Embrouilles tensorielles

Homo Topi
Modifié (February 2022) dans Algèbre
Salut à tous, ça fait un petit moment... mais je finis toujours par revenir.
Je me remets doucement aux maths. J'aimerais mettre au point ma compréhension des produits tensoriels.

1) Si je note $\mathcal{L}_2(E \times F, G)$ l'espace des applications bilinéaires $E \times F \longrightarrow G$, je comprends la propriété universelle du produit tensoriel comme $\mathcal{L}_2(E \times F, G) \simeq \mathcal{L}(E \otimes F, G)$, et ce pour tout $G$. Pourtant, je ne crois pas avoir déjà vu cet isomorphisme écrit quelque part. Est-ce que ça serait faux pour une raison qui m'échappe ?

2) Dans https://fr.wikipedia.org/wiki/Tenseur_(math%C3%A9matiques)#Produit_tensoriel_d'espaces_vectoriels_de_dimensions_finies je retrouve des résultats similaires à ce que j'avais vu en Master (un seul cours sur les produits tensoriels dans le cadre des représentations des groupes). Ils écrivent plein d'égalités sur Wikipédia mais ils utilisent la dimension finie un peu partout. Ce qui m'intéresserait, ça serait de savoir : peut-on écrire $E \otimes F \simeq  \mathcal{L}(?,?)$ en dimension quelconque ? Dans ce cas, par quoi remplacer les deux $?$ ? Ou tant qu'à faire, un isomorphisme entre $M \otimes N$ et $\text{Hom}(?,?)$ dans le cas général des modules.

J'aurai certainement plus de questions plus tard.

Réponses

  • Maxtimax
    Modifié (February 2022)
    1) Moi je l'ai vu écrit à plein d'endroits donc on ne regarde pas aux mêmes endroits :-D mais oui, tu as raison. 

    2) Non, on ne peut en général pas écrire ce genre de choses, et la dimension finie est essentielle. Pour un anneau commutatif qui n'est pas a priori un corps, il faudra "projectif de type fini" pour l'un des deux facteurs au moins. 
    En général il y a un morphisme naturel $E^*\otimes F\to L(E,F)$ qui est un isomorphisme lorsque $E$ ou $F$ est projectif de type fini (lorsqu'on est sur un corps, c'est un morphisme injectif sans hypothèse sur $E,F$, d'image les opérateurs de rang fini), et un morphisme $E\to E^{**}$ qui vérifie la même chose, de sorte qu'on a toujours un morphisme $E\otimes F\to E^{**}\otimes F\to L(E^*, F)$. 

