Théorie des représentations modulaires

Suite au post de @Homo Topi sur les applications de la théorie des représentations, j'ai rédigé un petit lexique (bien évidemment non-exhaustif) sur quelques notions clés, propres à la caractéristique positive $p$, de la théorie des représentations modulaires, théorie dont la naissance est historiquement associée au nom de Richard Brauer (1901-1977), véritable continuateur des travaux de Frobenius dans le domaine des représentations linéaires.
J'espère rendre compte avec assez de fidélité des explications que certains ont eu l'amabilité de me fournir ou celles que j'ai glanées ici ou là.

• Quand un $p$-sous-groupe $D$ d'un groupe fini $G$ est-il un groupe de défaut pour un certain $p$-bloc de $G$ ?

• Est-il vrai qu'un $p$-bloc $B$ d'un groupe fini $G$ associé à un groupe de défaut $\delta(B)=_G D$ possède au plus $|D|$ caractères ordinaires irréductibles ?

• Pourquoi tous les $p$-groupes d'ordre $p^2$ sont abéliens alors que ce n'est pas le cas de tous les $p$-groupes d'ordre $p^3$ ?

• Soit $G=\mathfrak{S}_n$ le groupe symétrique d'ordre $n$.
Déterminer la dimension des $k[G]$-modules simples quand $k$ est un corps de caractéristique première $p$.


Ces questions et tant d'autres relèvent de la théorie des représentations modulaires des groupes finis; domaine riche de problèmes ouverts. J'ai cherché, dans la mesure du possible, à en comprendre plus précisément deux: la "conjecture "hauteur zéro" et la conjecture $k(B)$ de Brauer.

J'attache en lien, un article en forme d'hommage écrit par Walter Feit sur son ancien collègue Richard Brauer.
Feit livre une analyse biographique et mathématique des travaux de Brauer commencés au début des années 20 dans les universités de Fribourg, Berlin et Königsberg.
Les persécutions nazies le forcent à l'exil. Il doit quitter les universités Allemandes dont il regrettera "l'atmosphère intellectuellement épanouissante". Il embarque sur un bateau en direction des Etats-Unis avec un dictionnaire "Allemand-Anglais" en poche. Sa soeur ayant choisi de rester en Allemagne mourra en déportation. Aux Etats-Unis, les travaux de sa période allemande sont un peu passés de mode. C'est alors qu'il entreprend des recherches sur les représentations "modulaires" qui l'occuperont jusqu'à la fin de ses jours.
Un petit problème de terminologie se pose à Feit et d'après ce que j'ai compris, à Jean-Pierre Serre également: il aurait été plus juste mathématiquement que cette théorie se prénomme: "Théorie des représentations sur un domaine local et leurs corps de classe résiduel"... Bien moins "vendeur" que "modulaire".


$\textbf{Éléments de théorie des anneaux}$

Soit $R$ un anneau avec élément unité $1_R$.

• Un élément $0 \neq e \in R$ est un $\textbf{idempotent}$ si $e^2=e$.

• Deux idempotents $e_1$ et $e_2$ sont orthogonaux si $e_1e_2=e_2e_1=0$.

• Un idempotent est primitif si il n'est pas la somme de deux idempotents orthogonaux: si $e=f+g$ avec $fg=0$ alors $f=0$ ou $g=0$.

• Un élément $e$ de $R$ est $\textbf{primitif central}$ si il est dans le centre $Z(R)$ de $R$ et si il n'est pas la somme de deux idempotents orthogonaux du centre de $R$.

• Soit $R=R_1 \oplus R_2 \oplus...\oplus R_n$ la décomposition de $R$ en somme directe de ses idéaux non nuls $R_i$.
Soit $\{e_i\}$ un ensemble d'idempotents centraux orthogonaux par pairs.
Les éléments $e_i$ de $R$ vérifient: $1_R=e_1+e_2+...+e_n$, où chaque $e_i$ appartient à $R_i$.
De plus, $R_i=e_iR$ est un anneau avec élément unité $e_i$ pour chaque $i$.

Inversement, si $\{e_i\}$ est un ensemble d'idempotents centraux, orthogonaux par pairs, alors $\big(\sum e_i\big)R=\bigoplus e_iR$.
$e_iR$ est un idéal de $R$ et $e_iR=Re_i$ car chaque $e_i$ est central.

•Soit $M$ un $R$-module. Alors $M$ est $\textbf{décomposable}$ si il existe deux sous-modules $M_1$ et $M_2$ non-triviaux de $M$ tels que $M=M_1 \oplus M_2$. Il est indécomposable sinon.


$\textbf{Algèbre de groupe}$

Une algèbre de groupe $k[G]$ pour un groupe $G$ et un corps $k$ algébriquement clos, de caractéristique $p$ ($p$ premier divisant l’ordre de $G$) est un $k$-espace vectoriel ayant pour base $\{e_g|g \in G\}$ indexée par les éléments de $G$.
Tout élément de $k[G]$ est une combinaison linéaire finie de la forme $\sum_{g \in G} \alpha_g g$ avec $\alpha_g \in k$.
Si la caractéristique de $k$ divise l’ordre de $G$, l’algèbre de groupe $k[G]$ n’est plus semi-simple et les $k[G]$-modules ne sont alors plus nécessairement sommes directes de modules simples, ce qui rend leur classification nettement plus difficile.

$\textbf{Blocs d'un anneau-Blocs d'une algèbre de groupe}$

Dans un article intitulé « On blocks of representations of finite groups », Brauer définit les blocs comme une partition de l’ensemble des caractères irréductibles d’un groupe $G$ d’ordre fini: « The irreducible characters $\chi_1, \chi_2,…,\chi_k$ are distributed into disjoint sets, the $p$-blocks of $G$."
L'idée à l'origine des travaux de Brauer est de déduire des informations sur les caractères d'un groupe $G$ en fonction de l'appartenance de ces caractères à des blocs à différentes valeurs de défaut $(d=0,1,2,3,...)$.

• En théorie des anneaux, il y a bien une dualité entre les $e_i$; idempotents primitifs centraux de $R$ et les idéaux non nuls indécomposables de $R$.
De tels $e_i$ vérifient: $e_1+…+e_n=1_R$ et apparaissent dans la décomposition:

\begin{equation}
R=Re_1\oplus Re_2 \oplus…\oplus Re_n
\end{equation}

où chaque $Re_i$ est un idéal bilatère indécomposable car ne pouvant s’écrire comme une somme directe de deux idéaux non triviaux de $R$.

Si maintenant on choisit un $R$-module $M$ quelconque, la décomposition de l’anneau $R$ induit celle de $M$ en somme directe:
\begin{equation}
\displaystyle M= \bigoplus_{i=1}^n M_i=M_1\oplus M_2\oplus…\oplus M_n
\end{equation}

Bien sûr, si le $R$-module $M$ choisi est $\textbf{indécomposable}$ et différent de $\{0\}$, alors un seul des $M_i$ n’est pas l’idéal $\{0\}$ et nous dirons que $M$ appartient au bloc $Re_i$. Cette appartenance se traduit par le fait que $Me_i=M$ pour une unique valeur de $i$.

