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Fonctions auto-similaires

Bonjour,$\newcommand\pfrac[2]{{\textstyle\frac{#1}{#2}}}$
Je vous propose les problèmes suivants.
1) Existe-t-il une fonction $f:[0,1]\to\Bbb R$ mesurable et non p.p. égale à une constante telle que p.p. $$\left\{\begin{array}{cl}
\text{si } x\in [0,\pfrac12], & f(x) = f(2x) \\[1mm]
\text{si } x\in [\pfrac12,1], & f(x) = f(2x-1)
\end{array}\right.$$

2) Existe-t-il une fonction $f:[0,1]\to\Bbb R$ mesurable et non p.p. nulle telle que p.p. $$\left\{\begin{array}{cl}
\text{si } x\in [0,\pfrac13], & f(x) = \pfrac34 \, f(3x) \\[1mm]
\text{si } x\in [\pfrac13,\pfrac23], & f(x) = \pfrac32 \, f(3x-1)\\[1mm]
\text{si } x\in [\pfrac23,1], & f(x) = \pfrac34 \, f(3x-2)
\end{array}\right.$$
On peut aussi essayer de remplacer l'hypothèse de mesurabilité par l'intégrabilité, ou bien se contenter de fonctions quelconques, pour voir ce que ça change.
Bonne après-midi

Réponses

  • A priori la question 1) est assez classique. Cela revient normalement à savoir si le système dynamique $(\R/\Z, \lambda, x\mapsto 2x)$ est ergodique ou non. Comme il est ergodique, il n'existe pas de telle fonction $f$.

    Pour la version "fonction quelconque" l'axiome du choix permet de construire un contre-exemple. En effet pour $x$ et $y$ deux réels on note $x\sim y$ si et seulement si il existe deux entier naturels $p$ et $q$ tels que $T^p(y)=T^q(x)$, où $T : x\mapsto 2x$. La fonction $f$ vérifie la propriété voulue si et seulement si elle est constante sur les classes d'équivalence de $\sim$. Ces classes d'équivalence sont toutes dénombrables car $\mathrm{Card}(T^{-p}(a) )= 2^p$ et il y en a donc autant que $\mathrm{Card}(\R)$. À l'aide de l'axiome du choix on peut donc construire une fonction vérifiant la propriété voulue et dont l'image est n'importe quelle partie (non vide) de $\R$.

    Est-ce que la question 2) se ré-exprime aussi en quelque chose de classique ?
  • Bonjour
    Renard dit que ça ne peut pas exister de telle fonction pourtant:
    Travaillons sur $L^2[0,1]$ , on sait que $\{e^{2\pi int} \mid n \in \mathbb{Z}\}$ est une base orthogonale sur $L^2[0,1]$.
    On a $$f(e_n)(t) = \left.\begin{cases}
    e_n(2t)=e^{4\pi int}, & t\in[0, \frac12]\\
    e_{n}(2t-1)=e^{4\pi int - 2\pi in} , & t\in\,]\frac12, 1]
    \end{cases}\right\} = e^{4\pi int} = e_{2n}(t)

    $$ donc $f$ est caractérisée par $f(e_n) = e_{2n}$, pour tout $n \in \mathbb{Z}$.
    Le 😄 Farceur


  • Renart a écrit:
    A priori la question 1) est assez classique. Cela revient normalement à savoir si le système dynamique $(\R/\Z, \lambda, x\mapsto 2x)$ est ergodique ou non. Comme il est ergodique, il n'existe pas de telle fonction $f$.

    Je ne connaissais pas l'ergodicité. D'après Wikipédia, le système est ergodique si tout ensemble mesurable $E\subset [0,1]$ invariant par $T:x\mapsto (2x\ \,{\rm mod}\; 1)$ est de mesure nulle ou pleine. Mais ça n'est pas trivial. Comment montres-tu que le système est ergodique ?
    Renart a écrit:
    Est-ce que la question 2) se ré-exprime aussi en quelque chose de classique ?

