Du nouveau sur la "preuve" d'ABC de Mochizuki — Les-mathematiques.net The most powerful custom community solution in the world

Du nouveau sur la "preuve" d'ABC de Mochizuki

Peter Scholze and Jakob Stix sont allés à Kyoto en mars dernier pour aller discuter avec Shinichi Mochizuki de sa fameuse démonstration de la conjecture ABC basée sur sa "Inter-universal Teichmüller theory".

Ils viennent de sortir un papier qui explique en quoi la démonstration n'est toujours pas complète, voire fausse.

Mochizuki a publiquement répondu, en créant cette page sur son site web, et ce qu'on peut dire c'est qu'il n'y va pas de main morte pour critiquer Scholze et Stix qui sont pourtant des gros pontes...

Un article de vulgarisation remarquable sur le sujet est disponible (en anglais) sur Quanta.

Affaire à suivre !

Réponses

  • Merci pour les infos,
    La math-drama!
  • Bonjour Héhéhé,

    merci pour ces liens.
    Il y a de quoi réfléchir sur la notion de preuve en mathématiques non ?


    S
  • Je ne sais plus quel spécialiste de la théorie de la démonstration avait dit qu'une preuve usuelle était un texte (ou un discours) destiné à convaincre la lectrice (ou l'interlocutrice) qu'il existait une preuve formelle du résultat annoncé. Pour l'instant, Mochizuki peine à convaincre.
  • C'est clairement un succès puisque puisque Scholze et Stix ont publiés une explication courte en pointant une potentielle erreur concrète. Il est maintenant plus aisés à des experts en théorie des nombres de relire les parties concernées et de se faire leur propre idée, et donc d'accélérer la validation/non-validation de la preuve.
  • J'ai vraiment du mal à comprendre l'attitude de Mochizuki. Ca fait 6 ans que tout le monde réclame des explications, par exemple sous la forme d'un papier qui comprendrait le strict minimum pour démontrer ABC (apparemment la théorie développée en toute généralité n'est pas nécessaire pour la conjecture et obscurcit le truc) et des réponses précises à certaines questions (notamment sur le fameux corollaire 3.12 et maintenant sur le papier de Scholze et Stix) et en général la réponse est "vous n'avez pas assez étudié IUT, plongez-vous pendant des mois sur la question et la Vérité de la Lumière vous apparaitra"...
  • Il faut bien comprendre la mentalité japonaise. Cet homme a probablement mis toute son énergie pendant des années dans cette théorie. C'est l'oeuvre de sa vie. Au fond de lui, si faute il y a, il doit déjà s'en être rendu compte mais l'avouer serait une sorte d'humiliation totale, (qui pourrait conduire à son suicide.)
  • N'est-ce pas un peu caricatural, ce que tu dis, Cyrano?
  • Je connais assez bien le japon, j'y suis allé souvent, et même si le taux de suicide diminue (lentement), il reste très haut en particulier pour les hommes qui sont dans une situation d'indignité, notamment par rapport à leur emploi. Tout dépend de la personnalité de l'individu mais quelqu'un qui veut à ce point ne pas admettre qu'il a commis une erreur est, à mon sens, déjà dans une course folle pour éviter la honte, ce qui peut laisser présager une réaction extrême si cette honte devient publique et officielle.
  • Il est possible que cela joue, effectivement... Après Mochizuki a vécu aux USA entre 5 ans et 25 ans (y compris pour faire sa thèse) donc on peut aussi penser qu'il a également des influences occidentales...
  • Ça me rappelle mon ancien professeur d'arithmétique a Pierre et Marie Curie, Mr Oesterlé qui a formulé la conjecture.

    Al-Kashi
  • Il y a du nouveau : les papiers de Mochizuki ont été "accepted for publication" par le journal de son université (dont il est éditeur en chef).

