Percolation - Questions élémentaires

Bonjour. Y aurait-il un membre de ce forum qui ait des connaissances dans le domaine théorique de la percolation ? Je suis en seconde année de CPGE et travaille sur ce sujet pour une épreuve/exposé. Je demande par curiosité, car après avoir travaillé sur le sujet et avoir acquis des connaissances sur de nombreux points de la théorie, je me rends compte qu'il subsiste encore pour moi quelques zones d'ombres. Ce serait donc pour savoir s'il y a un(e) membre qui souhaiterait répondre à quelques questions.

Réponses

  • Si tu les poses ici je suis sûr que quelqu'un pourra y répondre :)
  • Très bien.
    J'ai étudié les bases de la théorie de la percolation et étais en particulier intéressé par le cas simple de $\mathbb{Z^2}$, car il s'y trouvaient diverses propriétés simples, en particulier celle disant qu'il existe un seuil (seuil : $sup\{p\in[0,1],\theta(p)=0\}$) de percolation pour la fonction $\theta(p):=\mathbb{P}_p(Card(C(x))=\infty)$ où $x\in\mathbb{Z^2}$, $C(x)$ désigne sa classe d'équivalence, i.e. tous les points qui communiquent avec $x$, et que la valeur critique de cette fonction est $1/2$. J'ai un peu étudié la preuve de l'existence de ce seuil, en revanche la preuve que sa valeur est 1/2 est hors de ma portée (même si j'ai lu quelques démonstrations informelles qui utilisaient le graphe dual de $\mathbb{Z^2}$).

    Je souhaitais alors retrouver cette valeur par l'expérimentation et donc j'ai créé le programme informatique suivant.
    -> création d'une matrice de taille $n\times n$ remplie de cases blanches
    -> on définit une probabilité $p$
    -> pour chaque entrée $(i,j)$ de la matrice, on change la couleur blanche de cette entrée $(i,j)$ en couleur noire avec une probabilité $p$.
    #on a ainsi créé une matrice où chaque case est coloriée en noir avec une probabilité $p$.

    À présent, pour tester la percolation, je me suis proposé de créer un second programme.
    -> génère une matrice de taille $n\times n$ où chaque case est coloriée en noir avec une probabilité $p$
    #une case noire est donc un "site", ou une "cellule"
    -> on colorie toutes les entrées de la première ligne en rouge
    -> on fait ensuite se propager le rouge sur les cases noires sachant qu'une case rouge transforme uniquement en cases rouges, les cases voisines noires (sachant que les cases voisines de $(i,j)$ sont cases $(i-1,j),(i+1,j),(i,j-1),(i,j+1)$)
    -> je dis qu'il y a percolation si le rouge atteint la ligne du bas.
    Évidemment ce petit programme a nécessité de réfléchir à sa terminaison ainsi qu'au fait de le coder pour qu'il n'y ait pas d'opérations redondantes etc... mais là n'est pas mon propos.

    J'itère ce programme un grand nombre de fois sur une matrice de taille 60x60, pour chaque valeur de $p$ variant entre $0$ et $1$ avec un faible incrément. Pour chaque valeur de $p$ testée, je prends la moyenne, pour un grand nombre de matrices de taille 60x60 générées aléatoirement par le premier programme :
    (nombre de fois où le rouge a atteint le bas de la matrice)/(nombre de matrices générées aléatoirement).

    J'obtiens une courbe qui montre très nettement un seuil pour la fonction $\theta$.

    Néanmoins, cette valeur n'est pas de $1/2$ mais est plus proche de 0.55, 0.59, 0.6, selon les essais et les tailles de matrices testées. Pour afficher le graphe de $\theta$ pour des moyennes effectuées pour chaque valeur de $p$ sur une matrice 60x60, mon programme met plus de quinze heures à se terminer.
    Ainsi, j'avançais que les raisons pour lesquelles la valeur du seuil que j'avais trouvé n'était pas exactement $1/2$ étaient :
    - étant limité par la durée de mon expérience, je ne peux pas faire tester à mon programme suffisamment de valeurs pour ma moyenne pour qu'on puisse réellement voir la fonction $\theta$ qui décolle à $1/2$. Ainsi mon nombre d'essais pour un voisinage de $1/2$ est trop faible pour accéder à ce décollage mathématique.
    - étant limité par la taille de la matrice testée, mes résultats n'indiquent pas exactement $1/2$ mais un peu plus
    - le programme que j'ai codé teste "ma" modélisation de la percolation, c'est-à-dire s'il y a un chemin ouvert de haut en bas de la matrice, car je n'ai pas accès à l'infini et ne peut donc pas vérifier s'il y a percolation au sens mathématique. C'est simplement une modélisation qui tend à rendre compte de la réalité.