    Je ne sais pas !
  • gebrane, je n'ai pas compris ce que tu racontes. J'ai l'impression que tu parles d'une fonction $L^2\to L^2$ alors que le problème porte sur des fonctions $ [0,1]\to\Bbb R$. :-S
  • Sauf erreur de ma part pour le 1), attaqué de front vu que je ne connais rien à la theorie ergodique, j'obtiens de tête qu'une telle fonction doit être $\frac{1}{2^n}$-périodique pour tout $n$.

    J'imagine donc que les fonctions quelconques qui marchent sont celles qu'on définit modulo les dyadiques.
    Quant à la mesurabilité de ces machins, mystère pour moi. Intuitivement je dirais non mais je n'ai pas de preuve.
  • Gebrane. Moi non plus je n'ai pas compris ce que tu as fait. :-S

    Calli. Ok, je pensais que c'était une question en mode devinette et que tu avais déjà la réponse. Je détaille un peu plus donc.
    Les ensembles de niveau $f^{-1}(]{-}\infty;\alpha])$ sont invariants par $x\mapsto 2x$ donc si le système dynamique est ergodique ils sont tous de mesure nulle ou pleine. Puisque $\lim_{\alpha \to \infty }\lambda\big( f^{-1}(]{-}\infty;\alpha]) \big)=\lambda \big(f^{-1}(\R)\big) = 1 $ il existe un réel $a$ tel que
    \[
    x <a \implies \lambda( f^{-1}(]{-}\infty;x]) =0 \quad \text{et} \quad x >a \implies \lambda( f^{-1}(]{-}\infty;x]) =1.

    \] La fonction est ainsi constante presque partout et vaut $a$. Reste à montrer que le système dynamique est ergodique, ce qui n'est pas évident je te l'accorde, j'ai mis une démo en pièce jointe.

    Pour la question 2) j'aurais tendance à dire que la seule fonction qui vérifie la propriété est la fonction nulle, enfin, si on omet la fonction qui vaut $+\infty$ partout. Cela proviendrait encore du fait que le système dynamique associé (avec $T : x \mapsto 3x$ au lieu de $T : x \mapsto 2x$) est ergodique.

    D'ailleurs, d'où viennent ces questions ? Pourquoi avoir choisi ces coefficients précis ($3/4$ et $3/2$) ?124150
  • Désolé. J ai cru que Calli nous a laissé le choix des espaces. C était rapide de ma part
    Le 😄 Farceur


  • Renart : Si, c'est bien une devinette et je connaissais déjà les réponses, mais ça ne veut pas dire que je suis préparé à toutes les solutions possibles. Au contraire ! J'ai posé la question parce que je savais qu'il y a de nombreuses manières d'aborder le problème (grâce à l'analyse, la théorie de la mesure ou bien les probas) et je voulais voir quelles autres possibilités il y a. Et je n'ai pas été déçu avec ton histoire de systèmes dynamiques. :-D

    Par exemple, pour la question 1), j'avais pensé à l'idée suivante. Soient l'espace probabilisé $(\Omega,\Bbb P)=([0,1],\lambda)$ et, pour tous $n\in\Bbb N$ et $\omega\in\Omega$, $X_n(\omega)$ le $n$-ième chiffre en binaire de $\omega$. $(X_n)$ est une suite de v.a. indépendantes. De plus, pour tout $n$, la $2^{-n}$-périodicité de $f$ implique que la v.a. $f$ est $(X_{n+1},X_{n+2},\dots)$-mesurable. Donc $f$ est mesurable pour la tribu asymptotique de $(X_n)$. Donc elle est constante d'après la loi du 0-1 de Kolmogorov.
  • Renart a écrit:
    D'ailleurs, d'où viennent ces questions ? Pourquoi avoir choisi ces coefficients précis ($3/4$ et $3/2$) ?

    Ces questions proviennent du problème suivant que j'ai eu à résoudre dernièrement : montrer que la projection sur l'axe des abscisses de la mesure naturelle de la courbe de von Koch (mesure de Hausdorff de dimension $\frac{\ln 3}{\ln 4}$) est singulière. Et $f$ joue le rôle de la dérivée de Radon-Nikodym de cette mesure projetée. Mais j'ai un peu simplifié le problème pour qu'il soit plus pratique à énoncer. Pour von Koch, l'auto-similarité est plus complexe.

    images?q=tbn:ANd9GcS2HMb1qQA3L8aCIiJBvsVpjBEiDhpLK636Ow&usqp=CAU

    Les coefficients $3/4$ et $3/2$ sont inspirés de von Koch et permettent d'éviter une absurdité évidente au niveau de la valeur de l'intégrale de $f$ dans le cas intégrable.