    Apparemment il n'y a pas eu de changement majeur depuis la visite de Scholze et Stix, en particulier pas d'aménagement au vu de leurs remarques concernant ce fameux corollaire 3.12.
    C'est une situation assez folle tout de même. Bref, on n'a pas encore vu le fin mot de l'histoire, mais je me demande dans quelle mesure ça peut avancer (surtout si c'est publié : est-ce que toutes les personnes qui font de la théorie des nombres vont devoir vérifier à chaque fois que leur papier ne repose pas sur un papier publié par quelqu'un qui utilise les résultats de IUTT ? Parce qu'il est clair que la publication ne changera rien au caractère "non accepté" du résultat...)
  • À part l'auteur et son fan-club, je crois que personne n'est convaincu par Mochizuki. Donc il est fort probable que le papier ne soit tout simplement pas utilisé comme base pour établir de nouveaux résultats.
  • J'ai peur que certains opportunistes profitent du fait que le résultat est publié pour pondre des articles sur des conséquences d'ABC.
  • Question très naïve, mais ça ne risque pas de saborder pour des années la réputation du journal de son université? Je me doute bien que s'il a accepté le papier en tant qu'éditeur en chef, c'est qu'il s'en fiche un peu, mais là, il fait une sacré crasse à quiconque reprendra ce poste après lui non?
  • Sauf si le repreneur a la décence de retirer l'article de Mochizuki.
  • On peut très bien avoir des théorèmes de la forme (ABC) => T. Il ne faut pas en conclure que T est un théorème sans avoir préalablement une preuve de ABC, c'est tout.

    Cela étant j'ai l'impression qu'on assiste à un effondrement de l'éthique scientifique (pour un sujet d'actualité, voyez le buzz provoqué par un certain médecin en vue qui ose se dire "épistémologiste" dans un interview récente). Mochizuki bafoue allègrement la notion de charge de la preuve, critique les détracteurs dans leur rôle de sceptique et j'en passe.
    Une fonction est un ensemble $f$ de couples tel que pour tous $x,y,z$, si $(x,y)\in f$ et $(x,z)\in f$ alors $y = z$.
  • Juste une hypothèse (je ne sais même pas ce qu'est la conjecture ABC ou si je l'ai su je l'ai aussitôt oublié). Imaginez que le mathématicien sache qu'il a fait une faute mais qu'il pense tout de même que son article pourra conduire au bon résultat, qu'il contient des idées valables que d'autres pourront exploiter. Où est le mal à le publier? La seule chose serait de le publier comme un article faux ou bien de dire en quoi ses contradicteurs se trompent.

    En 1847 Lamé a publié sous l'autorité de Liouville une fausse démonstration du théorème de Fermat qui a, je crois, été une grande avancée. Liouville a signalé lors de la publication que l'article était faux... mais intéressant. Alors que j'avais fait une erreur (corrigée le jour même) dans une démonstration un de mes professeurs m'a cité cette phrase de Thom que je trouve très belle:" le contraire du vrai ce n'est pas le faux mais l'insignifiant"
  • Foys a écrit:
    On peut très bien avoir des théorèmes de la forme (ABC) => T

    Il y en a déjà quelques-uns.
  • À propos de la phrase de René Thom, on lit dans Le vrai, le faux, l’insignifiant (que je n'ai pas lu) que la citation est plutôt "Ce qui limite le vrai, ce n’est pas le faux, c’est l’insignifiant.". Voici une citation plus longue dans laquelle apparaît cette phrase : la carte du sens. Je ne sais pas trop quoi penser de cette carte...
  • Mauricio : oui, mais là ce n'est pas du tout ce à quoi on assiste. Mochizuki refuse de compléter sa preuve (il considère qu'elle est complète, malgré les remarques de Scholze-Stix), et l'article va être publié comme un article.
    Il paraît (mais ma seule source est un ami, donc je ne sais pas d'où il tire ça) que l'article serait préfacé d'une mention du type "pas encore fully reviewed" (mais dans ce cas-là, à quoi bon publier ??)

    D'autant qu'ici les idées ne sont pas claires : si j'ai bien compris, selon Scholze, il n'est pas clair qu'il "se passe quelque chose" dans les papiers, à part justement à partir du fameux corollaire 3.12

    Je me pose la même question que Chat-maths, et d'ailleurs je me demande si ça ne vas pas entraîner des chutes de réputation ou de citations pour pas mal de gens ("ah non ça je ne cite pas, il y a un risque que ça utilise IUTT")

    Quelque chose d'assez fou : cet article a l'air de complètement se fiche de l'avis de Scholze et Stix, et présente Mochizuki comme un "génie" qui aurait "triomphé" (ce triomphe étant démontré par l'acceptation de publication - c'est fou)
  • Maxtimax a écrit:
    Quelque chose d'assez fou : cet article a l'air de complètement se fiche de l'avis de Scholze et Stix, et présente Mochizuki comme un "génie" qui aurait "triomphé" (ce triomphe étant démontré par l'acceptation de publication - c'est fou)