    Bon, évidemment si tu autorises n'importe quoi, il y a des formules générales, comme $E\otimes F=  L(k,E\otimes F)$, mais j'imagine que tu ne veux pas de ça. En fait, comme tout foncteur "bilinéaire" va essentiellement dépendre de $E\otimes F$, j'imagine que tu vas vouloir supposer une formule de la forme $L(\varphi(E),\psi(F))$, et ça c'est plus simple à éliminer.
  • Homo Topi
    Modifié (February 2022)
    J'ai des questions sur $E^* \otimes F \simeq \mathcal{L}(E,F)$. 
    D'abord, est-ce que cet isomorphisme est vrai sans supposer $E$ et $F$ de dimension finie ?
    Ensuite : dans mon cours de master, on avait donné une construction explicite du PT avec $\mathcal{L}(E^*,F)$. Mais en dehors de mon cours de l'époque, je n'ai jamais vu d'isomorphisme entre $E \otimes F$ et $\mathcal{L}(E^*,F)$. En dimension finie, peut-être qu'on peut le prouver à partir de $E^* \otimes F \simeq \mathcal{L}(E,F)$, en bidouillant avec $E^{**} \simeq E$.
    C'est à cause de ça que je demandais si on peut écrire $E \otimes F \simeq \mathcal{L}(?,?)$. Parce que décrire $E \otimes F$ comme un espace de matrices, au moins en dimension finie, c'est pas trop mal. Et ça se fait, visiblement : https://fr.wikipedia.org/wiki/Produit_dyadique
  • Je note $\iota:E^*\otimes F\to\mathcal{L}(E,F)$ l'application linéaire qui envoie un tenseur pur $\ell\otimes w$ (avec $\ell\in E^*$ et $w\in F$) sur $\iota_{\ell,w}:v\mapsto \ell(v)w$, qui est dans $\mathcal{L}(E,F)$.
    Une application linéaire qui est dans l'image de $\iota$ est de rang fini (pourquoi ?). Par suite, si $F$ est de dimension infinie, $\iota$ n'est pas surjective.
  • HT : je crois que j'ai répondu aux deux questions, dis-nous peut-être plus précisément ce qui te gêne :) 
    Math Coss t'a aussi donné un argument de pourquoi il faut au moins que l'un de $E,F$ soit de dimension finie ("modules projectifs de type fini" si on est sur un anneau plus général)
  • Homo Topi
    Modifié (March 2022)
    Je ne connais absolument rien aux modules projectifs, c'est peut-être la première fois que j'en entends parler.
    Donc oublions carrément le cas général, je me concentre sur un corps (commutatif, ne commencez même pas). Tu m'as donc dit : on a toujours un morphisme $E^* \otimes F \rightarrow \mathcal{L}(E,F)$, qui est directement injectif si $E$ et $F$ sont de dimension finie. Il suffit que l'un des deux le soit (j'imagine qu'on peut $\C \otimes \cdot$ des espaces fonctionnels réels pour les injecter dans leur complexifié, par exemple ?), mais pour commencer doucement, je prends les deux de dimension finie. Tu m'indiques qu'on a donc "un morphisme" $E \otimes F \rightarrow \mathcal{L}(E^*,F)$, mais du coup, il est injectif, donc en dimension finie on a bien $E \otimes F \simeq \mathcal{L}(E^*,F)$. 
    Voilà, c'est ça que je voulais. Une description explicite de $E \otimes F$ en dimension finie, en termes de matrices, à condition de savoir décrire $\mathcal{L}(E^*,F)$, et ça je dirais que je sais encore faire.
    Mon inquiétude sous-jacente à ce fil est la suivante : tu le sais puisqu'on l'avait pratiquement fait ensemble à l'époque, je sais comment définir et prouver la PU du produit tensoriel dans le cas le plus général, et je sais aussi que tout raisonnement qui implique un produit tensoriel se résume à sa PU (c'est toi-même qui me disais ça). Le problème n'est pas là. Je sais enchaîner des vérités abstraites sans me questionner sur le pourquoi du comment puisqu'on m'a décerné un diplôme pour ça, mais, j'aime bien savoir à quoi ce que je fais correspond. Et la PU du produit tensoriel ne me suffit pas à comprendre pourquoi dans tel bouquin, tel chapitre, pour étudier tel truc on introduit un machin avec des $\otimes$ un peu partout. Par exemple, j'ai un bouquin sur les groupes/algèbres de Lie, la première section du bouquin concerne les algèbres de Lie (classification, représentations) et le deuxième chapitre commence par "boum, algèbre universelle enveloppante, parce qu'une algèbre de Lie a les mêmes représentations que son AUE". C'est sauvagement parachuté, expédié en deux phrases, et je me retrouve avec des tenseurs partout sans comprendre pourquoi on les introduit ici. Quel est le lien entre "ce machin sert à factoriser les applications bilinéaires par des applications linéaires" et les représentations (qui sont déjà linéaires...) d'algèbres de Lie ? Pas un seul mot d'explication, comme si c'était censé être le truc le plus naturel du monde de directement penser à l'AUE quand on se propose d'étudier les représentations d'algèbres de Lie. Si c'est censé être naturel, je ne sais pas trop pourquoi, alors j'ai envie de bidouiller un peu des produits tensoriels simples pour mieux m'approprier le truc. Si c'est vraiment naturel, ça devrait finir par venir, je pense être suffisamment adepte en maths pour comprendre avec la pratique.
    J'aime bien l'idée de représenter un tenseur $x \otimes y \in \R^2 \otimes \R^3$ par une matrice à 6 coefficients "à la physicienne" juste histoire de voir un peu ce que ça donne. Ou bien dans $\R^3 \otimes \R^3$, quand on définit $x \otimes y := x \times y^T$, le produit scalaire devient la trace : $\langle x \mid y \rangle = \text{Tr}(x \otimes y)$. C'est concret, et si j'ai appris les notions mathématiques en manipulant des exemples jusqu'ici, ça serait dommage d'arrêter de faire ça maintenant.
  • Maxtimax
    Modifié (March 2022)
    (comme toi, je me restreins à un corps commutatif)

    Le morphisme $E^*\otimes F\to L(E,F)$, on l'a toujours, et il est toujours injectif, de même d'ailleurs pour la composition $E\otimes F\to L(E^*,F)$, le point cool est qu'il est bijectif si l'un des deux est de dimension finie (et le second l'est donc si $E$ est de dimension finie)

    Pourquoi le produit tensoriel apparaît quand on parle de représentations ? Il y a plusieurs raisons. Je t'en cite 3, et les décrit rapidement mais n'hésite pas à poser plus de questions sur chacune. 