    Ainsi, pour ces trois points, je me disais donc : "ce programme rend plutôt bien compte de la réalité car il illustre un seuil de percolation ; néanmoins ce seuil n'est pas exactement $1/2$ car je n'ai pas accès à l'infini ; c'est une modélisation qui tend à rendre compte de la réalité ; mais sans doute en effectuant un nombre d'essais plus important sur une période plus longue avec des matrices de tailles plus grandes, avec la loi des grands nombres, mon seuil se rapprocherait de $1/2$ et on verrait ma courbe décoller à cet endroit là."

    Or j'ai découvert par hasard en consultant une page wikipedia, ce que je n'avais pas fait jusque-là, https://en.wikipedia.org/wiki/Percolation_threshold#cite_note-Jacobsen15-17 qu'il existe deux approches de la percolation, une dans laquelle on considère la percolation sur les "arêtes" et l'autre sur les "sites" (cases de la matrices) et il semblerait que si le seuil de percolation est bien $1/2$ pour la percolation-arêtes, elle est de environ 0.59 avec la percolation-sites. Or je reprends mes résultats : le seuil que j'ai trouvé est environ à 0.59.. Donc mon approche est bien valable dans le cadre de la percolation-sites (site=sommet du graphe i.e. point de $\mathbb{Z^2}$) mais pas dans le cadre de la percolation-arête (bond percolation).

    Or je reprends toute la bibliographie que j'ai consultée : toutes commencent à peu près en disant qu'on prend un graphe sur lequel on ouvre chaque arête avec une probabilité $p$. Et qu'on étudie donc le phénomène de percolation en partant d'un point, et qu'on regarde s'il y a une infinité de chemins composés d'arêtes ouvertes reliées à ce point. ($Card(C(x))=\infty$)

    Donc il s'agit bien de théorie de percolation-arêtes tandis que mon programme teste la percolation-sites. Mes questions sont donc :
    - pourquoi est-ce que ce n'est pas la même chose, au moins pour $\mathbb{Z^2}$ dans la mesure où on peut juste relier par un trait deux cases noires/sites adjacents et que donc qu'au final le quadrillage avec des points reliés et le même qu'avec des arêtes
    (ou alors 3 points adjacents alignés reliés forment une arête donc on a un graphe infini qui intuitivement devrait présenter le même seuil qu'avec la percolation-arêtes, c'est-à-dire $1/2$)
    - pourquoi n'est-ce pas le même seuil ?
    - pourquoi est-ce que les ouvrages que j'ai consultés utilisent la percolation-arêtes implicitement sans mentionner qu'il existe la percolation-site ?
    - pourquoi, si la théorie mathématique est assez développée sur le sujet, dans tous les livres que j'ai étudiés, y compris ceux où il est question de modélisation, il n'est mentionné nulle part la confusion que je semble avoir faite, dans l'approche informatique que j'en ai faite ?
    - est-ce que l'approche percolation-site est plutôt celle des physiciens dans les modèles de porosités des pierres par exemple, tandis que la bond percolation (percolation arête) est plutôt celle des mathématiciens ?
    - en recherchant donc de nouveau sur internet, j'ai découvert des ouvrages dans lesquels il était précisé qu'on pouvait considérer les sites ou les arêtes mais globalement, les livres de théorie poussée semblent ne s'intéresser qu'à la percolation-site (est-ce le cas ?)
    - parmi les nouveaux ouvrages découverts, j'ai trouvé un notamment Uniqueness and non-uniqueness in percolation theory contenant la citation :

    "In the equally natural process of iid site percolation, it is the vertices, rather than the edges, that are retained at random (independently, each with probability p). As far as qualitative results are concerned, it is usually of little importance whether bond or site percolation is considered. Here we will, with few exceptions, focus on bond percolation; most results and proofs have obvious analogues for site percolation."

    Donc si vous avez quelques informations sur le sujet, je serais très heureux de pouvoir mieux comprendre ce qui m'a échappé pour le moment. Merci.