    Bon depuis, j'ai découvert que le problème 2) décrit en fait exactement le problème de la projection sur une diagonale inclinée de $45°$ de la mesure naturelle de $K_3\times K_3$, le carré de l'ensemble de Cantor.

    240px-Cantor_dust.svg.png

    Par contre, j'ai décidé de supprimer de base l'hypothèse d'intégrabilité (qu'on a naturellement ci-dessus car les mesures considérées sont finies) pour corser un peu. :-D
  • Ok, merci pour ta réponse, c'est marrant cette démonstration à partir de la loi du 0-1, je ne connaissais pas. Qu'est-ce que tu avais fait pour la question 2) ?

    Pour le 2) on peut procéder comme suit. Je note $T : x\mapsto \{3x\}$.
    i) Si $f$ n'est pas infinie presque partout alors il existe $A$ de mesure strictement positive sur lequel $f$ est bornée.
    ii) Les suites $(3^n a)_n$ sont presque toutes équiréparties modulo $1$ donc $f(T^n(a))$ tend vers $0$ pour presque tout $a\in A$ car $\left(\frac{3}{4}\right)^2 \frac{3}{2} <1$.
    iii) La convergence de $f\circ T^n$ vers $0$ est uniforme sur un sous-ensemble $B$ de $A$ avec $\lambda(B) >0$
    iv) Pour tout ensemble $C$ de mesure strictement positive on a $\lambda(T^n(C)) \to 1$.

    En combinant iii) et iv) on obtient que $f$ est arbitrairement petite sur des ensembles de mesure arbitrairement grande, elle est donc nulle presque partout. Maintenant que j'y pense on pouvait faire la question 1) en utilisant simplement le point iv) de ce raisonnement.

    Si l'on enlève l'hypothèse de mesurabilité je suppose qu'on peut trouver des fonctions non nulles comme pour la 1). Il faut tout de même faire un peu plus attention parce que $f$ est nécessairement nulle sur les classes d'équivalence qui contiennent une orbite périodique de $T$.

    Si on change les coefficients dans la question 2) en prenant par exemple $16/9$ à la place de $3/2$ la question devient plus compliquée je crois.
  • Renart a écrit:
    iv) Pour tout ensemble $C$ de mesure strictement positive on a $\lambda(T^n(C)) \to 1$.

    Pourquoi ?
  • Renart a écrit:
    Qu'est-ce que tu avais fait pour la question 2) ?

    Pour la question 2), j'avais trouvé une première preuve élémentaire mais un peu compliquée dans le cas $f$ intégrable. Pour tout $n$, on note $C_n$ l'ensemble des $x\in[0,1]$ dont le $n$-ième chiffre en base 3 est 1. Et on pose (à quelques petites erreurs de décalages d'indices près ; je n'ai pas vérifié tous ces détails) $$
    \forall p\in\Bbb N, \qquad k_p = \frac{\ln(p+1)}{\ln(3/2)}\\
    \forall p_0 \in\Bbb N, \qquad E_{p_0} = \bigcap_{p_1\in\Bbb N} E_{p_0,p_1} = \{x\in [0,1] \mid \exists (k'_p) \in\Bbb N^{\Bbb N}, \forall p\in\Bbb N, k'_p\leqslant k_{p_0+p} \text{ et } x\in C_{k_1+\cdots+k_p} \}\\
    E = \bigcup_{p_0\in\Bbb N} E_{p_0}
    $$
    Notons $\lambda$ la mesure de Lebesgue et $\mu := |f|\cdot \lambda$. Alors, pour tout intervalle du type $I=[j\cdot 3^{-n}, (j+1)\cdot 3^{-n}]$ avec $j$ entier et $j\equiv 1[3]$ (i.e. $I\subset C_n$), et pour tout entier $k$ on a : $$
    \lambda\Big(I\cap\bigcup_{i=1}^{k} C_{n+i} \Big) = \Big(1-\Big(\frac23\Big)^k\Big) \cdot \lambda(I)
    \qquad\text{ et }\qquad
    \mu\Big(I\cap\bigcup_{i=1}^{k} C_{n+i} \Big) = \Big(1-\Big(\frac12\Big)^k\Big) \cdot \mu(I)
    $$
    Donc $$
    \lambda(E_{p_0}) = \prod_{p=1}^\infty \Big(1-\Big(\frac23\Big)^{k_{p_0+p}}\Big) = 0
    \qquad\text{ et }\qquad
    \mu(E_{p_0}) = \mu([0,1]) \times \prod_{p=1}^\infty \Big(1-\Big(\frac12\Big)^{k_{p_0+p}}\Big) >0
    $$
    puis $\lambda(E) = 0$ et $\mu(E^c)=0$
    Donc $f$ est concentrée sur un négligeable, ce qui est impossible à moins que $f=0$.