Cela nous amène à la définition suivante: Soit $e$ un idempotent central primitif d’un anneau $R$. Le $\textbf{bloc}$ $B=B(e)$ associé à $e$ est l’ensemble de tous les $R$-modules $M$ de type fini vérifiant $Me=M$. On dit alors que $M$ appartient au bloc $B=B(e)$. (W.Feit)

• Brauer a abordé l'étude des représentations modulaires par le versant des algèbres de groupes $k[G]$ où $k$ est un corps de caractéristique $p$ divisant l'ordre de $G$.
Les blocs de $k[G]$ (ou les $p$-blocs de $G$) sont alors les termes de la décomposition en somme directe d'idéaux bilatères indécomposables sur un anneau de valuation; là encore, "indécomposables" signifiant que ces idéaux ne s'écrivent pas comme une somme directe de deux idéaux propres de $A$ ou de $A_i$. (W. Feit)
Tel qu'il a été défini par Brauer, un $e_i$-bloc d'une algèbre de groupe $k[G]$ consiste en l'ensemble de tous les $k[G]$-modules $M$ vérifiant $e_iM=M$.

$\textbf{Défaut d'un caractère}$

Le défaut $d(\chi)$ du caractère irréductible $\chi$ est l'exacte puissance de $p$ divisant l'entier $\displaystyle \frac{|G|}{\chi(1)}$.

$\textbf{Défaut d’un bloc}$

Soit $G$ un groupe fini avec $|G|=p^am$, $p$ ne divisant pas $m$. Alors le défaut $d=d(B)$ d’un $p$-bloc $B$ est le plus petit entier naturel $d$ tel que $p^{a-d}$ divise $\chi(1)$ pour tout caractère $\chi$ contenu dans $B$.
On peut le formuler en fonction d'un caractère $\chi$:
\begin{equation}
\displaystyle d(B)=\underset{\chi \in B}{\max}d(\chi)
\end{equation}

$\textbf{Groupe de défaut d'un bloc}$

Le groupe de défaut peut-être abordé à différents niveaux de complexité.

Soit $G$ un groupe fini avec $|G|=p^am$, $p$ ne divisant pas $m$.
Au niveau $0$ de cette tour de complexité qu'est la théorie modulaire, disons qu'un groupe de défaut est un $p$-sous-groupe de Sylow d'ordre $p^d$ de $G$.
Une définition plus élaborée s'appuie sur les classes de conjugaison de $G$.

• Pour chaque classe de conjugaison $\mathscr{C}$ de $G$, avec $g_\mathscr{C} \in \mathscr{C}$, on définit à conjugaison près, le groupe de défaut $\delta(\mathscr{C})$ de $\mathscr{C}$ comme le $p$-sous-groupe de Sylow de $C_G(g_\mathscr{C})$, le centralisateur dans $G$ de l'élément $g_\mathscr{C}$ de $\mathscr{C}$. (J-B Gramain)

Il faut donc bien distinguer le défaut d'un caractère, celui d'une classe de conjugaison, celui d’un bloc et le groupe de défaut qui, comme son nom l'indique, est un groupe et non une grandeur arithmétique.

$\textbf{Hauteur d'un caractère}$

Soit $G$ un groupe fini avec $|G|=p^am$, $p$ ne divisant pas $m$. Soit $\chi$ un caractère irréductible de $G$ appartenant à un $p$-bloc de défaut $d$.
La $\textbf{hauteur}$ de $\chi$ est la puissance de $p$ divisant l’entier:
\begin{equation}
\displaystyle \frac{\chi(1)}{p^{a-d}}
\end{equation}

$\textbf{Conjecture "hauteur zéro" de Brauer, (1955)}$

(HZC1): Un $p$-bloc $B$ d’un groupe fini possède un groupe de défaut abélien si et seulement si tout caractère irréductible ordinaire de $B$ est de hauteur zéro. 

$\textbf{Conjecture k(B) de Brauer}$

Si $B$ est le $p$-bloc de défaut $d$ d'un groupe fini $G$, et $k(B)$ le nombre de caractères ordinaires irréductibles appartenant à $B$, alors
\begin{equation}
\displaystyle k(B) \leq p^d
\end{equation}
Cette conjecture a été vérifiée pour les blocs de certains groupes $[3]$. Elle possède de nombreuses déclinaisons.
Par exemple, si $B$ est un $2$-bloc avec groupes de défaut abélien d'ordre $64$, alors on démontre que $k(B) \leq 3\times 64$.


$\textbf{Quelques références}$

[1]. Bourbaki-Éléments de mathématiques-algèbre-chapitre 8, 2006.
[2]. The representation theory of finite groups. Walter Feit-North Holland publishing company, 1982.
[3]. Représentations unipotentes génériques et blocs des groupes réductifs finis. Michel Broué, Gunter Malle, Jean Michel-Astérisque-SMF, 1993.
[4]. Generalized block theory-Thèse de Jean-Baptiste Gramain-Université Claude Bernard, Lyon I, 2005.
[5]. Solution of Artin's conjecture on L-series with general group characters. Richard Brauer-AMS colloquium lectures at Madison, 1948.
[6]. Theory of finite simple groups. Gerhard Michler-Cambridge University Press, 2006.
[7]. Pioneers of representation theory. Charles W. Curtis-American Mathematical Society, 1999.
...

Réponses

  • Super idée ce fil ! Si des personnes sont motivées, je peux essayer d'expliquer comment on peut obtenir des infos concrète sur les représentations de $\mathfrak S_n$ en caractéristique positive en utilisant des faisceaux.
  • Salut Lupulus,

    Vu que tu as l'air motivé, je ne te garantis pas de comprendre mais au moins de te lire !
  • Lupulus: pareil que Goleon !
    Tu en as trop dit ! Tu ne peux plus faire machine arrière.
    ...
  • Super ! Bon dans quelques jours je vais écrire un petit post alors. :-D
  • Bonjour,

    je sens que ce qui risque d'arriver va être d'une violence inouïe (c'est le mot $\textbf{"faisceaux"}$ qui me le fait dire), aussi je propose cet exercice pratique pour mieux cerner ces concepts.
    Je serai ravi, dès que j'en aurai le temps et dès que j'en aurai assimilé les moindres détails, d'en rédiger une solution complète.

    Soient $k$ un corps et $G=\mathfrak{S}_3$.
    • Combien l'algèbre de groupe $k[G]$ possède-t-elle de blocs si la caractéristique de $k$ est $2$ puis $3$ ?

    • Même question avec $G=\mathfrak{S}_4$.

