Somme de réseaux
Je présente ci-dessous le calcul d'une série double intéressante. Je propose deux démonstrations.
Pour $s \in \mathbb{C}$ tel que $\mathrm{Re}(s) > 1$, on cherche à calculer :
$$ \Phi(s) = \sum_{(a,b) \in \mathbb{Z}^2 \backslash (\{0,0\})} \frac{1}{(a^2 + b^2)^s}$$
On a le résultat suivant :
$$\Phi(s) = 4 \beta(s) \zeta(s)$$
Où $\beta$ désigne la fonction bêta de Dirichlet et $\zeta$ est la fonction zêta de Riemann, pour rappel :
$$\forall s \in \mathbb{C}, \mathrm{Re}(s) > 0, \beta(s) = \sum_{n = 0}^{\infty} \frac{(-1)^n}{(2n+1)^s}$$
Exemple :
$$ \Phi(2) = \frac{2}{3} \pi^2 C$$
où $C$ désigne la constante de Catalan $\left( C = \beta(2) = \int_0^1 \frac{\mathrm{arctan}(u)}{u} du \right)$
Preuve 1 : (Via la formule d'inversion de Mobius et le théorème des deux carrés)
Notons $r_2$ la fonction "somme de deux carrés", elle associe à un nombre entier $n$ le nombre de représentations en sommes de deux carrés de $n$. En particulier c'est une fonction arithmétique et le théorème des deux carrés de Jacobi nous donne une expression simple pour $r_2$ :
$\forall n \in \mathbb{N^*}, r_2(n) = 4 (d_1(n) - d_3(n) )$ (formule de Jacobi)
Où $d_1(n)$ (resp $d_3(n)$) est le nombre de diviseurs de $n$ congru à $1$ (resp $3$) modulo $4$.
On a en particulier :
$$ \Phi(s) = \sum_{n=1}^{\infty} \frac{r_2(n)}{n^s}$$
Le théorème de Jacobi nous permet d'écrire $r_2$ comme une somme sur les diviseurs de $n$, on a :
$$ r_2(n) = 4 \sum_{d | n} \mathrm{sin} \left( \frac{1}{2} \pi d \right) $$
La formule d'inversion de Mobius donne ($\mu$ étant la fonction de Mobius) :
$$4 \mathrm{sin} \left( \frac{1}{2} \pi n \right) = (r_2 \star \mu) (n)$$
En passant aux séries de Dirichlet et en se servant des propriétés de compatibilité des séries de Dirichlet avec le produit de convolution, on a :
$$4 \sum_{n = 1}^{\infty} \frac{\mathrm{sin} \left( \frac{1}{2} \pi n \right) }{n^s} = \Phi(s) \sum_{n = 1}^{\infty} \frac{\mu(n)}{n^s} $$
On reconnait à gauche la fonction bêta de dirichlet, et la somme de droite est connue comme étant l'inverse de la fonction zêta de Riemann. D'où le résultat.
Preuve 2 : (Via le corps $\mathbb{Q}(i)$ et la fonction zêta de Dedekind)
Posons $\mathbb{K} = \mathbb{Q}(i)$ le corps des nombres de Gauss et son anneau des entiers est l'anneau des entiers de Gauss $\mathcal{O}_{\mathbb{K}} = \mathbb{Z}[i]$. On peut facilement montrer que $\mathbb{Z}[i]$ est un anneau euclidien en considérant une division euclidienne avec la norme sur les nombres complexes. En particulier $\mathbb{Z}[i]$ est principal et tous ses idéaux sont principaux et les unités de $\mathbb{Z}[i]$ sont $\pm 1$, $\pm i$.
