Critère de trigonalisation

A force de voir plein de fils de discussion sur les matrices, j'ai recommencé à me poser des questions...

Je "sais" qu'une matrice est trigonalisable si, et seulement si, son polynôme caractéristique est scindé. En tout cas, j'ai souvent utilisé ce résultat. Je me suis rendu compte que dans mon bouquin, ce résultat n'existe pas, ils en donnent un autre. J'ai rapidement cherché une preuve sur internet, j'en ai trouvé une sur Wikiversité, par récurrence sur la dimension de l'espace. Je me suis demandé si on peut faire autrement. Non pas que j'ai un problème avec cette preuve-là, mais, deux preuves valent mieux qu'une.

Le résultat qui est dans mon bouquin, c'est : une matrice est trigonalisable si, et seulement si, il existe un polynôme annulateur scindé. Partons donc de là. Je déduis du résultat de mon bouquin qu'une matrice est trigonalisable si, et seulement si, son polynôme minimal est scindé. En effet, si le polynôme minimal est scindé, comme il est annulateur, la matrice est trigonalisable d'après le résultat du bouquin, et réciproquement, s'il existe un polynôme annulateur scindé, alors, le polynôme minimal doit être un diviseur de ce polynôme scindé, donc il doit lui-même être scindé.

On se rapproche, mais a priori rien n'empêche le polynôme caractéristique d'être obtenu en multipliant le polynôme minimal par un polynôme qui n'a pas de racines... du coup, j'aimerais savoir si l'on peut finir cette démonstration sans faire de récurrence. Je n'ai plus d'argument, alors je suis bloqué.

Réponses

  • Pour obtenir le polynôme caractéristique à partir du polynôme minimal tu DOIS le multiplier par un diviseur du polynôme minimal (car toute valeur propre -racine du polynôme minimal- est aussi racine du polynôme caractéristique).

    Comme le polynôme minimal est scindé tu obtiens donc le polynôme caractéristique en multipliant le polynôme minimal par des facteurs de degré 1.
  • Mais pourquoi c'est vrai ? Pourquoi ne pourrait-on pas avoir un polynôme minimal sur $\mathbb{R}$ qui serait par exemple $X-2$ et le polynôme caractéristique serait $(X-2)(X^2+1)$ ? Ils auraient les mêmes racines, pourtant ce polynôme caractéristique-là n'est pas scindé sur $\mathbb{R}$.
  • Bonjour,

    Parce qu'ils n'auraient pas les mêmes racines sur $\mathbb{C}$.

    Cordialement,

    Rescassol
  • C'est effectivement un argument. Donc si je travaille dans un $k$-espace vectoriel, je dois simplement me rappeler que les polynômes minimal et caractéristique ont les mêmes racines sur une clôture algébrique de $k$.

    Les cours de réduction sont niveau L2, en L2 on ne voit pas encore les clôtures algébriques en général. A ce niveau, on "sait" que $\mathbb{C}$ est algébriquement clos, mais comme $\mathbb{R}$ ne l'est pas et que tous les cours commencent justement par "soit $\mathbb{K} = \mathbb{R}$ ou $\mathbb{C}$", forcément...

    Bref. J'ai du mal à me rappeler de tout ce que j'ai appris, rien de nouveau de ce côté-là. Merci.
  • Bonjour Homo Topi
    Au programme de L2, on connait ces deux résultats:
    Théorème1: Les valeurs propres d'un endomorphisme $u$ figurent parmi les racines des polynômes annulateurs de $u$
    Théorème2(liant polynôme minimal et valeurs propres): Les valeurs propres de $u$ sont exactement les racines de son polynôme minimal
  • Je sais, mais je ne vois pas ce que ça apporte au débat.

    J'imaginais un polynôme minimal qui serait scindé sur $\mathbb{R}$ et un polynôme caractéristique qui ne le serait pas, typiquement $X-2$ et $(X-2)(X^2+1)$ ou quelque chose comme ça. Dans cette situation, le premier est bien un diviseur du deuxième, et ils ont les mêmes racines sur $\mathbb{R}$. Le seul truc qui fait que cette situation ne peut pas se produire, c'est qu'ils doivent avoir les mêmes racines également sur $\mathbb{C}$.
  • Bonjour,

    l'exemple que tu décris n'est pas possible: si le polynôme caractéristique de ton endomorphisme est $(x-2)(x^2+1)$, alors $i$ et $-i$ sont valeurs propres complexes de ce polynôme. Du coup ton polynôme minimal admet forcément $i$ et $-i$ pour racines...;-)
    D'une façon générale, j'ai envie de dire que polynôme minimal et polynôme caractéristique ont les même racines...seule la multiplicité change.
    Une façon de voir le résultat que tu évoques initialement est d'utiliser le théorème de Cayley-Hamilton, le lemme de décomposition des noyaux et la forme générale d'un endomorphisme nilpotent.

