"Et pourtant, ils ne remplissent pas N!"
Bonjour à toutes et tous.
Cette phrase de George Reeb m'a longtemps causé des nuits blanches. En plus, pour l'anecdote , la première fois que je l'ai lue, j'ai compris (allez savoir pourquoi?) "...ils ne remplissent pas factorielle N"
En fait Reeb parle des entiers "naïfs" qui ne seraient pas les seuls occupants de N mais si on est uniquement dans ZF avec les axiomes de Péano, comment est-ce possible? Il faudrait au minimum se placer dans ZF + IST de Nelson pour pouvoir parler d'entiers "standard" et "non standard" qualificatifs qui ne sont pas , comme le symbole d'appartenance dans ZF, définis. Et il y a un théorème qui dit que tout ensemble infini possède au moins un élément non standard; mais avec quelles hypothèses? Ça me semble pas clair. Je suis preneur de tout éclaircissement. Merci d'avance.
Bonne soirée.
Jean-Louis.
Réponses
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Bonjour @Jean-Louis,D'abord c'est normal que tu aies compris "factorielle N", puisqu'il y avait un point d'exclamation à la fin de la phrase.Il faut bien distinguer deux points de vue, selon qu'on se place dans ZF(C) ou dans IST Nelson.1) ZF démontre l'existence d'un ensemble $\omega$ qui, muni des opérations adéquates, satisfait les axiomes de Peano au premier ordre. Il est clair que $\omega$ contient une copie de $\mathbb{N}$, à savoir$$\{0,S0,SS0,...S^n0,...\}$$où on a posé $0=\emptyset$, et où $S^n$ désigne l'itérée nième de la fonction successeur.Mais, en l'absence d'hypothèses supplémentaires, on est incapables de savoir s'il y a égalité, ou bien s'il existe des entiers non standard, i.e. des éléments de $\omega$ qui ne peuvent pas être atteints par ce processus. Si le modèle de ZF considéré possède de tels entiers, on l'appelle modèle non standard.Supposons que ZF est consistante, donc par complétude elle admet un modèle. Il est assez facile de prouver qu'elle admet au moins un (et même beaucoup de) modèle(s) non standard. En revanche il est impossible de démontrer qu'elle admet un modèle standard. Autrement dit, la théorie ZF + Cons(ZF) + "Il existe un modèle standard" est strictement plus forte que ZF + Cons(ZF). C'est comme ça.George Reeb aurait dû écrire de préférence : "P'têt ben qu'oui, p'têt ben qu'non".2) IST Nelson c'est autre chose : le langage est constitué d'un prédicat binaire $\in$, et d'un prédicat unaire $st$ (pour standard). Comme tu le dis très justement, $st$ n'est pas définissable dans le langage de ZF. L'ANS selon Nelson est constituée de tous les axiomes de ZFC auxquels on ajoute 3 axiomes spécifiques : Idéalisation, Standardisation, Transfert (facile à mémoriser : IST). Et effectivement, comme $\omega$ est infini il contient un élément non standard... et c'est justement cela qui fait tout le charme de la théorie. Les choses s'en trouvent largement simplifiées. Une fonction $f$ est continue en $a$ si, dès l'instant qu'on fait varier $a$ d'un infiniment petit, $f(a)$ varie aussi d'un infiniment petit. Une suite $(u_n)$ converge vers $l$ si $u_\alpha$ est infiniment proche de $l$ pour tout infiniment grand (i.e. tout non standard) $\alpha$. And so on.
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Merci à toi Martial. Et vivement la sortie de ton bouquin.Amicalement.Jean-Louis.
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Je crois qu'une grande partie du problème dans la compréhension de l'existence des entiers non standard vient du fait que le symbole $\in$ du langage des ensembles est confondu avec la notation $\in$ des maths qui signifie "appartenance".On a cette vilaine habitude de vouloir travailler dans un modèle de ZFC comme si on faisait de la théorie naïve. Mais bon, je pense qu'on a tort de voir les éléments d'un modèle de ZFC comme des ensembles, il serait plus judicieux de les voir de la même façon qu'on voit les éléments d'un groupe, des boites opaques. Aussi changer le nom de la relation binaire "appartenance" du langage des ensemble serait une bonne idée, je crois. On pourrait la noter $\varepsilon$ par exemple.Sinon ce sera difficile d'expliquer la différence entre l'ensemble naïf des entiers et l'élément $\omega$ d'un modèle de ZFC.Et ce sera difficil de faire comprendre aux gens que la formule $\forall k(k\in \omega \implies \exists n((n\in \mathbb N)\wedge (k=S^n0)))$ n'ait aucune sens ou plus exactement qu'elle n'est pas une formule mais juste du charabia.Mathématiques divines
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Le problème vient des entiers eux-mêmes et non de ZFC ou autre. L'arithmétique de Robinson prête le flanc aux théorèmes d'incomplétude (on a notamment le fait qu'en admettant les fragments de l'arithmétique où le lemme de König/le théorème de complétude est vrai, en prenant n'importe quelle théorie récursive T contenant Robinson, soit T ne possède aucun modèle soit elle en possède plusieurs).