    Sauf erreur, l'idée est d'établir la table de caractères de $G$, puis de calculer les idempotents centraux pour $k[G]$ grâce à une formule (à préciser) de la forme suivante :
    \begin{equation}
    \displaystyle e_{\chi}=\frac{\chi(1)}{|G|}\sum_{g \in G}\chi(g^{-1})g.

    \end{equation} Enfin, il reste à savoir comment les $e_i \in k[G]$ se répartissent dans les différents blocs.
    Comme déjà mentionné, le fait que la caractéristique de $k$ divise ou non l'ordre de $G$ change en profondeur la structure de $k[G]$.

    Une précision concernant l'algèbre de groupe. La littérature anglo-saxonne dans ce domaine a quelques expressions qui peuvent sembler ambiguës comme "group algebra" ou "group ring".
    Dans le premier message, l'algèbre de groupe $k[G]$ était définie comme un $k$-espace vectoriel muni d'une base abstraite $\{e_g\:|\:g \in G \}$ et d'une multiplication: $k[G] \times k[G] \longrightarrow k[G]$ définie par $e_g.e_h=e_{gh} \: \: \forall g,h \in G$.

    L'expression $k[G]$-module indique que $k[G]$ est aussi un anneau. Plus précisément, c'est un anneau dont $k$ est un sous-anneau !
    On dira que cet anneau est commutatif si $G$ est abélien.
    Pour en revenir à l'exercice : que donnerait $k[G]$ dans le cas où $k=\mathbb{C}$ et $G=\mathfrak{S}_3$ ?
    En notant $1$ l'identité de $\mathfrak{S}_3$, un élément de $k[G]$ pourrait être: $\displaystyle \sqrt{7}e_{(1\:2)}$, un autre: $\displaystyle 2e_{(1\:2)}+\frac{1}{4}e_{(1\:2\:3)}$ et leur produit: $\displaystyle 2\sqrt{7}e_1+\frac{\sqrt{7}}{4}e_{(2\:3)}$ car $(i\:j) \circ (i\:j)=Id$ (la transposition est involutive).

    À suivre.
    ...
  • Un commentaire sur ce que tu écris : tu as l'air de t'étonner qu'une $k$-algèbre soit un anneau contenant $k$, c'est pourtant immédiat par définition. De même pour la phrase "On dira que cet anneau est commutatif si $G$ est abélien.". On dirait que tu donnes ça comme une convention, alors que c'est un résultat immédiat à établir.
  • Exact ! Cette phrase est maladroite: j'ai moi-même tiqué au moment de l'écrire. Je m'embrouille un peu aussi à force de passer de l'anglais au français et du français à l'anglais.
    ...
  • Je souhaitais revenir sur un élément essentiel à l'origine de la théorie modulaire.
    Tout n'est pas encore parfaitement clair dans mon esprit, aussi, si quelqu'un détecte une erreur, une approximation ou si il veut apporter des précisions, qu'il ou elle ne se gêne pas.

    $\textbf{Théorème}$: soient $k$ un corps, $G$ un groupe fini et $k[G]$ une algèbre de groupe.
    Si la caractéristique de $k$ divise l'ordre de $G$, $k[G]$ n'est pas semi-simple.

    L'idée est de montrer que, pour chaque idéal à gauche de $k[G]$, $\textbf{il n'existe pas}$ d'idéal à gauche $J$ tel que $I \oplus J=k[G]$ (i.e. $I \cap J = \emptyset$ et $I+J=k[G]$).

    On pose $I:=\{\sum_{g \in G} a_g.g:\: a_g \in k, \: \text{tel que} \: \sum a_g=0\}$, un idéal blatère de $k[G]$.
    Chacun aura reconnu en $I$, $\textbf{l'idéal d'augmentation}$ de $k[G]$, c'est-à-dire le noyau de l'application augmentation $\displaystyle \omega: \: k[G] \longrightarrow k$ définie par:
    \begin{equation}
    \displaystyle \omega\big(\sum_g k_g.g\big)=\sum_g k_g
    \end{equation}
    avec $.$ la loi multiplicative de $G$, $k_g \in k$ et $g \in G$.

    Supposons que $k[G]=I \oplus J$ pour un certain idéal à gauche $J$ de $k[G]$.
    Alors $\dim J=1$. $\textbf{Pourquoi ?}$
    $k[G]$ a été défini comme un espace vectoriel sur $k$. La dimension de $k[G]$ en tant que $k$-espace vectoriel est l'ordre (fini !) de $G$ sur $k$.
    Le théorème du rang énonce que la dimension de l'idéal $I$ en tant que $k$-espace vectoriel est $n-1$. Son complément $J$ est alors de dimension $1$.

    Un raisonnement alternatif est le suivant: on sait que $I= \ker \omega$. Par le théorème d'isomorphisme, on a un isomorphisme de $K$-algèbres:
    \begin{equation}
    \displaystyle k \cong k[G]/I
    \end{equation}

    En considérant les dimensions sur $k$ des deux côtés du signe isomorphe:

    \begin{equation}
    \displaystyle \dim_k (k[G])-\dim_k (I)=|G|- \dim_k(I)=\dim_k(k)=1
    \end{equation}
    Et donc
    \begin{equation}
    \displaystyle \dim_k(I)=|G|-1
    \end{equation}
    Par hypothèse, $k[G]=I \oplus J$. On a donc également:
    \begin{equation}
    \displaystyle |G|=\dim_k k[G]=\dim_k(I)+\dim_k(J)=|G|-1+\dim_k(J)
    \end{equation}

    On en déduit que $\dim_k(J)=1$. Donc l'idéal $J$ est engendré sur $k$ par $\textbf{un seul élément}$ de $k[G]$, disons $\alpha=\sum_g b_g.g$.
    Puisque $\alpha g$ est un scalaire multiple de $\alpha$ pour tout $g \in G$, tous les $b_g$ doivent être égaux à un certain $b \in k$.
    $\alpha=b(\sum_g g)$ appartient donc à l'idéal $I$ puisque la somme de ses coefficients est $|G|b=0$. Ce qui signifie que, si il existe, l'idéal $J$ ne peut pas vérifier $I \cap J=\emptyset$.
    $\textbf{cqfd}$.

    Il eut été plus logique de commencer par la démonstration du fait que si la caractéristique de $k$ ne divise pas l'ordre de $G$ alors $k[G]$ est semi-simple mais elle plus calculatoire. J'y reviendrai.

    Pour finir: un algébriste distingué m'a soufflé une deuxième démonstration de la non semi-simplicité de $k[G]$. Je ne l'ai pas comprise car je n'ai pas encore vu la notion de $\textbf{radical de Jacobson}$. Je la donne quand même car il paraît qu'elle est (selon son auteur) $\textbf{"la plus simple possible"}$.