    Bon dimanche

    F.
  • Mais ce n'était pas ça le problème.

    L'ambiguïté pour moi, c'était : est-ce que le théorème qui dit que le polynôme minimal et le polynôme caractéristique ont les mêmes racines dit qu'ils ont les mêmes racines dans le corps de base de l'espace vectoriel (ici $\mathbb{R}$), ou qu'ils ont les mêmes racines tout court (donc, dans une clôture algébrique du corps en question). Parce que $x-2$ et $(x-2)(x^2+1)$ ont les mêmes racines réelles, justement, alors que l'un est scindé sur $\mathbb{R}$ mais l'autre non.
  • Ce sont les racines dans une extension algébriquement close qui compte.

    Une justification possible : tu peux considérer la matrice de départ $A$ comme une matrice complexe. Ce faisant, constate que tu as remplacé le polynôme minimal $\mu$ par un diviseur $\mu'$ (si $\mu\in\R[X]$ annule la matrice, il l'annule encore en tant que matrice complexe et donc le minimal $\mu'$ de la matrice complexe $A$ de sorte que $\mu'\mid \mu$. D'un autre côté, le polynôme caractéristique n'a, lui, pas changé. On en déduit que $\chi$ a les mêmes racines que $\mu'$ (par le résultat que tu invoques) et donc toute racine de $\chi$ est a fortiori une racine de $\mu$.

    NB : en fait, $\mu=\mu'$ mais c'est un peu plus cher.

    Voici une autre formulation de ce résultat : en notant $\mu$ le polynôme minimal (réel) et $\chi$ le polynôme caractéristique, il existe un entier $d$ tel que $\mu\mid \chi\mid \mu^d$.
  • Ou si je ne fais pas erreur, on peut voir les choses un peu autrement.
    On sait déjà que les racines du polynôme minimal sont racines du polynôme caractéristique. Les racines du polynôme caractéristique sont les valeurs propres (qu'elles soient réelles ou complexes par définition), or toute valeur propre est racine de tout polynôme annulateur. Donc les racines sont identiques sans considération prise de tête sur le corps de base.
  • Je ne suis pas sûr si ce que RLC a dit est vrai, mais le $\mu = \mu'$ de MC m'intéresse.

    Tu dis que c'est "un peu plus cher" mais j'estime avoir appris suffisamment de choses sur l'algèbre linéaire, les polynômes, les extensions de corps etc. pour m'attaquer à la question. Donc si c'est "niveau agreg", ça ne me dérangerait pas que tu me découpes la preuve en sous-étapes pour que je m'en fasse un exercice. Si ce n'est pas trop demandé, bien sûr.

    EDIT : à propos de ce qu'a dit RLC : je suivais jusqu'à "toute valeur propre est racine de tout polynôme annulateur". Dans mon bouquin, c'est formulé de manière plus ambigüe : "Soit $f$ un endomorphisme admettant un polynôme annulateur. Les valeurs propres de $f$ appartiennent à l'ensemble des racines d'un polynôme annulateur de $f$". Je précise que le "admettant un polynôme annulateur", c'est parce qu'ils font des énoncés généraux (il est mentionné ailleurs qu'en dimension finie, tout endomorphisme admet un polynôme annulateur). Donc l'ambiguité, pour moi, c'est : si j'ai un endomorphisme d'un $k$-espace vectoriel, son polynôme caractéristique $\chi$ est un polynôme à coefficients dans $k$. Toute racine de $\chi$ qui est dans $k$ doit diviser le polynôme minimal $\mu \in k[X]$, ça c'est certain. Maintenant, $\chi$ peut très bien avoir des racines qui ne sont pas dans $k$, auquel cas on considère une clôture algébrique $\overline{k}$. Par définition, $\chi$ ne change pas, on l'a déjà dit, les coefficients de $\chi$ restent les mêmes qu'on soit dans $k$ ou dans $\overline{k}$. Cependant, il se peut très bien qu'il existe un polynôme minimal $\mu' \in\overline{k}[X]$ de degré inférieur à celui de $\mu$. D'où l'intérêt de l'égalité $\mu = \mu'$ de MC.
  • D'accord, j'avais mal compris ton questionnement de base je crois.

