La théorie d'Helen Skala

Martial
Modifié (August 2022) dans Fondements et Logique
Bonjour à tous,
J'ai un problème assez complexe et long à expliquer. Merci d'avance pour votre patience. C'est à propos d'un article d'Helen Skala : "An alternative way of avoiding the set-theoretical paradoxes", 1974, où l'auteure propose une théorie des ensembles avec ensemble universel qui est une variante de la théorie de Church. Je vais essayer de résumer le papier. Attention, c'est une théorie extrêmement bizarre.

L'idée ici est, pour chaque prédicat $P$, de supposer l'existence de deux ensembles : le plus grand ensemble tel que chacun de ses éléments $x$ satisfait le prédicat $P(x)$, et le plus petit ensemble contenant tous les éléments $x$ qui satisfont le prédicat $P(x)$. On va maintenant décrire cette idée de façon formelle. On note SK la théorie d'Helen Skala.

La théorie SK est constituée de quatre axiomes ou schémas d'axiomes, dont voici les trois premiers.

A1 - Extensionnalité : $\forall x \forall y [x=y \leftrightarrow \forall z (z \in x \leftrightarrow z \in y)]$.

A2 - Schéma d'axiomes d'existence du plus grand ensemble inférieur de P(x) : $\exists y \forall x [(x \in y \to P(x)) \land \forall z ((x \in z \to P(x)) \to z \subseteq y)]$.

A3 - Schéma d'axiomes d'existence du plus petit ensemble qui contient tous les éléments satisfaisant P(x) :
$\exists y \forall x [(P(x) \to x \in y) \land \forall z ((P(x) \to x \in z) \to y \subseteq z)]$.

Explications et vocabulaire : A2 garantit l'existence d'un plus grand ensemble qui contient tous les éléments satisfaisant le prédicat $P(x)$. Cet ensemble sera noté $gls P(x)$, pour "greatest lower set of $P(x)$". A3 garantit l'existence d'un plus petit ensemble qui contient tous les éléments satisfaisant $P(x)$. Cet ensemble sera noté $lus P(x)$, pour "least upper set of $P(x)$". On a clairement :
1) $x \in gls P(x) \to P(x)$, et
2) $P(x) \to x \in lus P(x)$,
d'où on déduit $\forall x, gls P(x) \subseteq lus P(x)$.

Théorème 1 : Il existe des ensembles $e$ et $u$, appelés l'ensemble vide et l'ensemble universel, tels que $\forall x \neg (x \in e)$ et $\forall x (x \in u)$.

Preuve : Prendre $e=gls(x \neq x)$ et $u=lus(x=x)$.

Ainsi, SK est bien, comme CUS et ses autres variantes, une théorie des ensembles avec un ensemble universel.

Définition : Un prédicat $P(x)$ est dit défini (definite) si $gls P(x)=lus P(x)$, auquel cas cet ensemble sera noté simplement $\{x : P(x)\}$.

Théorème 2 (Russell) : Le prédicat "$x \notin x$" n'est pas défini.

Preuve : Posons $r_1 = gls(x \notin x)$ et $r_2 = lus(x \notin x)$. Alors
$\forall x (x \in r_1 \to x \notin x)$. En remplaçant $x$ par $r_1$ on obtient $r_1 \in r_1 \to r_1 \notin r_1$, d'où on déduit $r_1 \notin r_1$ par les règles du calcul des prédicats. Par ailleurs, on a
$\forall x (x \notin x \to x \in r_2)$. En remplaçant $x$ par $r_1$ on obtient $r_1 \notin r_1 \to r_1 \in r_2$. Comme on sait que $r_1 \notin r_1$, par modus ponens on en déduit que $r_1 \in r_2$. Si on avait $r_1 = r_2$ on aurait simultanément $r_1 \notin r_1$ et $r_1 \in r_1$, contradiction. Donc $r_1$ et $r_2$ sont distincts.