Pour montrer l'ampleur des problèmes soit $X$ une théorie contenant l'arithmétique de Robinson. Soit $a$ un symbole de constante ne figurant pas dans $X$. Pour tout terme clos du langage des entiers $t$, soit $F_t:= t < a$. On appelle $Y$ la théorie obtenue en ajoutant à $X$ le schéma d'axiomes consistant en tous les énonés de la forme $F_t$. Soit $G$ un énoncé ne contenant pas $a$ Alors si $Y$ démontre $G$, $X$ démontre $G$ (puisque une preuve $\pi$ de $G$ ne contient qu'un nombre fini d'instances de $F_t: F_{t(1)}, ..., F_{t(d)}$:pour cela on calcule un entier (terme clos du langage) $u$ qui est strictement plus grand que tous les $t(i)$ et on remplace $a$ par $u$ partout dans la preuve; puis on rajoute pour chaque $i$ une preuve que $t(i) < u$ et le tour est joué).
$Y$ est donc une extension conservative de $X$ (que peut-on dire de ses modèles?)
Bilan: On peut rajouter en toute impunité dans n'importe quelle extension de l'arithmétique de Robinson une constante et des axiomes qui expriment l'idée que cette constante est plus grande que tous les nombres qu'on peut écrire (tout en étant un nombre).
Modèle standard vous avez dit? Personne ne sait vraiment de quoi on parle quand on évoque "$\N$" (mais on peut au moins s'accorder sur des axiomatiques).
On voit aussi d'après ce qui précède qu'il ne faut de plus jamais confondre "je prouve $\forall x \in \N, F(x)$" et "je prouve $F(t)$ pour tous les termes, notamment les entiers explicites".
Une fonction est un ensemble $f$ de couples tel que pour tous $x,y,z$, si $(x,y)\in f$ et $(x,z)\in f$ alors $y = z$. -
Pour aller totalement dans le sens de Foys :Les deux phrases suivantes (dans le langage adéquat et $T$ une théorie dans ce langage, Robinson par exemple) ne sont pas identiques :Pour tout $n$ et pour tout $m$ je peux démontrer, dans le cadre de la théorie $T$ que : $n \times m = m \times n$.Je peux démontrer dans le cadre de la théorie T que : $\forall n \, \forall m (n \times m = m \times n)$.Il ne faut pas respirer la compote, ça fait tousser.
J'affirme péremptoirement que toute affirmation péremptoire est fausse -
Dans la première phrase le pour tout est "méta" alors que dans le second, il est interne au langage.
Ce qui est amusant c'est que, d'un point de vue sémantique, l'interprétation du $\forall$ dans une structure, pour le coup, se fait via le "pour tout" du métalangage. -
Il y a une autre différence : dans la première phrase $n$ et $m$ sont des entiers "standards", "naïfs", même si ce n'est pas écrit (ce qui est répréhensible) alors que dans la deuxième phrase, il s'agit de tous les éléments de tous les modèles.Il ne faut pas respirer la compote, ça fait tousser.
J'affirme péremptoirement que toute affirmation péremptoire est fausse -
Comment faudrait-il alors écrire la première phrase pour enlever les ambiguïtés ?
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Si pour tout $m,n$, on suppose que, dans $T$, il y a l'axiome $m\times n=n\times m$, alors le premier énoncé est vrai. Mais le deuxième énoncé ne l'est pas nécessairement.
