Temps imaginaire

Jean--Louis
Modifié (January 2022) dans Mathématiques et Physique
Bonjour, on lit de temps en temps dans des revues ou livres de vulgarisation, qu'avant le temps de Planck, le temps était imaginaire. (Et non, il n'y a pas que les Bogdanov qui ont écrit cela.Je me demande ce que ça veut dire, en fait.
De plus, il me semble que certains auteurs font démarrer le big bang au vrai temps zéro, mais d'autres le font démarrer au temps de Planck. J'aimerais avoir votre avis.
Cordialement.
Jean-Louis.

Réponses

  • YvesM
    Modifié (January 2022)
    Bonjour
    Soit $t$ le temps avec $t$ un réel. Alors $\tau = it$ est le temps imaginaire qui est un nombre imaginaire pur. 
    En physique statistique on calcule des $e^{-\beta H}$ avec $\beta$ un réel positif ou négatif lié à la température et $H$ l'hamiltonien du système.
    En physique quantique on calcule des $e^{-i t/\hbar H}$ avec $t$ le temps réel et la constante de Planck. 
    On reconnaît $\tau$ : donc on calcule $e^{-\tau H}$ et le résultat s'applique en physique statistique classique et quantique. 
    Rien de plus, rien de moins.
  • Les modèles mathématiques de la physique moderne amènent parfois à considérer des masses négatives, ou des temps imaginaires, c'est une abstraction mathématique. De là à dire comprendre "ce que ça veut dire", c'est sûrement hors de portée de nos intuitions physiques basiques.
  • Oui et on finit par se demander si l'on comprend de quoi l'on parle.
  • YvesM
    Modifié (January 2022)
    Bonjour,
    @Jean-Louis, dans ces exemples, le temps imaginaire est un temps, modélisé comme un imaginaire pur. Mais il s’agit vraiment d’un temps au sens physique, c’est juste la modélisation qui permet de traiter les calculs classiques ou quantiques d’une seule traite. 

    Je connais un cas plus tordu. 
    En physique des cordes, on tombe sur des quantités ${1\over a}$ avec $a>0$ comme par exemples une quantité de mouvement projetée dans une sous-dimension d’espace à la con. 
    Pour mener les calculs, on est très embêté parce qu’on ne voit pas comment faire.
    Un physicien (l’un des meilleurs de notre temps) proposa d’écrire ${1\over a}=\int_0^{+\infty} e^{-a u} du$ et effectivement les calculs se font alors par perturbations. 
    Par analogie avec la chromodynamique quantique, avec des $e^{-A t}$, il proposa d’interpréter $u$ comme un temps. Mais $u$ n’a aucune raison d’être un temps : c’est juste une variable d’intégration, réelle, qui varie de $0$ à l’infini, et sans dimension ($a$ est aussi sans dimension). La quantité $a$ est projetée sur un sous-espace à un temps $t$ donné : la variable physique temps $t$ est donc fixé dans ces calculs. Pourtant, le formalisme permet de « créer » une notion de temps $u$ nouvelle. 
    Est-ce un abus de langage ou une interprétation physique judicieuse ? Je ne sais pas, mais l’intuition de ce physicien ne peut être ignorée. 
    Tu as le droit de donner à ce temps le nom que tu veux : fantôme, caché, intriqué, surréel, etc. Ça fera bien dans des articles de vulgarisation…
    Dans les articles on écrit simplement « par analogie, la variable $u$ est considérée comme un temps. Ça rend intuitif le cours des calculs et les perturbations car on se réfère au cas de la chromodynamique que l’on connaît. 
  • Merci à tous. YvesM, OK, mais c'est dommage que les "vulgarisateurs" parlent de temps imaginaire, avec, me semble-t-il , en arrière pensée, le fait qu'il n'est pas réel donc qu'il n'existe pas. Et alors, pour moi, leur discours tombe à plat.
    Cordialement.
    Jean-Louis.
  • gerard0
    Modifié (January 2022)
    C'est le danger de l'usage du mot "imaginaire", quasiment tombé en désuétude chez les matheux (reste seulement "imaginaire pur") au profit de complexe (parfois lui aussi mal compris, alors qu'il veut simplement dire "en plusieurs parties"). Voir l'article de Yves Gingras dans Pour la Science de janvier 2022.
    C'est pourquoi certains vulgarisateurs font beaucoup de mal à la compréhension des faits scientifiques.
    Cordialement.
  • Georges Abitbol
    Modifié (January 2022)
    Mmmmh, j'essaie de comprendre un peu de quoi retourne la théorie quantique des champs, et je dois dire que je n'y comprends quasiment rien. Cependant, j'ai lu un truc que je crois avoir compris et qui parle un peu de ça.
    L'espace-temps de la relativité restreinte est $\mathbb{R}^4$ muni d'une certaine forme quadratique. Il y a plein d'objets mathématiques compliqués qui décrivent les champs ; mais, finalement, tout ceci peut être encodé par des fonctions $\mathbb{R}^4 \rightarrow \mathbb{C}$ qui vérifient certaines équations. Il se trouve que ces fonctions sont analytiques, et donc peuvent se prolonger, de manière unique, à un ouvert $U$ de $\mathbb{C}^4$ qui contient $\mathbb{R}^4$, et, sous des hypothèses techniques, on peut avoir $U = \mathbb{C}^4$.
    Bien sûr, l'espace $\mathbb{C}^4$ (muni de cette forme quadratique) n'a aucune interprétation physique (en tout cas a priori) mais offre dorénavant beaucoup plus de souplesse pour faire des calculs (notamment parce que sur des $\mathbb{C}$-espaces vectoriels de dimension finie, toutes les formes quadratiques sont équivalentes) ; c'est de cette façon qu'on peut démontrer le théorème spin-statistique (auquel je n'ai pas compris grand chose). Je tiens tout ça du blog/site de John Baez.
    Bref, je crois qu'on peut tirer une morale de ça : des trucs mathématiquement bien balisés comme "prolongement analytique" peuvent servir en physique ; si le $\mathbb{R}$ (sur lequel on prolonge) est un temps, alors la physique se met à parler de "temps imaginaire" et seulement ensuite, on cherche (avec plus ou moins de succès) à interpréter cette idée.
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