Théorème 3 : Si $a$ est un ensemble, le prédicat "$x \in a$" est défini, et $a= \{x : x \in a\}$.

Preuve : On sait que $x \in gls(x \in a) \to x \in a$, donc $gls(x \in a) \subseteq a$. Mais, comme $x \in a \to x \in a$ et que $gls(x \in a)$ est le plus grand ensemble $s$ ayant la propriété que $x \in s \to x \in a$, il suit que $gls(x \in a)=a$. On montre de même que $lus(x \in a)=a$.

Voici le quatrième et dernier axiome de SK.

A4 - Schéma d'axiomes de définitions : Si $P(x)$ et $Q(x)$ sont définis, il en est de même de $P(x) \land Q(x)$, $P(x) \lor Q(x)$ et $\neg P(x)$.

Théorème 4 : Si $a$ et $b$ sont des ensembles, alors il existe des ensembles $a \cap b$, $a \cup b$ et $a'$ tels que pour tout $x$,
$x \in a \cap b \leftrightarrow x \in a \land x \in b$,
$x \in a \cup b \leftrightarrow x \in a \lor x \in b$, et
$x \in a' \leftrightarrow \neg (x \in a)$.

Preuve : Comme $a$ et $b$ sont des ensembles, les prédicats $x \in a$ et $x \in b$ sont définis par le théorème 3. Par A4, il en est de même des prédicats $x \in a \land x \in b$, $x \in a \lor x \in b$ et $\neg (x \in a)$. On peut donc poser $a \cap b = \{x : x \in a \land x \in b\}$, et on a bien $x \in a \cap b \leftrightarrow x \in a \land x \in b$. On raisonne de même pour $a \cup b$ et $a'$.

Théorème 5 : $lus(\neg P(x)) = (gls P(x))'$ et $gls(\neg P(x))=(lus P(x))'$.

Preuve : Comme $x \in gls P(x) \to P(x)$, par contraposée on a
$\neg P(x) \to \neg (x \in gls P(x))$, ce qui peut s'écrire $\neg P(x) \to x \in (gls P(x))'$, donc
$$lus(\neg P(x)) \subseteq (gls P(x))' \ \ \ (*).$$
Mais on a aussi $\neg P(x) \to x \in lus(\neg P(x))$, donc, par contraposée, $x \in (lus(\neg P(x)))' \to P(x)$, d'où $(lus(\neg P(x)))' \subseteq gls P(x)$, ce qui peut aussi s'écrire
$$(gls P(x))' \subseteq lus(\neg P(x)) \ \ \ (**).$$
Il suit de $(*)$ et $(**)$ que $lus(\neg P(x)) = (gls P(x))'$. L'autre égalité se démontre de la même façon.

Définition : Pour tout prédicat $P(x)$, on définit l'ensemble de "vaguité" (the vagueness set) de $P(x)$ par
$$vague(P(x)) = lus P(x) \cap (gls P(x))'.$$

$vague(P(x))$ existe par A2, A3 et le théorème 4.

Théorème 6 : Si $a$ appartient à l'ensemble de vaguité d'un certain prédicat $P(x)$, alors le prédicat "$x=a$" n'est pas défini.

Preuve : Supposons, en vue d'une contradiction, que $a \in vague(P(x))$ et que $a$ est défini. On peut donc poser $\{a\} = \{x : x=a\}$. Comme
$(lus P(x)) \cap \{a\}' \subseteq lus P(x)$ et que $lus P(x)$ est le plus petit ensemble contenant tous les éléments satisfaisant $P(x)$, il suit que $a$ satisfait $P(x)$. Mais, du fait que $gls P(x) \subseteq \{a\} \cup gls P(x)$ et que $gls P(x)$ est le plus grand ensemble dont tous les éléments satisfont $P(x)$, il suit que $a$ ne satisfait pas $P(x)$, contradiction.

Théorème 7 : Si $a$ est un ensemble, les seuls sous-ensembles de $lus(x=a)$ sont l'ensemble vide $e$ et $lus(x=a)$ lui-même.