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Déjà en écrivant pour tour entier $n$ et tout entier $m$, et comme clairement cette partie n'est pas formelle et que je n'ai surtout pas écrit $\forall$ mais "pour tout", ce devrait être clair, surtout si le texte est précédé d'une introduction, par exemple :Remarque importante : Il n'est pas nécessaire d'avoir une définition formelle des entiers pour utiliser les entiers naïfs, ceux que l'on apprend à manipuler en maternelle, par exemple, il peut paraître abusif d'écrire (dans le cadre de l'arithmétique de Robinson) $s^2(0)$, puisque 2 n'existe pas dans le langage et n'est pas défini dans Robinson (pas plus que la notation exponentielle d'ailleurs), mais il suffit de savoir que $s^2(0)$ est une abréviation pratique pour $s(s(0))$ (abréviation très pratique (pour le scripteur comme pour le lecteur) si je veux parler de $s^{4565465454}(0)$ par exemple).Il est évidemment formellement interdit d’utiliser les entiers naïfs dans une formule du langage formel, sauf comme uneabréviation, par exemple, écrire :
- $\exists y (y = s^5(0))$ est valide car ce n’est qu’une abréviation pour $\exists y (y = s(s(s(s(s(0)))))$.
- :$\exists y (y = s^n(0))$ est valide car ce n’est qu’une abréviation pour $\exists y (y = s(s(s(s \dots (s(0))\dots)))$ où il y a $n$ occurrences de $s$, évidemment cet exemple est un peu plus complexe que le précédent puisque $n$ n'est pas fixé.
- $\forall n \, \exists y (y = s^n(0))$ est invalide puisque cette formule ne peut être considérée comme une abréviation d’une formule qui ne contient pas ce $n$ (qui ne fait pas partie du langage utilisé ici).
Il ne faut pas respirer la compote, ça fait tousser.
J'affirme péremptoirement que toute affirmation péremptoire est fausse - $\exists y (y = s^5(0))$ est valide car ce n’est qu’une abréviation pour $\exists y (y = s(s(s(s(s(0)))))$.
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@marco : Dans Robinson, la première phrase est "démontrable" (sans les axiomes que vous citez), et la deuxième ne l'est pas.Il ne faut pas respirer la compote, ça fait tousser.
J'affirme péremptoirement que toute affirmation péremptoire est fausse -
@Médiat_Suprème : ah, d'accord, merci, mais je ne vois pas comment prouver que la deuxième phrase n'est pas démontrable dans l'arithmétique de Robinson. Il faut considérer un modèle où elle est fausse, mais lequel ?
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Soit la structure $\mathbb{M} = (\{0\} \times \mathbb{N}) \, \bigcup \, (\mathbb{Q}^{*+} \times \, \mathbb{Z})$, on définitsur $\mathbb{M}$ une $\mathcal{L}$-structure (c'est-à-dire qu'il faut interpréter 0, $s$, + et $\cdot$ dans cette structure) :$0_\mathcal{L} $ est interprété par $(0, 0)$$s_\mathcal{L}$ est interprété par $s_\mathbb{M}(\alpha, n) = (\alpha, n + 1)$$+_\mathcal{L}$ est interprété par $(\alpha, n) +_\mathbb{M} (\beta, m) = (\alpha, n + m)$$\cdot_\mathcal{L}$ est interprété par $(\alpha, n) \cdot_\mathbb{M} (\beta, m) = (\alpha + \beta, n.m)$ si $(\beta, m) \neq (0, 0)$$(\alpha, n) \cdot_\mathbb{M} (0, 0) = (0, 0) $Il ne faut pas respirer la compote, ça fait tousser.
J'affirme péremptoirement que toute affirmation péremptoire est fausse -
Peut-être $\N+ \Z X+ \Z X^2$, avec $X\times X^2=X$ et $X^2 \times X=X^2$ et $ X^2 \times X^2=X^2$
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Merci @Médiat_Suprème, je n'avais pas vu votre message.Donc mon exemple, $X$ n'est pas successeur donc erreur...
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@Médiat_Suprème : je n'ai pas tout suivi mais j'ai l'impression que dans ton post de 19h37 tu as réussi à construire "pédestrement" un modèle de Robinson dans lequel la commutativité de la multiplication est fausse. Je connaissais l'existence de tels modèles, mais je ne savais pas qu'on pouvait en construire sans invoquer des arguments méta.
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J'avoue n'avoir pas vérifié depuis longtemps, comme il n'y a pas de schéma de récurrence dans Robinson, la vérification devrait être "aisée". Je n'aurai pas le temps demain ...Il ne faut pas respirer la compote, ça fait tousser.