    Peut-être parce que le site en question est japantimes et que Mochizuki se trouve être... japonais ? (:D
  • D'après un article paru dans "Nature", la "preuve" écrite dans un style "impénétrable" présente des concepts totalement inconnus de la communauté mathématique, "comme si ça avait été écrit par un extra-terrestre".
    Son auteur refuse toute explication de son travail, décline toutes les invitations à des séminaires.
    Les imperfections d'une preuve pourraient être l'objet de débats intéressants, encore faut-il que le principal intéressé joue le jeu ! Faltings déplore que l'auteur ne communique pas clairement ! Il se contente de répondre que ceux qui le critiquent n'ont rien compris à son oeuvre. Ça rappelle le comportement de certains "shtameurs" !
    Finalement, que cette "preuve" de 600 pages soit publiée ou pas ne change rien au fait qu'elle n'est toujours pas validée par les experts.

    https://www.nature.com/articles/d41586-020-00998-2
    ...
  • raoul.S : oui j'avais bien fait le lien, ça ne change rien, je trouve ça relativement fou de la part des personnes qui l'ont rédigé. ça fait nationalisme à 2 balles à peine caché...

    df : je suis d'accord avec toi
  • Dans un autre article, on apprend que Gerd Faltings a été le directeur de thèse de Mochizuki. De l'avis de certains, la preuve de Mochizuki est très imprégnée par le style de Faltings: énormément d'abstraction, très peu d'explications et de "philosophie".
    ...
  • Je ne suis pas capable de juger de la validité de l'article de Mochizuki mais je ne trouve pas normal qu'on le laisse publier dans une revue dont il est éditeur.
  • Sylvain : apparemment c'est quelque chose qui se fait souvent, tant que l'auteur ou autrice ne prend pas part au processus de refereeing, ce qui semble être le cas ici.
    Le souci c'est que dans cette situation, les referees en l'occurrence font certainement partie du cercles de "potes" de Mochizuki (puisque personne d'autre que ledit cercle n'est prêt à dire que la preuve est correcte, si les referees l'acceptent...)
  • Même si je suis très loin de ces problématiques, quand je lis que la preuve fait 600 pages...::o je me dis qu'une erreur est très probable, si en plus le style de la preuve est "impénétrable" voire "extra-terrestre"... ça me rappelle certains posts de Pablo.

    Blagues à part avec 600 pages, même si la preuve est correcte, elle n'est par définition pas élégante.
  • raoul.S a écrit:
    Blagues à part avec 600 pages, même si la preuve est correcte, elle n'est par définition pas élégante.

    Ce n'est pas évident. Une preuve bien structurée peut être à la fois longue et élégante. J'ai en tête une preuve d'une centaine de pages dont l'argument se décompose en trois ou quatre étapes plus ou moins indépendantes, chacune avec une stratégie claire. Au final, on voit très bien ce que l'on fait. C'est vrai qu'avec 600 pages, on est au niveau au-dessus, mais ce n'est pas obligatoirement mission impossible.
  • @Seirios OK. Quoi qu'il en soit je me demande si le nombre de pages de la preuve n'est pas une indication que la théorie des nombres manque encore de certaines notions nouvelles qui rendraient justement la preuve beaucoup plus courte... et élégante ?
  • Une réaction de Scholze sur l'acceptation du papier de Mochizuki : https://www.math.columbia.edu/~woit/wordpress/?p=11709#comment-235940
  • Et il y a maintenant une réponse de Dupuy à Scholze. Ce sont justement les deux spécialistes que j'avais le plus envie de lire à ce sujet, espérons que leur dialogue va aboutir à quelque chose dans un sens ou l'autre...
  • Ca devient très malsain cette histoire. On va se retrouver avec l'absurdité d'un théorème considéré comme prouvé au Japon mais non-prouvé dans le reste du monde.
    La preuve de Mochizuki a été fortement critiquée par des experts mondiaux (Scholze, etc ...) mais je vois maintenant que, d'autre part, il est soutenu par de très grands spécialistes comme Kashiwara, dont les capacités intellectuelles peuvent difficilement être remises en cause.
    Il semblerait donc bel et bien que le problème se situe au niveau éthique et qu'une certaine forme de nationalisme japonais soit en train de prendre le dessus sur la démarche scientifique.