    Edit : Changement de $\mu := f\cdot \lambda$ en $\mu := |f|\cdot \lambda$.
  • (Je poursuis le message précédent.)

    Ensuite quelqu'un m'a signalé qu'on pouvait faire une autre preuve dans le cas intégrable avec le théorème de différentiation de Lebesgue. L'existence d'une fonction intégrable non nulle vérifiant 2) contredirait ce théorème car la moyenne de $f$ autour d'un point ne se stabilise pas.

    Et puis j'ai trouvé une preuve pour le cas mesurable qui dit en gros la même chose que la tienne, mais formulé différemment. Je reprends l'espace probabilisé $(\Omega,\Bbb P)=([0,1],\lambda)$. Soit $f_n = f\circ T^n$. Comme $(\frac{3}{4})^{\frac23} (\frac{3}{2})^{\frac13} <1$, la loi forte des grands nombres implique que $|f_n|\to \infty$ p.p. sur $\{f_n\neq0\}$. Cette convergence a aussi lieu en loi. Mais $|f_n|$ est de même loi que $|f|$, donc $|f|$ vaut p.s. $0$ ou $\infty$. Comme $f$ est à valeur dans $\Bbb R$, on en déduit $f=0$ p.s..

    Edit : J'avais inversé, en écrivant que $f_n\to 0$.
  • Calli a écrit:
    Pourquoi ?

    Exercice pour le lecteur :-P

    Voici une démonstration possible. Soit $\varepsilon >0$, il existe un intervalle triadique $I_n$ de longueur $3^{-n}$ tel que $\lambda(C\cap I_n) \geq (1-\varepsilon)\lambda(I_n)$, ça c'est une conséquence de la définition de la mesure de Lebesgue via les mesures extérieures. Sur $I_n$ la fonction $T^n$ est une bijection affine d'image $[0;1]$, donc $\lambda(T^n(C\cap I_n)) \geq 1-\varepsilon$. On conclut en remarquant que $T$ ne peut qu'augmenter la mesure d'un ensemble ou en disant qu'il existe des intervalles triadiques $I_k\subset I_n$ vérifiant la même propriété que $I_n$ pour tout $k\geq n$.

    De façon plus générale si le système dynamique $(X,\mu,T)$ est ergodique et si $T$ envoie les mesurables sur les mesurables alors \[\mu(A) >0 \implies \mu\left(\bigcup_{n=0}^\infty T^n(A)\right) =1,\]
    ce qui est cohérent avec l'idée générale d'ergodicité, les orbites "remplissent tout l'espace". On pourrait aussi bricoler une preuve de 2) à partir de cette propriété qui est moins forte que $\lim \lambda(T^n(C)) = 1$.

    Merci pour tes démonstrations probabilistes, je les trouve élégantes. Petite remarque à moi-même, si je ne me trompe pas tu supposes implicitement que $f^{-1}(\infty)$ est négligeable dans ta démonstration de la question 2).
  • Merci pour la réponse.

    Depuis le début, j'ai supposé que $f$ est à valeurs dans $\Bbb R$ en fait, donc $\pm\infty$ exclus.
  • Effectivement, c'est moi qui n'avais pas bien lu 8-)
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