La fonction zêta de Dedekind associée est (la somme porte sur les idéaux non-nuls et $N$ désigne la norme de $\mathbb{Q}(i)$ sur $\mathbb{Q}$ qui se ramène ici à la norme usuelle sur les nombres complexes) :
$$\forall s \in \mathbb{C}, \mathrm{Re}(s) > 1, \zeta_{\mathbb{K}} (s) = \sum_{I \subset \mathbb{Z}[i], I \neq (0)} \frac{1}{N(I)^s} = \frac{1}{4} \sum_{a + ib \neq 0} \frac{1}{(a^2 + b^2)^s}$$
$\zeta_{\mathbb{K}}$ admet également un développement en produit eulérien (le produit porte sur les idéaux premiers) :
$$\forall s \in \mathbb{C}, \mathrm{Re}(s) > 1, \zeta_{\mathbb{K}} (s) = \prod_{\mathfrak{P} \subset \mathcal{O}_{\mathbb{K}}} \frac{1}{1 - N(\mathfrak{P})^{-s}}$$
Comme $\mathbb{Z}[i]$ est principal, les idéaux premiers correspondent aux éléments premiers de $\mathbb{Z}[i]$ appelés "nombres premiers de Gauss".
La description des nombres premiers de Gauss (à l'aide du théorème des deux carrés) nous permet de réécrire le produit eulérien :
$$\forall s \in \mathbb{C}, \mathrm{Re}(s) > 1, \zeta_{\mathbb{K}} (s) = \frac{1}{1 - 2^{-s}} \prod_{p \in \mathbb{P} \atop p \equiv 1[4]} \frac{1}{(1 - p^{-s})^2} \prod_{p \in \mathbb{P} \atop p \equiv 3[4]} \frac{1}{1 - (p^2)^{-s}} $$
$$\forall s \in \mathbb{C}, \mathrm{Re}(s) > 1, \zeta_{\mathbb{K}} (s) = \zeta(s) \prod_{p \in \mathbb{P} \atop p \equiv 1[4]} \frac{1}{1 - p^{-s}} \prod_{p \in \mathbb{P} \atop p \equiv 3[4]} \frac{1}{1 + p^{-s}} $$
$$\forall s \in \mathbb{C}, \mathrm{Re}(s) > 1, \zeta_{\mathbb{K}} (s) = \zeta(s) L(s, \chi) $$
Où $\chi$ est le caractère de Dirichlet "modulo 4", qui correspond à la fonction bêta de Dirichlet.
Pour aller plus loin :
Ce type de sommes appelées "sommes de réseaux" (lattice sum) interviennent à la frontière entre la théorie des nombres et la physique. En particulier, ce type de somme peuvent modéliser des interactions de type électrique (coulomb) dans des réseaux cristallins https://fr.wikipedia.org/wiki/Constante_de_Madelung
Par exemple la somme : $\sum_{n = 1}^{\infty} \frac{(-1)^n r_2(n)}{n^s} $ vaut $-4 \zeta(s) \eta(s)$ où $\eta$ est la fonction êta de Dirichlet.
https://mathworld.wolfram.com/LatticeSum.html
Cordialement
Calembour
Pour $s \in \mathbb{C}$ tel que $\mathrm{Re}(s) > 1$, on cherche à calculer :
$$ \Phi(s) = \sum_{(a,b) \in \mathbb{Z}^2 \backslash (\{0,0\})} \frac{1}{(a^2 + b^2)^s}$$
On a le résultat suivant :
$$\Phi(s) = 4 \beta(s) \zeta(s)$$
Où $\beta$ désigne la fonction bêta de Dirichlet et $\zeta$ est la fonction zêta de Riemann, pour rappel :
$$\forall s \in \mathbb{C}, \mathrm{Re}(s) > 0, \beta(s) = \sum_{n = 0}^{\infty} \frac{(-1)^n}{(2n+1)^s}$$
Exemple :
$$ \Phi(2) = \frac{2}{3} \pi^2 C$$
où $C$ désigne la constante de Catalan $\left( C = \beta(2) = \int_0^1 \frac{\mathrm{arctan}(u)}{u} du \right)$
Preuve 1 : (Via la formule d'inversion de Mobius et le théorème des deux carrés)
Notons $r_2$ la fonction "somme de deux carrés", elle associe à un nombre entier $n$ le nombre de représentations en sommes de deux carrés de $n$. En particulier c'est une fonction arithmétique et le théorème des deux carrés de Jacobi nous donne une expression simple pour $r_2$ :
$\forall n \in \mathbb{N^*}, r_2(n) = 4 (d_1(n) - d_3(n) )$ (formule de Jacobi)
Où $d_1(n)$ (resp $d_3(n)$) est le nombre de diviseurs de $n$ congru à $1$ (resp $3$) modulo $4$.
