Le chat ferma les yeux, le soleil y resta. Voilà pourquoi le soir, quand le chat se réveille, j'aperçois dans le noir deux morceaux de soleil. (Maurice Carême).
  • Bonjour et merci beaucoup à tous. Vous répondez à une question qui me trotte dans la tête depuis longtemps. Je vais étudier attentivement vos réponses.

    Je pose cette question car par exemple, si on considère le foncteur de la catégorie des ensembles vers la catégorie des groupes qui envoie un ensemble (par exemple $\sqrt{2}$) vers le groupe libre engendré, on n'obtient pas le même résultat selon comment on considère l'ensemble.

    En effet, raoul.S, les réels sont des classes d'équivalences de rationnels, donc des ensembles.

    Martial, je ne connais pas la méthode des sections commençantes de Dedekind. On peut donc construire deux ensembles qui désignent $\sqrt{2}$ pour lesquels il n'existe aucune bijection !
    Ton exemple avec $3$ est encore plus parlant !

    Poirot, ok, j'imagine que la question a déjà été posée. On distingue donc nettement la théorie des ensembles d'avec celle des structures (groupes, anneaux, ...), autrement dit, on ne s'intéresse en général à $\sqrt{2}$ qu'en tant qu'élément d'un groupe ou d'un corps. D'où la divergence des résultats obtenus dans les deux théories.

    Super Maxtimax ! Ton message m'éclaire complétement.

    Ok @I, je crois comprendre (je ne connais pas la théorie des univers) grosso modo. On écarte la contradiction en disant qu'on fait un abus de langage en appelant $\sqrt{2}$ un ensemble.

    En fait on écarte la contradiction en disant qu'on considère $\sqrt{2}$ selon deux théories indépendantes l'une de l'autre, ou du moins, pas complétement dépendantes (l'une, celle des ensembles dans son intégralité), n'est pas un préalable nécessaire à l'autre (on s'arrête à un stade où des contradictions pourraient apparaitre).

    J'ai une autre question, j'ouvre un autre fil.
  • @Julia : la construction par les sections commençantes me paraît infiniment plus intuitive que celle par les suites de Cauchy. Très schématiquement, on appelle section commençante (ouverte) toute partie $S \subseteq \mathbb{Q}$ satisfaisant les propriétés suivantes :
    1) $S \neq \emptyset$.
    2) $S \neq \mathbb{Q}$.
    3) $\forall x,y \in \mathbb{Q}, (x \in S \land y<x) \Rightarrow y \in S$. (Commençante).
    4) $S$ n'a pas de plus grand élément. (Ouverte).
    Puis tu appelles $\mathbb{R}$ l'ensemble de toutes les sections commençantes de $\mathbb{Q}$. Ensuite il faut définir les opérations, c'est le plus long à écrire mais ça marche bien. L'ordre $\leq$ correspond à l'inclusion.
    Ce qui est top c'est qu'avec cette méthode le théorème de la borne supérieure "tombe tout seul" : si $(S_k)_{k \in I}$ est une famille de nombres réels avec $\forall k \in I, S_i \leq M$ (i.e. $\subseteq M$), alors la borne sup est
    $$S= \bigcup \limits_{k \in I} S_k.$$
    Et les propriétés classiques de $\mathbb{R}$ s'en déduisent facilement.

    Et, cerise sur le gâteau, un réel est un ensemble dénombrable, ce qui n'est pas le cas avec les suites de Cauchy.
  • Il reste quand même une contradiction dans la théorie des catégories, selon la façon dont on considère $\sqrt{2}$ : le foncteur de la catégorie des ensembles vers la catégorie des groupes qui fait d'un ensemble un groupe libre, ne donne pas le même résultat (le même groupe, même à isomorphisme près) selon la manière dont on considère l'ensemble ($\sqrt{2}$).
  • Julia: non, ce n'est pas une contradiction. C'est juste un abus de notation qui montre ses limites. Si tu me donnes quelque chose et me demande "c'est quoi la valeur de ce foncteur dessus ?" tu ne peux pas t'attendre à ce que je devine ce que tu m'as donné !! Il faudrait que tu dises $\sqrt 2_{Dedekind}$ ou quelque chose du genre.

    ça n'a d'ailleurs rien à voir avec les catégories: est-ce une contradiction de dire que $\sqrt 2\subset \pi$ peut avoir une réponse positive ou négative ?
  • Ok, $\sqrt{2}_{Dedekind} \ne \sqrt{2}_{Cauchy}$, il faut préciser quand il y a une ambiguïté. Merci beaucoup.
  • Bonjour,

    @Thierry Poma: je n'arrive pas à remettre la main dessus... Ce qui me "chagrine" car je pensais l'avoir bien stocké "au chaud", et j'ai l'impression qu'il est resté dans le disque dur d'un de mes anciens ordinateurs...