    Sous les hypothèses énoncées plus haut, $k[G]$ n'est pas semi-simple: en effet, si $k[G]$ contient un $\textbf{élément nilpotent central non nul}$, il se trouve nécessairement dans le radical de Jacobson et les anneaux semi-simples n'ont pas de radical de Jacobson non trivial. Un tel élément central nilpotent écrit sous la forme $x=\sum_{g \in G} g$ vérifie $x^2=|G|x$ et si la caractéristique de $k$ divise $|G|$ alors le côté droit de cette dernière égalité est $0$.
    $\textbf{cqfd}$.

    Je n'oublie pas les deux exercices que j'ai moi-même proposé (je n'aurais peut-être pas dû !).
    Je m'y attaquerai dès que j'aurai résolu l'avalanche de problèmes qui me tombe dessus ces derniers jours. Problèmes n'ont rien de mathématiques hélas !

    Cordialement.
    ...
  • Bonjour,

    • Math Coss m'objecte à juste titre que dans la phrase: "L'idée est de montrer que, pour chaque idéal à gauche de $k[G]$, il n'existe pas d'idéal à gauche $J$ tel que $I \oplus J=k[G]$", le mot $\textbf{chaque}$ est une approximation car il existe souvent des idéaux qui admettent un supplémentaire. Il est vrai que l'absence de supplémentaire n'est démontrée que pour l'idéal (d'augmentation) $I$.

    • Math Coss souligne l'importance de l'élément $x=\sum_{g \in G} g$ dans le théorème de Maschke lorsque $|G|$ est inversible ainsi que celle du projecteur: $M=\frac{1}{|G|}\sum_{g \in G} g$.
    Notons que cet élément vérifie $gM=Mg$ pour tout $g \in G$ et $M^2=M$. En d'autres termes $M$ est un idempotent central.

    La preuve utilisant le radical de Jacobson est une conséquence du fait qu'une algèbre est semi-simple si elle ne contient pas d'éléments $\textbf{fortement nilpotents}$ non nuls.

    Un élément $\textbf{fortement nilpotent}$ $a$ d’un idéal principal d'une $k$-algèbre annule un produit dès lors qu’il y apparaît un certain nombre $m$ de fois comme dans toute expression de la forme: $ax_1ax_2…ax_m$. Tout élément nilpotent appartenant au centre de l’algèbre est aussi fortement nilpotent.

    Si il existe, un tel élément est forcément à rechercher dans le radical de Jacobson de tout anneau, en particulier $k[G]$.
    Son absence prouve qu’une algèbre de groupe $k[G]$ (ou une $k$-algèbre) est semi-simple.

    Il existe un autre critère de semi-simplicité exprimable en termes de représentations pour les algèbre de dimension finie.
    Une $k$-algèbre $A$ est semi-simple si il existe un $A$-module $M$ semi-simple et $\textbf{fidèle}$.
    ...
  • Bonjour,

    je vais essayer d'étoffer un peu le premier lexique en faisant une nouvelle synthèse des notions de base de la théorie des représentations centrée, cette fois, sur les caractères modulaires: pour les comprendre surtout (et pour entretenir la flamme...)

    $\textbf{1. Le problème avec les caractères ordinaires...}$

    D'ailleurs, je me suis rendu compte qu'il était plus facile de comprendre les caractères modulaires que leur utilité dans des applications bien concrètes; utilité qui est réelle bien sûr ! Encore que... sans vouloir écorner le mythe, des auteurs en relativisent la portée notamment quand il s'agit de décrire la complexité de certains modules.
    Ils ont cependant été crée pour remédier aux insuffisances de la théorie classique.
    Et effectivement, ils permettent de sortir de l'ambiguïté car si deux représentations modulaires très différentes peuvent avoir des caractères ordinaires égaux, ces nouvelles fonctions attribuées à tout $K[G]$-module $M$ présentent l'avantage d'être égales si et seulement si les représentations irréductibles associées sont isomorphes.
    Bien qu'ils héritent à peu près des mêmes propriétés et comportements que les caractères ordinaires, (ils se confondent parfois avec eux pour des groupes de tailles modestes), leur construction est un peu plus délicate.

    $\textbf{2. NOTATIONS}$

    Dans tout ce qui suit, $G$ est un $\textbf{groupe fini}$, les représentations sont de degré fini $n$ tous les modules seront générés de manière finie.
    $p$ est un nombre premier, $r$ ,$u$, $v$ des entiers naturels, $\zeta$ est une racine de l'unité.

    L'exposant de $G$ noté $m$ s'écrit $m=p^rm', \: (p,m')=1$.
    Comme il va revenir souvent, j'insiste sur le fait que l'exposant $m$ de $G$ (qu'on va définir) s'écrit toujours sous cette forme: $\large{m=p^rm'}$.

    L'ordre $d$ d'un élément $g \in G$ quelconque s'écrit $d=\langle g \rangle=p^u\mathscr{l}, \: (p,\mathscr{l})=1$.

    L'ordre de $G$ noté $o=|G|$ s'écrit $o=p^vq, \: (p,q)=1$.

    Il semble d'usage courant, quand on définit les caractères modulaires, de noter $\tilde{\zeta}$ une racine de l'unité dans un corps $\mathbb{K}$ dont l'image par une certaine application isomorphe sera simplement $\zeta$. Cette convention "contre-nature" peut-être source de confusion.
    Il faut donc bien avoir en tête qu'à partir de maintenant et jusqu'à la définition des caractères modulaires (seul et UNIQUE but de ce post), $\tilde{\zeta}$ est l'antécédent et $\zeta$ l'image !

    Voilà pour les notations les plus courantes.

    $\textbf{3. Lexique sur les représentations modulaires des groupes finis}$

    $\textbf{Racines primitives}$

    Dans un corps quelconque $K$, un élément $\zeta$ vérifiant $\zeta^n=1$ pour $n$ entier est une racine de l'unité.

    Si, pour un entier positif $n$, $\zeta^n=1$ et pour tout $t$ positif, $t<n$, $\zeta^t \neq 1$, alors $\zeta$ est une racine primitive $n$-ième de l'unité.

    \begin{equation}
    \displaystyle \mu_n=\{\zeta \in K^{\times} : \: \zeta^n=1 \}
    \end{equation}

    est un groupe fini puisque dans tout corps, il y a au plus $n$ solutions à l'équation $\zeta^n=1$.


    $\textbf{Valuation discrète et anneaux de valuation}$

    Soit $K$ un corps et $K^{\times}$ le groupe multiplicatif des inversibles de $K$. Une $\textbf{valuation discrète}$ de $K$ est un homomorphisme surjectif $\mathscr{v}: K^{\times} \longrightarrow \mathbb{Z}$ tel que:
    \begin{equation}
    \displaystyle \mathscr{v}(x+y) \geq \inf (\mathscr{v}(x), \mathscr{v}(y)), \: \: \: x,y \in K^{\times}
    \end{equation}
    On étend $\mathscr{v}$ à $K$ en posant $\mathscr{v}(0)=+\infty$.
    L'ensemble $\textbf{R}$ des éléments $x \in K$ tels que $\mathscr{v}(x) \geq 0$ est un sous-anneau de $K$ appelé anneau de valuation de $\mathscr{v}$ ou anneau des entiers de $K$.
    Il possède un unique idéal maximal: l'ensemble $\mathfrak{m}$ des $x \in K$ tels que $\mathscr{v}(x) \geq 1$.