    1- La notion d'algèbre (associative, ou de Lie) est intrinsèquement bilinéaire: la multiplication $A\times A\to A$ (qu'elle soit une multiplication associative ou un crochet de Lie) est bilinéaire, et donc est en vérité un morphisme $A\otimes A\to A$ - ça te permet de formuler ces notions entièrement "dans" les espaces vectoriels + la donnée de $\otimes$ (qui est une opération qui prend en entrée des espaces vectoriels et te ressort des espaces vectoriels, même si sa définition utilise des notions extérieures). Donc c'est pas ridicule que ça apparaisse. Par exemple, on peut déduire de ça, d'une certaine manière complètement formellement, que (dans le cas associatif) le $A$-module libre sur un espace vectoriel $V$ est $A\otimes V$ (voir par exemple ce post ). 

    2- L'algèbre enveloppante d'une algèbre de Lie, c'est parce qu'on est relativement habitué aux représentations d'algèbres associatives et qu'on a beaucoup d'outils pour ça, donc si on peut réduire certains aspects des représentations d'algèbres de Lie à des trucs associatifs, on est content-e ! La raison maintenant que des produits tensoriels apparaissent dans sa définition vient de 1- : la notion d'algèbre associative est intrinsèquement liée à $\otimes$, et une conséquence de ça est que l'algèbre associative libre sur un espace vectoriel $V$ est $T(V)= \bigoplus_{n\in \mathbb N} V^{\otimes n}$ (un truc énorme en général - mais c'est pas surprenant : prends par exemple $ V= k^n$ - $k$ est mon corps de base -, alors $V$ est l'espace vectoriel libre sur sa base canonique, donc $T(V)$ est l'algèbre libre sur sa base canonique, i.e. une algèbre de polynômes non commutative (bon, ça reste gros dans le cas commutatif, même si un tout petit peu moins). Moralement, tu penser aux éléments de la base canonique dans $V = V^{\otimes 1}$ comme tes indéterminées, et les termes $e_{i_1}\otimes ... \otimes e_{i_n} \in V^{\otimes n}$ comme des produits de ces indéterminées. En fait c'est pas "moralement", c'est vrai :-D 

    Bon, l'algèbre libre sur $V$ est exprimable en termes de produits tensoriels, et "donc" l'algèbre universelle enveloppante est aussi exprimée de la sorte, puisqu'en gros tu prends $T(\mathfrak g)$ et tu tues exactement ce qu'il faut pour que le commutateur $ab-ba$ sur $T(\mathfrak g)/\text{ quelque chose }$ étende le commutateur de $\mathfrak g$. Il s'agit ensuite de déterminer le "quelque chose". Je peux bien imaginer qu'on te balance ça sans plus d'explications, et c'est de la mauvaise pédagogie si c'est le cas. 

    3- Pour par exemple des représentations de groupes, on peut facilement construire une représentation en prenant le tenseur de deux autres représentations: tu définis $g\cdot (v\otimes w) := (gv)\otimes (gw)$. ça te permet de découvrir plein de nouvelles représentations (notamment des irréductibles parmi les composantes de $V\otimes W$ pour $V,W$ irréductibles), mais aussi de décrire plus succintement certaines choses. 

    Bref, de manière cachée, le produit tensoriel est là depuis le début : dès la définition d'"algèbre". 
     
    Je ne pense pas que penser aux tenseurs en termes de matrices aide vraiment, mais si ça t'aide, toi, alors profites-en ! 
    Une autre manière d'y penser est peut-être de regarder ce que j'ai dit en 2- : tu peux voir $v\otimes w$ comme "$v$ et $w$ juxtaposés" (comme par exemple des indéterminées dans une algèbre de polynômes non commutative)
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