    Autrement, l'ontologie des objets mathématiques est une question très profonde et très complexe, surtout hors du champ mathématique strict. $\sqrt{2}$ est donc "quelque chose", dont l'existence est fonction de posture variée.

    Maintenant, la théorie des "ensembles", à mon sens improprement nommée, propose de construire à l'intérieur des mathématiques un système où l'ontologie serait maîtrisée ex-ante et qui "mimerait" les mathématiques, une sorte d'émulateur de la réalité mathématique, à l'ontologie réduite: tout est d'une seule sorte de "nature", qu'on décide d'appeler "ensemble", mais on aurait pu appeler ça "truc"; ensuite on crée une correspondance mathématico-philosophique entre ces "trucs" et nos objets mathématiques. Du coup, on a l'impression que tout notre monde mathématique serait de cette "nature", alors qu'en fait, on ne fait qu'appliquer la correspondance d'un émulateur.

    En clair, c'est comme dire que la vie/notre monde est modélisable par un programme informatique, dont tous les objets seraient des pixels par exemple, puis, qu'ensuite, on établisse une correspondance entre ces pixels et les éléments de natures diverses qui composent notre monde (puisque ce programme cherche à modéliser notre monde) et qu'on confonde notre monde avec sa "traduction" en termes de pixels.

    La seule chose intéressante finalement est ce qui caractérise le passage possible entre l'émulateur et la réalité, c'est-à-dire le système de caractérisation formelle des éléments de notre réalité. Plus précisément, ce qui est important n'est pas tant de définir l'ontologie de $\sqrt{2}$ (ce qui est impossible mathématiquement) mais de définir comment cet élément est défini.

    Au passage, pour Julia, ce que j'appelle la théorie des univers est ce qui s'appelle la "théorie des ensembles".

    @l
  • Bonjour à tous, Martial, je vois bien que un réel Dedekind est dénombrable, mais pour celui construit avec les suites de Cauchy, je vois mal pourquoi il ne l'est pas dans la mesure où l'on ne fait des manipulations que sur des rationnels.
    Bonne journée.
    Jean-Louis.
    P.S.: Si j'ai dit une c...e, que l'on supprime vite mon message. J'ai les idées pas nettes en ce moment...
  • Jean-Louis : donne moi une suite de Cauchy $u$, et je vais t'en sortir $2^\mathbb N$ qui sont équivalentes: pour toute suite binaire $\epsilon$, $n\mapsto u_n+\frac{\epsilon_n}{2^n}$.

    Elles sont évidemment distinctes, et évidemment Cauchy-équivalentes à $u$.
  • @l : bonjour. Je te remercie beaucoup, tout en étant profondément désolé d'apprendre cette nouvelle. C'est une chose que d'avoir une idée intuitive sur le concept, c'en est une autre d'avoir la théorie sous-jacente au concept. Dois-je me contenter du Krivine ?
    Le chat ouvrit les yeux, le soleil y entra. Le chat ferma les yeux, le soleil y resta. Voilà pourquoi le soir, quand le chat se réveille, j'aperçois dans le noir deux morceaux de soleil. (Maurice Carême).
  • Merci Maxtimax.
    Jean-Louis.
  • @JP : bonjour. Par fonctorialité, veux-tu parler d'une solution à un problème universel ? Je me serais attendu à un tel questionnement sur une certaine fonctorialité pour ceci.

    Voudrais-tu me déposer le lien de ton cours, s'il te plait ?
    Le chat ouvrit les yeux, le soleil y entra. Le chat ferma les yeux, le soleil y resta. Voilà pourquoi le soir, quand le chat se réveille, j'aperçois dans le noir deux morceaux de soleil. (Maurice Carême).
  • Bonjour TP. Non ces deux questions n'ont rien à voir. Je la posais juste pour confirmer l'unique détermination de l'image d'un objet par un foncteur.
  • @JP : Et concernant le lien de ton cours ? Merci par avance. Tu peux utiliser la MP.
    Le chat ouvrit les yeux, le soleil y entra. Le chat ferma les yeux, le soleil y resta. Voilà pourquoi le soir, quand le chat se réveille, j'aperçois dans le noir deux morceaux de soleil. (Maurice Carême).
  • ... j'ai répondu trop vite, cela me gêne vraiment.
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