    On appelle $k=\textbf{R}/\mathfrak{m}$, le "corps résiduel" de $\textbf{R}$.

    Tout ce beau monde va se retrouver dans les systèmes $p$-modulaires !

    $\textbf{Quelques définitions relatives au groupe fini G}$

    Un élément $g \in G$ est $p$-régulier si son ordre $d$ est premier à $p$. Il est dit $p$-singulier si son ordre est une puissance de $p$.

    Soit $g \in G$ d'ordre $d=|\langle g \rangle|=p^u\mathscr{l}$ vérifiant $(p,\mathscr{l})=1$ et $1=ap^u+b\mathscr{l}, \: \: a,b \in \mathbb{Z}$ (relation de Bezout).

    On appelle $g_p:=g^{ap^u}$ et $g_{p'}:=g^{b\mathscr{l}}$ les parties $p$-singulière et $p$-régulière, respectivement, de $g \in G$.
    $\textbf{Note}$: les entiers relatifs $a$ et $b$ sont uniquement déterminés modulo $p^u\mathscr{l}$.

    Tout $g \in G$ s'écrit de manière unique sous la forme d'un produit commutant:$g=g_{p'}g_p=g_pg_{p'}$ où l'ordre de sa partie $p$-régulière $g_{p'}$ n'est pas divisible par $p$ et l'ordre de sa partie $p$-singulière est une puissance de $p$.

    On note $G_{reg}$, (on le trouve parfois noté $G_{p'}$), l'ensemble des éléments $p$-réguliers de $G$ (ceux dont l'ordre est premier à $p$ donc).
    Si par exemple $g \in G$ est un élément $p$-régulier de $G$, son ordre est $d=p^u\mathscr{l} \: (p,\mathscr{l})=1$ avec $u$, la puissance de $p$, égale à zéro puisque $\langle g \rangle$ n'est pas divisible par $p$ et on a: $g=g^ag^{bq}$.

    $\textbf{L'exposant}$ $m=p^rm', \: (p,m')=1$ de $G$ est le plus petit entier positif vérifiant $g^m=1$ pour tout $g$ de $G$.
    $m$ est ainsi le plus petit multiple commun des ordres des éléments de $G$.
    Bien sûr, par Lagrange, l'exposant d'un groupe $G$ divise l'ordre de $G$. Dans le cas cyclique, l'exposant et l'ordre sont égaux.

    Par exemple, le groupe $\mathfrak{S}_3$ contient des éléments d'ordre $2$ comme $\langle (12) \rangle = \{Id, (12) \}$ et d'ordre $3$ comme $\langle (132) \rangle =\{Id, (123), (132)\}$. Son exposant $m$ est donc $6$ bien que $\mathfrak{S}_3$ ne contienne pas d'éléments d'ordre $6$ ! Le cas où un groupe d'exposant $m$ contient un élément d'ordre $m$ ne se présente que si $G$ est abélien.

    Un exercice intéressant: trouver l'ordre et l'exposant du groupe: $U_{24}=(\mathbb{Z}/24\mathbb{Z}^{\times},.)$

    Un sous-corps $K$ de $\mathbb{C}$ est un $\textbf{corps de décomposition}$ pour une représentation irréductible $\rho$ si $\rho$ est irréductible sur toute extension de $K$.
    On dit que $K$ est un corps de décomposition pour le groupe $G$ si $K$ est un corps de décomposition pour toute représentation de $G$.
    Sur un tel corps, chaque représentation irréductible $\rho: G \longrightarrow GL_n(\mathbb{C})$ est équivalente à une représentation $\rho' \longrightarrow GL_n(K)$.
    Ce concept remonte aux travaux de Schur sur les propriétés arithmétiques des représentations; Issai Schur sous la supervision duquel Brauer a travaillé lorsqu'il était étudiant à l'université de Berlin en 1926.

    $\textbf{Note}$: si $K$ est un corps de décomposition de $G$, des modules simples distincts demeurent simples sous divers extensions de $K$ et leurs propriétés inchangées.

    $\textbf{Systèmes p-modulaires}$

    Soit un premier $p$ divisant $|G|=o=p^vq,\:(p,q)=1$. On appelle système $p$-modulaire le triplet $(\mathbb{K}, \textbf{R}, k)$ où:

    • $\mathbb{K}$ est un corps de caractéristique $0$ muni d'une valuation discrète $\mathscr{v}$. Le point important est que $\mathbb{K}$ est suffisamment grand pour le groupe $G$ c'est-à-dire qu'il contient toutes les racines $m$-ième de l'unité où $m$ est l'exposant de $G$.

    • $\textbf{R}$ est l'anneau (local) de valuation discrète des entiers de $\mathbb{K}$ i.e. $\textbf{R}=\{x \in \mathbb{K} \: | \: v(x) \geq 0 \}$.
    Comme déjà mentionné: $\textbf{R}$ est un sous-anneau de $\mathbb{K}$ dans lequel tout idéal premier est maximal.
    On note $\mathfrak{m}$ l'idéal maximal de $\textbf{R}$ contenant $\pi\textbf{R}$ où $\pi$ est un générateur de $\mathfrak{m}$.
    Tout élément de $\textbf{R}$ s'écrit $a=u\pi^s$ pour une unité $u$ de $\textbf{R}$ et $s \in \mathbb{Z}$.

    • $k$ est le $\textbf{corps résiduel}$ fini, algébriquement clos, de caractéristique positive $p$.
    Il s'obtient en formant le quotient de $\textbf{R}$ par l'idéal premier $\mathfrak{m}$ de $\textbf{R}$
    $\mathfrak{m}$ étant un idéal maximal de $\textbf{R}$, l'anneau-quotient $\textbf{R}/\mathfrak{m}$ est un corps (i.e. il ne possède pas d'idéaux propres) et cette construction définit un homomorphisme d'anneaux appelé $\textbf{réduction modulo}$ $\mathfrak{m}$:
    \begin{equation}
    \displaystyle \: f_{\mathfrak{m}}: \: \textbf{R} \longrightarrow k \cong \textbf{R}/\mathfrak{m}.
    \end{equation}

    Dans les systèmes modulaires, on choisi souvent pour $\mathbb{K}$, une extension finie du corps des rationnels.
    Par exemple, pour $G$ d'exposant $m$, le corps cyclotomique $\mathbb{Q}(\zeta_{m})$ généré par la racine primitive $m$-ième de l'unité sur le corps $\mathbb{Q}$ des rationnels est un corps de décomposition pour $G$ et tous ses sous-groupes.