Preuve : Posons $l=lus(x=a$), et soit $b \subseteq l$. Si $a \in b$, alors $x=a \to x \in b$, donc $l \subseteq b$, et donc $b=l$. Si $a \notin b$, alors soit $b$ est vide, soit $l \cap b' \subsetneqq l$. Dans le second cas, comme $a \in l \cap b'$, $x=a \to x \in l \cap b'$, donc il s'en suit que $l \subseteq l \cap b'$, ce qui contredit $l \cap b' \subsetneqq l$. Donc $b$ doit être vide.

Jusqu'ici, tout se passait "un peu comme" dans ZFC. C'est maintenant que les ennuis sérieux vont commencer.

Théorème 8 : L'axiome des parties est faux dans SK. En d'autres termes, il existe des ensembles $a$ pour lesquels il n'existe pas d'ensemble $b$ tel que $\forall x, x \in b \leftrightarrow x \subseteq a$. En d'autres termes, le prédicat "$x \subseteq a$" n'est pas défini pour tout ensemble $a$.

Preuve : C'est à partir de là que je ne comprends plus rien. Je vous la livre brut de décoffrage, et ensuite je vous expliquerai les endroits où je coince.

Dans un premier temps on va supposer que le prédicat $x \subseteq a$ est défini pour tout ensemble $a$, et on va en déduire que le prédicat $x=a$ est lui aussi défini pour tout ensemble $a$.

Soit $a$ un ensemble. On pose $l=lus(x=a)$, et on suppose que $b \in l$. Soit $m=\{x : x \subseteq a\}$, qui est un ensemble par hypothèse. On a clairement $a \in m$, et donc $l \subseteq m$ par minimalité de $l$. On a donc $b \in m$, i.e. $b \subseteq a$. Maintenant, posons $n=\{x : x \subseteq b\}$.

Si $a \in n$, alors $l \subseteq n$.

Si $a \notin n$, alors $l \cap n' \subsetneqq l$ du fait que $b \in n$ et que $a \in l \cap n'$, contradiction.

Donc $a$ doit être dans $n$, i.e. que $a \subseteq b$.

Donc on a soit $a=b$, soit $l=\{a\}$, et dans tous les cas le prédicat $x=a$ doit être défini.

Or ceci est contradictoire car, par la preuve du théorème 2 on sait que, si on pose $r_1=gls(x \notin x)$, alors le prédicat $x=r_1$ n'est pas défini.

Voici maintenant mes interrogations :

1) Pourquoi le fait que $a \in n$ (i.e. $a \subseteq b$) entraîne-t-il $l \subseteq n$ ?

2) Je ne comprends pas non plus la ligne suivante.

3) Je ne comprends pas non plus la ligne qui commence par "Donc on a soit $a=b$, soit blablabla".

Pour le reste ça va.


Réponses

  • Bonjour,
    Coquille dans le théorème 3 : lire "$x\in a$" au lieu de "$x=a$".
  • Merci @GaBuZoMeu, je viens de rectifier.
  • @Martial : bonjour. J'espère que tu vas bien et que tu as passé de bonnes vacances.
    En vertu de A2 et par extensionnalité, l'unique terme $\mathrm{gls}P(x)$, qui existe et dans lequel le symbole de variable $x$ a toutes ses occurrences libres et ne contenant aucune occurrence libre du symbole de variable $y$, est bien tel que\[(\forall\,x)\left((x\in\mathrm{gls}P(x)\rightarrow{}P(x))\wedge(\forall\,z)((x\in{}z\rightarrow{}P(x))\rightarrow{}(\forall\,t)(t\in{}z\rightarrow{}t\in\mathrm{gls}P(x)))\right)\]En gros, $\mathrm{gls}P(x)$ est le plus grand ensemble dont chacun des éléments satisfait $P(x)$. Est-ce cela ?