    Mais même si un tel polynôme existait en changeant de corps, son caractère annulateur ne changerait pas (évidemment). Le même calcul qui montre qu'une valeur propre est racine s'appliquerait et on verrait que les racines de tes "deux" polynômes minimaux sont les mêmes (celles du polynôme caractéristique, ie les valeurs propres), même en essayant les "nouvelles valeurs propres" sur le "vieux polynôme minimal".
    La seule chose qui changerait éventuellement serait l'ordre de ces racines, ou quelque chose m'échappe.
  • Ce que j'ai en tête pour montrer que le polynôme minimal ne dépend pas du corps, c'est l'indépendance des invariants de similitude vis à vis du corps de base (invariance par extension si on veut) et la remarque que le polynôme minimal est le dernier de ces invariants quand le polynôme caractéristique en est le produit.

    Wikipédia n'est pas très diserte sur le sujet. Ah, mais il n'y a qu'à regarder « décomposition de Frobenius » à la place.
  • C'est vrai que je n'ai jamais regardé les invariants de similitude en détail... ce n'était pas au programme de ma Licence, c'est fait dans le Gourdon mais je n'ai pas passé de temps dessus quand je préparais l'agreg. Je rattraperai ça alors !
  • Il y a plus élémentaire.
    Soit $k\subset K$ deux corps et $A\in M_n(k)$.
    Alors, pour tout $s\in\mathbb N$, $(I,A,\ldots,A^s)$ est $k$-libre $\Leftrightarrow (I,A,\ldots,A^s)$ est $K$-libre (le rang ne dépend pas du corps de base).
    En particulier, $\deg\mu_{k,A}=\deg\mu_{K,A}$.
    Or, $\mu_{K,A}$ divise $\mu_{k,A}$ dans $K[X]$ donc $\mu_{K,A}=\mu_{k,A}$.
  • En effet, c'est carrément mieux.
  • Bonjour,

    On me communique un résultat qui n'apparaît pas tel quel dans ce fil.
    Soit $R$ un anneau commutatif, $A\in M_n(R)$ et $P\in R[X]$ tel que $P(A)=0$.
    Alors $\chi_A$ divise $P^n$.
    Preuve : Il existe $Q\in R[X,Y]$ tel que $P(X)-P(Y)=(X-Y)Q(X,Y)$.
    D'où $P(X.I)-P(A)=P(X).I=(X.I-A)Q(X.I,A)$ et, en passant un coup de déterminant, $P^n(X)=\chi_A(X).\det Q(X.I,A)$.

    Exercice : En déduire que si $R$ est un corps, $\mu_A$ et $\chi_A$ ont les mêmes racines.
  • J'essaie encore de prouver l'équivalence entre $k$-libre et $K$-libre. Soit ce n'est pas évident, soit je n'ai pas encore trouvé l'idée simple qui résout le truc.
  • On se donne une famille de $p$ vecteurs de $k^n$ (c'est-à-dire une matrice $A\in\mathcal{M}_{n,p}(k)$) et on veut montrer que le rang de cette famille est indépendant du corps (c'est-à-dire le rang $r$ de $A$ est égal au rang de $A$ considéré comme une matrice de $\mathcal{M}_{n,p}(K)$).

    L'algorithme du pivot de Gauss permet de construire deux matrices $P\in\mathrm{GL}_n(k)$ et $Q\in\mathrm{GL}_p(k)$ telles que $PAQ$ est la matrice \[J=\begin{pmatrix}\mathrm{I}_r&0\\0&0\end{pmatrix}\]où $r$ est le rang de $A\in\mathcal{M}_{n,p}(k)$. On peut considérer l'égalité $PAQ=J$ comme ayant lieu dans $\mathcal{M}_{n,p}(K)$ et elle exprime que le rang de $A\in\mathcal{M}_{n,p}(K)$ est $r$ aussi.