    $\textbf{Représentations modulaires}$

    Comme précédemment définis, soient $\textbf{R}$ un anneau local de caractéristique $0$, d'idéal maximal $\mathfrak{m}$ et de corps résiduel $k=\textbf{R}/\mathfrak{m}$ de caractéristique $p>0$. On appelle $\textbf{représentation modulaire}$ d'un groupe fini $G$, une représentation de $G$ dans un $k$-espace vectoriel de dimension finie.

    Maintenant que l'on dispose un peu du formalisme des systèmes modulaires, on leur rajoute l'importante propriété suivante.

    $\textbf{Corps suffisamment grands par rapport à un groupe G}$

    Un corps $K$ de caractéristique nulle ou positive est suffisamment grand par rapport à un groupe $G$ d'exposant $m=p^rm', \: (p,m')=1$ si il contient toutes les racines $m$-ième de l'unité ou si il contient une racine primitive $m'$-ième de l'unité où $m'$ est la partie $p$-régulière de l'exposant $m$ de $G$.

    $\textbf{Théorème 1}$

    Soit $(\mathbb{K}, \textbf{R}, k)$ un système $p$-modulaire.
    Si $\mathbb{K}$ est suffisamment grand par rapport à $G$, alors $k$ l'est également. De plus $\mathbb{K}$ et $k$ sont des corps de décomposition pour $G$ et tous ses sous-groupes.

    $\textbf{Démonstration}$

    Soient $m$ l'exposant de $G$ et $\tilde{\zeta}$ une racine primitive $m$-ième de l'unité dans $\mathbb{K}$.
    Pour démontrer la première partie de ce résultat, on commence par remarquer que $\tilde{\zeta}$ est un entier algébrique de $\mathbb{K}$ inclut dans $\textbf{R}$ puisqu'il vérifie $\displaystyle \tilde{\zeta}^m-1=0$. On a:

    \begin{equation}
    \displaystyle X^{m}-\tilde{1}=\prod_{i=0}^{m-1}\: (X-\tilde{\zeta}^i) \: \: \text{dans} \: \textbf{R}[X].
    \end{equation}

    Par passage au corps de classe résiduel $k=\textbf{R}/\mathfrak{m}$ on obtient:
    \begin{equation}
    \displaystyle \big(X^{m'}- 1\big)^{p^r}=X^{m}-1=\prod_{i=0}^{m-1} \big(X-\zeta^i\big) \: \: \text{dans} \: \: k[X].
    \end{equation}

    L'ensemble $\displaystyle \{\zeta^i: 0 \leq i \leq m-1\}$ donne toutes les puissances $m'$-ième de l'unité, chacune avec multiplicité $p ^r$.
    Chaque $\zeta^i \in k$ puisque $\tilde{\zeta}^i \in \textbf{R}$ donc $k$ contient toutes les racines $m'$-ième et $m$-ième de l'unité.

    $\textbf{Note}$: On sait depuis les travaux de Frobenius, que pour tout groupe fini $G$, il existe un corps de nombres algébriques $K$ (i.e. une extension finie de $\mathbb{Q}$) qui est le corps de décomposition de $G$. Par exemple, les corps de décomposition des groupes cycliques s'obtiennent par adjonctions de racines de l'unité au corps des rationnels.
    Brauer avait démontré que les corps algébriquement clos sont des corps de décomposition pour les algèbres finies semi-simples.
    Puis il affina ce résultat en démontrant le théorème suivant.

    $\textbf{Théorème (Brauer)}$

    Soient $G$ un groupe fini d'exposant $m$ et $\zeta$ une racine primitive de l'unité d'ordre $m$.
    Si $K$ est un corps dont la caractéristique ne divise pas l'ordre de $G$ alors $K(\zeta)$ est un corps de décomposition pour $G$.

    Ce théorème permet, par exemple, d'affirmer que $\mathbb{Q}(e^{\frac{2\pi i}{m}})$ et $\mathbb{F}_p(\zeta)$ (où $\zeta$ est une racine primitive $m$-ième de l'unité dans une extension $\mathbb{F}_p)$ sont des corps de décomposition pour tout groupe fini $G$.

    $\textbf{Note}$: Dans le système $p$-modulaire $(\mathbb{K}, \textbf{R}, k)$, par hypothèse, $\mathbb{K}$ contient une racine de l'unité. Alors cette racine appartient à l'anneau local $\textbf{R}$ des entiers de $\mathbb{K}$ puisque les racines de l'unité ont toujours pour valuation $1$. Le théorème de Brauer permet de conclure qu'à la fois $\mathbb{K}[\zeta]$ et $\textbf{R}$ sont des corps de décomposition par rapport à $G$.

    $\textbf{Réduction modulo}$ $\mathfrak{m}$

    Soient $(\mathbb{K}, \textbf{R}, k)$ un système $p$-modulaire de décomposition, $m=p^rm', (p,m')=1$ l'exposant de $G$ et $\tilde{\zeta}$ une racine primitive $m'$-ième de l'unité dans $\mathbb{K}$. Sa valuation étant $1$, $\tilde{\zeta} \in \textbf{R}$.

    Alors l'application résiduelle $\: f_{\mathfrak{m}}: \: \textbf{R} \longrightarrow \textbf{R}/\mathfrak{m} \cong k$ est un homomorphisme d'anneaux. Il induit l'isomorphisme restreint, $\theta$, entre le groupe des racines de l'unité d'ordre premier à $p$ dans $\mathbb{K}$ et le groupe des racines de l'unité dans le corps résiduel $k$:

    \begin{align*}
    \theta\:\: \colon \mu_{m'}(\mathbb{K}) &\longrightarrow \mu_{m'}(k)\\
    \zeta &\longmapsto \zeta+\mathfrak{m}_{R}.
    \end{align*}

    En particulier, l'image de $\tilde{\zeta}$, racine $m'$-ième de l'unité dans $\textbf{R}$ est $f_{\mathfrak{m}}(\tilde{\zeta})=\zeta$, une racine primitive $m'$-ième de l'unité dans $k$.

    Les caractères modulaires se construisent en remplaçant les valeurs propres d'une représentation par les racines de l'unité correspondantes dans $\mathbb{C}$.
    Encore faut-il prouver que ces deux ensembles sont isomorphes.
    L'isomorphisme de réduction modulo $\mathfrak{m}$ étant la clef de voûte de la définition des caractères modulaires, il convient de s'assurer de son existence !

    On peut donner quelques ébauches de démonstrations en commençant par noter que cet isomorphisme est bien défini car si $\zeta \in \mathbb{K}^{\times}$ alors $\zeta \in \textbf{R}^{\times}$.