    À titre personnel, j'ai un article récemment accepté au RIMS et ça m'ennuie de voir que ce journal va probablement s'effondrer à cause de ça. :-D
  • Il n'y a plus qu'à l'implémenter dans Coq pour être sûr, ce qui prendra trente ans de plus :-D
  • Avant de pouvoir l'éccrire en Coq, il faut déjà l'avoir comprise, sinon c'est peine perdue :-D
  • Tu as l'air de plaisanter Sylvain, mais vu que c'est un argument qui revient souvent sur ce sujet ("il suffit de mettre la démo dans un vérificateur de preuves"), il a déjà été dit à plusieurs reprises qu'un vérificateur de preuves serait inutile pour cette situation. Premièrement, la charge de travail pour un tel travail est colossale (plusieurs décénies de travail) et surtout, le problème ici est avant tout que les arguments de la démonstration ne sont pas clairs. En d'autres termes, si la démonstration était suffisamment comprise, claire et écrite à un niveau de détail suffisant pour la rentrer dans un vérificateur de preuves, nous saurions déjà si elle est correcte ou non.

    Pour faire un parallèle, c'est comme si on demande de démontrer que pour tout nombre réel $x$, on a $x + 1 > x$ et que la démonstration à vérifier est "c'est évident". Bonne chance pour entrer cette démonstration dans un correcteur d'épreuves!
  • Héhéhé a écrit:
    et que la démonstration à vérifier est "c'est évident". Bonne chance pour entrer cette démonstration dans un correcteur d'épreuves!
    Ca va dépendre de comment sont définis les réels et "<" dans le vérificateur de preuves.

    D'autre part "il nous faudrait 50 ans pour résoudre le problème par la méthode A" n'entraîne pas que "A est inutile".
    Une fonction est un ensemble $f$ de couples tel que pour tous $x,y,z$, si $(x,y)\in f$ et $(x,z)\in f$ alors $y = z$.
  • Foys : je crois que tu manques le point essentiel de Hehehe (qui est aussi celui que j'ai abordé) : l'argument n'est pas que puisque c'est long c'est inutile, l'argument est que si on comprend assez la preuve pour la rentrer dans un logiciel de vérification (jusqu'à maintenant, pour écrire de telles preuves il faut en avoir une compréhension très fine), alors on n'en sera plus à débattre pour savoir si elle est juste ou pas : on le saura !
  • Foys, ce que je voulais dire c'est que les arguments informels ne peuvent pas être rentrés directement dans un vérificateur de preuve, il faut décortiquer en détails tous les passages du genre "c'est évident", "il est connu que", "sans perte de généralités", "on identifie", etc.

    Pour rentrer la preuve de $x+1 > x$ pour tout nombre réel $x$ dans un vérificateur, il faut bien connaitre d'où on part et où on veut arriver (comme tu le dis, comment est défini >, comment sont définis les réels, quelles propriétés on a déjà, etc.).

    Si j'ai bien suivi, les gens commencent à avoir bien décortiqué la preuve de Mochizuki et le problème est vraiment qu'il fait des conclusions et les gens ne comprennent pas d'où ça sort (le fameux corollaire 3.12).

    Il y a aussi apparemment un problème d'identification des objets (c'est discuté notamment par Scholze dans les commentaires de ce billet), je ne comprends pas le propos bien évidemment, mais Scholze dit en gros qu'il ne comprends pas l'argument et que rien n'est clair pour lui, donc sur ce genre de problème, un vérificateur de preuves est inutile.

    D'ailleurs je pense que c'est un des problèmes de passer d'une preuve sur papier à une preuve formelle, on passe notre vie à identifier plein d'objets alors qu'ils sont différents sans même s'en rendre compte. Rien que d'écrire $\mathbb N \subset \mathbb Z$... La théorie des corps aussi est un exemple assez frappant! Pareil pour les structures, en considérant un anneau $(A,+,\cdot)$, on parle de $A$ dans une preuve papier sans toujours préciser si on parle de l'ensemble $A$, de l'anneau, du groupe additif, etc. Sur des preuves avec énormément d'objets qui peuvent être vus différemment selon les structures considérées, des isomorphismes permettant d'identifier sans le dire dans tous les sens, ça devient vite le bordel.
  • Taylor Dupuy et Anton Hilado viennent de déposer un papier sur arXiv. Ils annoncent que deux autres suivront.

    Apparemment, ils seraient parvenus à extraire des énoncés potentiellement intéressants des travaux de Mochizuki et à nettoyer une partie de son charabia.

    Edit. En fait, deux papiers sont sortis hier.
    [ arxiv:2004.13108 ] et [ arxiv:2004.13228 ]
  • @Bintje: oui, Dupuy avait déjà posté des versions sur twitter, et il y a aussi 3e papier annoncé dont l'appendice, qui est une table sur les interprétations de nombreuses définitions, est sur la page de Dupuy Dupuy papers Je suis trop loin du sujet pour avoir un avis éclairé, mais manifestement ces papiers seront utiles.
Connectez-vous ou Inscrivez-vous pour répondre.
Success message!