    Le point important ici, c'est que pour l'algorithme du pivot, on n'a jamais besoin d'agrandir le corps, les « pires » opérations à faire sont des divisions par les pivots.
  • Oui, ou le rang de $A$ se calcule à l'aide de ses mineurs.
  • Quel est le rapport entre ces histoires de rang et l'équivalence $k$-libre $\Longleftrightarrow$ $K$-libre de gai requin ?
  • Et bien une famille de $p$ vecteurs est libre ssi son rang est égal à $p$.
  • Oui, et alors ? Tu parlais d'abord du rang d'une famille de puissances de $A$, maintenant tu parles du rang de la famille des vecteurs-colonnes de $A$. Je ne vois pas le rapport.
  • $M_n(k)$ est un $k$-espace vectoriel.
  • Et donc ? Tu m'as complètement perdu.
  • Conflit de notations. Je n'aurais pas dû appeler $A$ la matrice de ce message. Mettons que j'aie écrit $M$ à la place de $A$...

    On ordonne la base $(E_{ij})_{1\le i,j\le n}$ des matrices élémentaires de $\mathcal{M}_{n}(k)$ en une base $(e_1,\dots,e_{n^2})$. Pour calculer le rang de $(\mathrm{I}_n,A,A^2,\dots,A^{d})$, on écrit la matrice $M$ de taille $(d+1)\times n^2$ dont les colonnes sont les coordonnées des $A^j$ dans $(e_1,\dots,e_{n^2})$ pour $0\le j\le d$. C'est à cette matrice qu'on applique l'algorithme du pivot.
  • C'est plus clair.
  • Simple et astucieux ce passage http://www.les-mathematiques.net/phorum/read.php?3,2264886,2265264#msg-2265264 pour montrer que $\chi_A$ divise $P^n$.


    PS. allez je parie que celui qui a communiqué ce résultat a gai requin est Maxtimax...
  • Raté ;-)
  • Ça ressemble plus à du Claude je dirais (:P)
  • Bien joué ;-)
  • Je pensais aussi à lui… il lit donc encore ce forum (le contraire serait étonnant) mais ne peut plus y participer. Dommage !
  • Ah oui Claude Quitté, merci je vais me souvenir de ce résultat.

    PS. Il devrait songer à revenir... avec le nouveau forum peut-être.
  • Il s'est passé quoi avec lui ?

    A part ça, pour voir si j'ai bien compris l'idée : le degré de $\mu_{k,A}$, c'est le plus petit $s$ tel que $(I,A,...,A^s)$ soit $k$-liée, donc d'après notre équivalence, c'est aussi le plus petit $s$ tel que $(I,A,...,A^s)$ soit $K$-liée, d'où le fait que $\mu_{k,A}$ et $\mu_{K,A}$ ont le même degré.
  • Claude Quitté a semble-t-il quitté le forum après avoir été pris à partie par un polémiste dont les compétences mathématiques ne sont pas encore établies (au mieux). C'est fort dommage et j'espère qu'il reviendra sur sa décision.

    Pour le minimal, oui, tu as compris l'idée.
  • Je comprends sa décision, mais quelle horreur ! C'est fou, ces choses-là. C'est tellement facile de ruiner la vie sociale de quelqu'un de nos jours... les gens ne vérifient pas les sources de ce qu'ils lisent ou entendent, donc celui qui a la meilleure répartie, la meilleure plateforme pour s'exprimer, ou le plus de "followers" s'impose.

    Je ne sais pas exactement ce qu'il s'est passé avec Claude Quitté. En tout cas, s'il lit encore le forum, qu'il sache qu'il a mon soutien. Je lui avais gueulé dessus une fois parce que j'avais mal compris ses intentions et sa formulation m'avait donné l'impression qu'il me prenait de haut, mais je sais que c'est quelqu'un de sérieux et plein de savoir. C'est extrêmement dommage qu'un random mal intentionné ait réussi à priver le forum de ses précieuses interventions.
  • En prenant 2 centimètres de recul par rapport à ce que disais ici, je me rends compte que mon bouquin dit la même chose que RLC. De 1, le polynôme minimal et le polynôme caractéristique ont les mêmes racines, et de 2, le polynôme minimal engendre l'idéal des polynômes annulateurs.

    Je suis de moins en moins satisfait de la présentation de ce bouquin, ça fait un moment déjà que je me bats un peu avec. Les résultats sont dedans, mais souvent des choses essentielles à comprendre sont sous-entendues tout au plus. Je retravaille les choses petit à petit pour me faire mon propre cours, c'est mieux comme ça.
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