    • Si $\zeta \in \mathbb{K}^{\times}$ est une racine quelconque de l'unité, elle s'écrit sous la forme $\displaystyle \zeta=a\pi_{\textbf{R} }^j, a \in \textbf{R}^{\times}, j \in \mathbb{Z}$ où $a$ est une unité dans $\textbf{R}$, $\pi_{\textbf{R} }^j$ est un générateur de l'idéal maximal $\mathfrak{m}$ de $\textbf{R}$ (i.e. $\displaystyle \mathfrak{m}=\mathfrak{m}_{\textbf{R}}=\textbf{R}\pi_{\textbf{R}}$).
    Si $\zeta^t=1,\: t \geq 1$, alors $1=a^m\pi^{jt}_{\textbf{R}}$. Conclusion...

    Puisque $(p,m')=1$, l'équation $x^{m'}-1$ n'a pas de racines multiples dans $k$ ! Les éléments de $\mu_{m'}(\mathbb{K})$ sont les racines du polynôme $X^{m'}-1 \in \mathbb{K}[X]$ et $\mu_{m'}(\mathbb{K}) \subseteq \textbf{R}^{\times}$.
    Si $\zeta_1 \neq \zeta_2 \in \mu_{m'}(\mathbb{K})$ étaient envoyées sur un unique élément de $\mu_{m'}(k)$, alors le polynôme $X^{m'}-1 \in k[X]$ aurait un zéro de multiplicité supérieure à $1$. Mais ce polynôme est séparable aussi bien sur $\mathbb{K}[X]$ que sur $k[X]$ puisque $p$ est premier avec $m'$...

    • Un autre début de démonstration: pour $\tilde{\zeta} \neq 1$ une racine $m'$-ième de l'unité dans $\mathbb{K}$, on a:

    \begin{equation}
    \displaystyle \frac{X^{m'}-1}{X-1}=X^{m'-1}+X^{m'-2}+...+1= \prod_{i=1}^{m'-1} \: (X-\tilde{\zeta^i}) \: \: \in \textbf{R}[X]
    \end{equation}

    Montrer que $1-\zeta^j$ divise $m'$ dans l'anneau de valuation $\textbf{R}$ et ce, pour tout $j=0,1,...,m'-1$.
    Si $1-\zeta^j \in \mathfrak{m}$ alors $m' \in \mathfrak{m} \cap \mathbb{Z}=p\mathbb{Z}$. Ce qui contredit $(m',p)=1$.
    Donc $\theta$ est injective...

    L'existence de cet isomorphisme étant acquise, Il est grand temps de rappeler tous les acteurs pour la scène finale.

    $\textbf{Caractères modulaires (ou de Brauer)}$

    On a dans l'ordre: un nombre premier $p$, un entier $r$, un groupe fini $G$ d'exposant $m=p^rm', \: \: (p,m')=1$, son sous-groupe $G_{reg}$ d'éléments $p$-réguliers.

    Mais aussi: un système $p$-modulaire de décomposition ("splitting $p$-modular system"): $(\mathbb{K}, \textbf{R}, k)$ avec $\mathbb{K}$ et $k$ "suffisamment grands" etc... Système auquel on rajoute la surjection canonique $f_{\mathfrak{m}}:\: \textbf{R} \longrightarrow k=\textbf{R}/\pi \textbf{R}$.

    Sans oublier $\displaystyle \theta: \: \mu_{m'}(\mathbb{K}) \longrightarrow \mu_{m'}(k)$, l'isomorphisme (induit par la projection $f_{\mathfrak{m}}$ de $\textbf{R}$ sur $k$) entre groupes multiplicatifs cycliques.
    $\textbf{Rappel}$: $\mu_{m'}(\mathbb{K}) \subseteq \textbf{R}$ est d'ordre $m'$ puisque $\textbf{R}$ est un corps de décomposition pour $G$ et enfin $\mu_{m'}(k)$ est également d'ordre $m'$ puisque c'est un corps algébriquement clos de caractéristique $p$ première à $m'$.

    Enfin si $\zeta$ est une racine de l'unité dans $k$, on note $\tilde{\zeta}$ l'unique racine de l'unité de l'anneau $\textbf{R}$ dont elle est l'image par réduction modulo $\mathfrak{m}$ (i.e. son antécédent par l'isomorphisme $\theta$).

    Avant de définir un caractère modulaire, on fixe une fois pour toute un isomorphisme réciproque de $\theta$ entre le groupe des racines $m'$-ième de l'unité dans $k^{\times}$ et les racines $m'$-ièmes de l'unité dans $\mathbb{K}^{\times}=\mathbb{C}^{\times}$.

    Soient maintenant $g \in G_{reg}$ un élément $p$-régulier de $G$ et $M$ un $k[G]$-module de dimension finie $n=\dim_k M$.
    En restreignant $G$ à $\langle g \rangle$, l'algèbre $k[\langle g \rangle]$ devient semi-simple et se décompose en somme directe d'espaces propres.
    L'action linéaire de $g$ sur $M$ envoie $g$ sur une matrice $n \times n$ de $GL_n(k)$.
    Puisque l'ordre de $g$ est premier à $p$, cet endomorphisme est diagonalisable.
    Chacune de ses $n$ valeurs propres $(\zeta_1, ..., \zeta_n)$ est une racine $m'$-ième de l'unité comptée avec multiplicité dans $\mu_{m'}(k)$.
    On peut donc les exprimer comme $n$ puissances d'un générateur de $\mu_{\mathbb{K}}$ en les "relevant" via l'isomorphisme réciproque de la réduction modulo $\mathfrak{m}$ en des racines $m'$-ième de l'unité: $\zeta_i, \: 1\leq i \leq n$ dans $\textbf{R} \subseteq \mathbb{K}$.

    Le $\textbf{caractère modulaire}$ induit par $M$, $\phi_M$, est une fonction centrale définie pour tout $g \in G_{reg}$ par

    \begin{equation}
    \displaystyle \phi_M(g)= \sum_{i=1}^n \theta^{-1}(\zeta_i) = \tilde{\zeta}_1+...+\tilde{\zeta}_n \: \: \in \textbf{R} \subseteq \mathbb{K}, \: \: \: \zeta_{i} \in \mu_k
    \end{equation}

    C'est la somme des éléments $\tilde{\zeta_i}$ de $\mathbb{K}$ dont la réduction modulo $\mathfrak{m}$ est $\zeta_i \in \mu_{m'}(k)$.
    On le dit parfois "induit par la représentation $\rho$" et on le note: $\displaystyle \chi_{\rho}(g)$.
    Quand le module $M$ est simple, $\phi_M$ est irréductible.