    Le chat ouvrit les yeux, le soleil y entra. Le chat ferma les yeux, le soleil y resta. Voilà pourquoi le soir, quand le chat se réveille, j'aperçois dans le noir deux morceaux de soleil. (Maurice Carême).
  • D'autre part, qu'apporte cette théorie par rapport à celle de VN-B-G, ou par rapport à celle de MK, voire par rapport à celle de ZFC+U, s'il te plait ?
    Le chat ouvrit les yeux, le soleil y entra. Le chat ferma les yeux, le soleil y resta. Voilà pourquoi le soir, quand le chat se réveille, j'aperçois dans le noir deux morceaux de soleil. (Maurice Carême).
  • Salut Thierry, je réponds dans l'ordre à tes questions.
    Oui je vais bien et j'ai pris un peu de vacances, dans le Loiret et en Allemagne. Et toi ?
    Concernant $gls P(x)$, c'est exactement ce que tu dis.
    A vrai dire cette théorie n'apporte pas grand-chose, elle est même beaucoup moins pratique que NBG, MK ou ZFC. C'est juste que dans mon chap 26 j'essaye de lister la plupart des théories alternatives existantes, même les plus exotiques. Et dans le genre exotique, celle-là est pas mal !
    Seul avantage : les platoniciens aiment bien que l'univers soit un ensemble, ce qui est le cas ici.
    SK a aussi un avantage par rapport à NF, c'est qu'on sait qu'elle est consistante relativement à ZFC.
  • Je crois que j'ai finalement réussi à raccommoder les ficelles concernant la négation de l'axiome des parties. Si mon raisonnement est juste ça veut dire que l'auteure se fout royalement de la g..... du monde. (Surtout pour un article de 5 pages, elle aurait pu faire un effort).
    Voici ma preuve détaillée :
    Dans un premier temps on va supposer que le prédicat $x \subseteq a$ est défini pour tout ensemble $a$, et on va en déduire que le prédicat $x=a$ est lui aussi défini pour tout ensemble $a$.

    Soit $a$ un ensemble. On pose $l=lus(x=a)$, et on suppose que $b \in l$. Soit $m=\{x : x \subseteq a\}$, qui est un ensemble par hypothèse. On a clairement $a \in m$, et donc $l \subseteq m$ par minimalité de $l$. On a donc $b \in m$, i.e. $b \subseteq a$. Maintenant, posons $n=\{x : x \subseteq b\}$.
    Claim : $a \in n$.
    Preuve du Claim : Supposons le contraire : $a \notin n$. Comme $a \in l$ par définition de $l$, on a $a \in l \cap n'$, et il est clair que $l \cap n' \subseteq l$. Mais $b \in l$ par hypothèse, et $b \in n$ puisque $b \subseteq b$, donc $b \notin l \cap n'$. Par conséquent, $l \cap n' \subsetneqq l$. Mais $x=a \to x \in l \cap n'$, donc l'inclusion stricte ci-dessus contredit la minimalité de $l$ pour le prédicat $x=a$. Donc $a \in n$, et le Claim est démontré.
    Retour au théorème : Maintenant qu'on sait que $a \in n$, c'est donc que $a \subseteq b$. Mais on a vu plus haut que $b \subseteq a$, donc $b=a$. Comme on avait choisi $b$ arbitrairement dans $l$, on a finalement démontré le résultat suivant :
    $$\forall b \in l, b=a.$$
    Ceci peut aussi s'écrire $l=\{a\}$, donc $\{a\}$ existe en tant qu'ensemble, i.e. que le prédicat $x=a$ est défini.

    On a donc prouvé que pour tout ensemble $a$, le prédicat $x=a$ est défini. Mais ceci est contradictoire car, par la preuve du théorème 2 on sait que, si on pose $r_1=gls(x \notin x)$, alors le prédicat $x=r_1$ n'est pas défini.

    Quelqu'un peut-il me dire si cette preuve tient la route ?

Connectez-vous ou Inscrivez-vous pour répondre.