    PS : question additionnelle. Si dans le cadre de la théorie-arêtes, la valeur du seuil pour $\mathbb{Z^2}$ est très clairement $1/2$, et les démonstrations sont très complexes et définissent une unique valeur, pourquoi, d'après le recensement (wikipedia) que je citais plus-haut, semble-t-il y avoir plusieurs valeurs de seuils pour le cas de la percolation-sites. Ne peut-on pas la trouver mathématiquement ? Ne peut-on la trouver qu'informatiquement avec des modèles semblables aux miens ce qui explique qu'il y ait différentes valeurs, qui seraient donc en fait des approximations :

    0.59274605079210(2),[17]
    0.59274601(2),[5]
    0.59274605095(15),[19]
    0.59274621(13),[20]
    0.59274621(33),[21]
    0.59274598(4),[22][23]
    0.59274605(3),[12]
    0.593(1),[24]
    0.591(1),[25]
    0.569(13)[26]

    Merci beaucoup de votre attention et peut-être de votre aide pour éclaircir un peu mes idées sur ce point.
  • Bonjour,

    Je réponds à ta première question :

    - pourquoi est-ce que ce n'est pas la même chose, au moins pour Z2

    Ce n'est pas équivalent effectivement. Déjà, dans un rectangle donné il y a 2 fois plus d'arêtes que de sommets. Maintenant, regarde le problème de percolation par site dans une boite 2x2 (voir mon image ci-dessous). J'ai dessiné en traits pleins les arêtes liant 2 sommets noirs, mais ces arêtes ne sont pas indépendantes (car si je sais que l'arête du haut est dessinée, j'ai plus de chance que l'arête de gauche le soit aussi).83524
  • Je ne parviens pas tellement à comprendre dans la mesure où, dans la théorie de la percolation, le graphe est supposé infini. Donc considérer seulement un carré pour démontrer quelque chose ne me semble pas être un exemple valide.

    On a le graphe $(V,E)$ où : $V={\mathbb{Z}^{2}}$ et $E =\{ (x_1,x_2),(y_1,y_2)) \in \mathbb{Z}^4, \vert x_1-y_1\vert+\vert x_2-y_2\vert=1\} \subset{\mathcal{P}_2(V)}$.
    et on identifie l'ensemble des parties de $E$ à $\Omega:=\{0,1\}^{E}$ et on choisit un sous-graphe $F$ de manière aléatoire dans $\Omega$ (dans lequel on va étudier le phénomène de percolation) et on décide de fabriquer $F$ à partir de $E$ en conservant ou non chaque arête avec une probabilité $p$.

    Même si je ne sais pas trop à quoi cela se rapporte :

    $$\mathbb{P}_p =\bigotimes_{e\in E}Ber(p)$$

    j'imagine que ce symbole signifie qu'on itère la loi de Bernoulli sur chaque arête de $E$.

    Du coup pourquoi le seuil changerait-il si on avait $E=\{x\in \mathbb{Z}^{2}\}$ ?
  • Bonsoir,

    Tu demandes pourquoi est-ce que ce n'est pas le même seuil pour arêtes et sites. Je te montre qu'il ne s'agit pas du même modèle (j'ai fait un dessin pour 4 sommets qui te montre que la percolation dans ce graphe ne représente pas la même expérience selon que l'on tire les arêtes ou les sommets).

    Si tu préfères, tu peux aussi essayer de comprendre quel serait le graphe dual de Z^2 avec des sommets, et tu verras que ça ne correspond pas à Z^2 lui-même.

    Sinon, pour répondre à tes questions de bibliographie, la raison pour laquelle les livres se concentrent sur la percolation par arête est justement cette "magie" de la dualité $\mathbb{Z}^2 \leftrightarrow \mathbb{Z}^2$. Il y aussi la tradition en théorie des graphes et en algo de mettre des poids sur les arêtes, moins souvent sur les sommets.

    Ceci dit, beaucoup de probabilistes se penchent maintenant plutôt sur la percolation par site... mais sur le réseau triangulaire. La raison est aussi la dualité. Depuis les années 2000 (Schramm-Lawler-Werner, Smirnov, ...) on sait démontrer sur ce modèle des choses toujours inconnues sur le réseau carré. (Un truc qui s'appelle exposants d'intersection par exemple, n'est connu que sur le réseau triangulaire sauf erreur de ma part).

    Bon travail!
  • Merci pour ces deux réponses !
Connectez-vous ou Inscrivez-vous pour répondre.