    $\textbf{Note}$ La restriction du domaine de $\rho: \: \longrightarrow GL_n(K)$ au sous-groupe $G_{reg}$ est une condition nécessaire pour que la matrice $\rho_M(g)$ soit diagonalisable !
    Si l'on a plus précisément un $k[G]$-module $M$ de dimension finie $n$ et un corps $k=\mathbb{F}_p$ de caractéristique $p>0$, on note $\rho_M \longrightarrow GL(n,k)$ la représentation associée dans l'ensemble des $n \times n$ matrices à coefficients dans $k$ par rapport à une $k$-base de $M$.
    Alors la matrice $\rho_M(g)$ est diagonalisable sur une extension finie de $k$ si et seulement si $g$ est un élément $p$-régulier de $G$.
    Les éléments diagonaux $\lambda_1, ..., \lambda_n$ sont les valeurs propres de $\rho_M(g)$, à savoir les racines du polynôme caractéristique
    \begin{equation}
    \displaystyle \det(\rho_M(g)-x1_M) \in k[X]
    \end{equation}
    $\textbf{Rappel}$: la somme de ces racines est l'application $\textbf{trace}$ de $\rho_M(g)$. Cette somme que l'on appelle le caractère de $\rho_M$ est indépendante du choix d'une base de $M$.

    • Rappelons LA propriété des caractères, qu'ils soient ordinaires ou modulaires: ce sont des fonctions centrales. Elles sont constantes sur les classes de conjugaison de $G$.
    Dans le cadre modulaire, ces classes sont celles des éléments $p$-réguliers.
    \begin{equation}
    \displaystyle \phi_E(tst^{-1})=\phi_E(s),\: \forall s \in G_{rep}, t \in G
    \end{equation}
    Les valeurs propres de $g^{-1} \in G_{reg}$ sur le module $M$ sont les inverses des valeurs propres de $g \in G_{reg}$ sur $M$.
    Enfin, les caractères modulaires forment une base de l'espace des fonctions centrales définies sur $G_{reg}$.

    $\textbf{4. Aspects historiques}$

    C'est Leonard Eugene Dickson (1874-1954) qui effleura le sujet des représentations modulaires de $G$ et leurs différences de nature selon la caractéristique des corps de base. La plupart du temps, ces corps sont algébriquement clos comme $\mathbb{C}$ ou $\mathbb{\overline{Q}}$. Quand ce n'est pas le cas, on étudie les comportements des représentations sur des extensions de corps qui sont des clôtures algébriques du corps de base.
    Les représentations modulaires furent développées par Brauer dans le but d'obtenir des informations nouvelles sur les caractères irréductibles dans $\mathbb{C}$.
    À cette occasion, il élabore ce que l'on appelle aujourd'hui les "systèmes $p$-modulaires" ainsi que la méthode phare de la théorie: la réduction modulo $p$. Elle se fait de la caractéristique $0$ à la caractéristique $p$. C'est un procédé fonctionnel qui vous rend une représentation sur un corps de caractéristique positive $p$ quand vous lui donnez une représentation sur un corps de caractéristique $0$. Les caractères modulaires ont été découvert en 1937.

    Quelle est la morale de tout ça ? Je ne sais pas trop. Je dirais que maintenant, on comprend mieux pourquoi la théorie des représentations modulaires aurait dû s'appeler "théorie des représentations sur un domaine local et son corps de classe résiduel".
    C'est bien peu de choses à ce stade car pour aller plus loin il aurait fallu évoquer l'aspect matriciel, tensoriel, catégorique et combinatoire.
    Une prochaine fois peut-être !
    ...
  • Je rajoute deux extraits expliquant les systèmes $p$-modulaires et le procédé de réduction modulo $p$ par deux anciens collègues de Brauer: C. Curtis et C. Nesbitt avec lesquels il a pu établir d'importants théorèmes en théorie des groupes finis.
    ...95934
    95936
  • Je n'ai pas tout lu mais je note quelques problèmes :

    - On lit "Un élément $g \in G$ est $p$-régulier si son ordre $d$ est premier à $p$. Il est dit $p$-singulier dans le cas contraire (i.e. si son ordre est une puissance de $p$)." mais "le cas contraire" n'est pas ce que tu décris.

    - On lit "$k$ est le $\textbf{corps résiduel}$ fini, algébriquement clos, de caractéristique positive $p$ et inclus dans $\textbf{R}$" mais on ne peut pas avoir $k \subset \R$ puisque $K$, et donc $\R$ est de caractéristique $0$.

    - "les racines de l'unité ont toujours pour valuation $1$" plutôt $0$. Quelques lignes plus bas, même chose.
  • Poirot: tu as raison. C'est l'anneau de valuation $\textbf{R}$ qui est inclus dans $\mathbb{K}$ de caractéristique $0$.
    Je l'ai écrit plus loin d'ailleurs: $\textbf{R} \subset \mathbb{K}$.

    La rédaction était probablement trop longue et j'ai manqué de vigilance sur ce coup.
    Je vais corriger ces deux erreurs.

    Si tu lis le reste et que tu trouves d'autres failles: n'hésite pas à le signaler.
    ...
  • Il y a quelque chose que je ne comprends pas non plus quand tu dis que le corps résiduel est algébriquement clos, c'est une hypothèse ? Parce que ce n'est jamais vrai pour les valuations sur les corps de nombres par exemple, ce qui semble contredire la suite du texte.
  • Ce que je veux dire c'est que, par hypothèse, $k$ de caractéristique $p$ contient toutes les racines $m'$-ième de l'unité ( où $m'$ est la partie $p$-régulière de l'exposant de $G$.
    En fait $k$ est forcément algébriquement clos puisque c'est par hypothèse un "corps de décomposition" pour $G$: c'est-à-dire qu'une représentation irréductible de $G$ sur $k$ est également irréductible sur toutes les extensions de $k$.
    ...
  • Je précise, car je l'ai peut-être mal exprimé dans mon dernier post, que $\textbf{R}$ est l'anneau de valuation de $\mathbb{K}$ et la réduction modulo l'unique idéal maximal $\mathfrak{m}$ de $\textbf{R}$ est un homomorphisme de $\textbf{R}$ vers $k$ ($k$ algébriquement clos en tant que corps de décomposition de $G$).
    ...
  • ps: je n'ai pas rédigé ce post pour "faire joli". Si vous trouvez une erreur, une omission, une redondance, ou si vous avez un commentaire: je le rééditerai autant de fois que nécessaire. Je voudrais qu'au final: il soit irréprochable.
    La nature du sujet m'oblige à approfondir des notions de théorie algébrique des nombres, d'algèbre commutative et d'algèbre linéaire mais j'ai bien conscience qu'on ne s'improvise pas spécialiste de ces domaines !
    J'ai juste essayé d'y puiser le STRICT nécessaire à la compréhension des systèmes et des caractères modulaires. Ce qui est déjà, en soi, un défi.
    ...
  • Bonjour,

    J'espère que lorsque tu auras fini, nous aurons droit à un joli pdf.

    Cordialement,

    Rescassol
  • Avec plaisir ! J'y ai déjà réfléchi d'ailleurs.
    ...
  • Merci pour ce fil et bravo ! Je n'ai pas encore eu le temps de tout lire mais cela me parait très intéressant !

    RK
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