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Déclarer que les entiers naïfs ne remplissent pas $\N$, c'est un peu comme dire que les groupes abéliens ne remplissent pas les groupes. Par là j'entends que la nature, l'essence des entiers naïfs (dont Christophe C, soit dit en passant, niait purement et simplement l'existence) ne peut être captée dans le cadre limité du calcul des prédicats, que ce soit avec $PA$ ou avec $Z(F)$. Imaginez que l'on n'ait découvert, à l'origine, que des groupes commutatifs et qu'on les ait caractérisé avec les axiomes du groupes. Plus tard, on découvre l'existence de groupes non commutatifs qui satisfont encore notre définition mais ne correspondent plus à l'idée qu'on se fait du concept originel. On corrige alors le tir en rajoutant l'axiome de commutativité pour définir ce que l'on avait en tête et tout rentre dans l'ordre. Rien de tel avec les entiers naïfs. On ne peut rajouter au schéma de récurrence ou à celui de séparation ce qu'il conviendrait, l'expressivité limitée de la logique du 1er ordre ne le permettant pas. On escamote alors cette impuissance dérangeante en l'érigeant en un slogan : "Les entiers naïfs ne remplissent pas $\N$" !
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@Foys, si tu m'obliges à m'exprimer uniquement dans une théorie du 1er ordre, alors je ne peux pas même pas définir les entiers naïfs (c'était le sens de mon message). Maintenant, si tu m'autorises à quantifier sur les parties d'ensembles, je peux définir $\omega$ et l'appeler l'ensemble des entiers naïfs, définir l'addition, la multiplication, la fonction puissance, et alors, oui, l'expression que tu as écrite est bien un entier naïf.
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Bonjour, je vous conseille de lire les pages 5 et 6 de ce document. J'avoue être un peu largué.Bonne journée.
Jean-Louis. -
Est-ce que ce qui te pose problème est le fait que l'axiome I' entraîne qu'il existe un entier $n \in \mathbb{N}$ qui ne soit pas standard? Sinon, tu devrais dire exactement ce qui te pose problème.
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@Jean-Louis, ce qui est important c'est la date. En 1981 on en était aux tous débuts de l'ANS moderne (IST Nelson date de 1977). Donc souvent à cette époque les gens écrivaient des trucs chelous, ou mal expliqués, souvent parce qu'ils ne comprenaient pas tout eux-mêmes.Attention, je ne parle pas ici de la version Robinson de l'ANS (1960) qui était déjà bien maîtrisée dans les eighties, mais impopulaire, tout simplement parce que tous les analystes ne sont pas forcément à l'aise avec les ultrafiltres et le théorème de Los. Je développerai plus tard si besoin.
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Bonjour à tous, je joins un papier de 1987. En fait ce qui me pose problème c'est juste une question d'intuition. Ou peut-être aussi que dans ce papier je ne vois pas très bien pourquoi le principe de récurrence "à la Bourbaki" entraîne qu'il peut exister dans N , sans contradiction, un entier infiniment grand, donc non naïf.Bonne journée.Jean-Louis.
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Le papier en question...
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Suis nul j'y arrive pas....
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J'ai réussi!
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@Jean-Louis : Merci pour ce document. Toutefois on peut dire que les racines de l'ANS se trouvent dans le calcul infinitésimal de Newton et Leibniz, comme l'explique très bien Robinson dans l'introduction de son livre. D'une certaine façon Robinson a "ressuscité" le calcul infinitésimal, qui s'était révélé inconsistant.
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À noter que, avant Robinson, les infinitésimaux ne faisaient pas l'unanimité :George Berkeley, évêque et philosophe irlandais (1685 - 1753) critiqua fortement l'usage d'incréments considérés comme non nuls pendant une partie des calculs, puis que l'on déclare nuls à la fin des calculs (il suffit de calculer la dérivée de $f(x) = x^2$ à partir de la définition pour comprendre (pas accepter) la critique de Berkeley).Mais que sont ces incréments évanescents ? Ce ne sont pas des quantités finies, ni des quantités infiniment petites, ni même rien du tout. Ne pourrions-nous pas les appeler des fantômes de quantités défuntes ?}Georg Cantor a largement critiqué l'usage des infinitésimaux "actuels" (car contradictoire avec l'axiome d'Archimède), allant même jusqu'à parler de (dans une lettre au mathématicien italien Vivanti) :l'infection des mathématiques par le bacille du choléra des infinitésimaux.Bertrand Russell fut encore plus dur en condamnant les infinitésimaux comme : non nécessaires, erronés et auto-contradictoires.
J'aime beaucoup le nom proposé par BerkeleyIl ne faut pas respirer la compote, ça fait tousser.
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