On a en particulier :
$$ \Phi(s) = \sum_{n=1}^{\infty} \frac{r_2(n)}{n^s}$$
Le théorème de Jacobi nous permet d'écrire $r_2$ comme une somme sur les diviseurs de $n$, on a :
$$ r_2(n) = 4 \sum_{d | n} \mathrm{sin} \left( \frac{1}{2} \pi d \right) $$
La formule d'inversion de Mobius donne ($\mu$ étant la fonction de Mobius) :
$$4 \mathrm{sin} \left( \frac{1}{2} \pi n \right) = (r_2 \star \mu) (n)$$
En passant aux séries de Dirichlet et en se servant des propriétés de compatibilité des séries de Dirichlet avec le produit de convolution, on a :
$$4 \sum_{n = 1}^{\infty} \frac{\mathrm{sin} \left( \frac{1}{2} \pi n \right) }{n^s} = \Phi(s) \sum_{n = 1}^{\infty} \frac{\mu(n)}{n^s} $$
On reconnait à gauche la fonction bêta de dirichlet, et la somme de droite est connue comme étant l'inverse de la fonction zêta de Riemann. D'où le résultat.
Preuve 2 : (Via le corps $\mathbb{Q}(i)$ et la fonction zêta de Dedekind)
Posons $\mathbb{K} = \mathbb{Q}(i)$ le corps des nombres de Gauss et son anneau des entiers est l'anneau des entiers de Gauss $\mathcal{O}_{\mathbb{K}} = \mathbb{Z}[i]$. On peut facilement montrer que $\mathbb{Z}[i]$ est un anneau euclidien en considérant une division euclidienne avec la norme sur les nombres complexes. En particulier $\mathbb{Z}[i]$ est principal et tous ses idéaux sont principaux et les unités de $\mathbb{Z}[i]$ sont $\pm 1$, $\pm i$.
La fonction zêta de Dedekind associée est (la somme porte sur les idéaux non-nuls et $N$ désigne la norme de $\mathbb{Q}(i)$ sur $\mathbb{Q}$ qui se ramène ici à la norme usuelle sur les nombres complexes) :
$$\forall s \in \mathbb{C}, \mathrm{Re}(s) > 1, \zeta_{\mathbb{K}} (s) = \sum_{I \subset \mathbb{Z}[i], I \neq (0)} \frac{1}{N(I)^s} = \frac{1}{4} \sum_{a + ib \neq 0} \frac{1}{(a^2 + b^2)^s}$$
$\zeta_{\mathbb{K}}$ admet également un développement en produit eulérien (le produit porte sur les idéaux premiers) :
$$\forall s \in \mathbb{C}, \mathrm{Re}(s) > 1, \zeta_{\mathbb{K}} (s) = \prod_{\mathfrak{P} \subset \mathcal{O}_{\mathbb{K}}} \frac{1}{1 - N(\mathfrak{P})^{-s}}$$
Comme $\mathbb{Z}[i]$ est principal, les idéaux premiers correspondent aux éléments premiers de $\mathbb{Z}[i]$ appelés "nombres premiers de Gauss".
La description des nombres premiers de Gauss (à l'aide du théorème des deux carrés) nous permet de réécrire le produit eulérien :
$$\forall s \in \mathbb{C}, \mathrm{Re}(s) > 1, \zeta_{\mathbb{K}} (s) = \frac{1}{1 - 2^{-s}} \prod_{p \in \mathbb{P} \atop p \equiv 1[4]} \frac{1}{(1 - p^{-s})^2} \prod_{p \in \mathbb{P} \atop p \equiv 3[4]} \frac{1}{1 - (p^2)^{-s}} $$
$$\forall s \in \mathbb{C}, \mathrm{Re}(s) > 1, \zeta_{\mathbb{K}} (s) = \zeta(s) \prod_{p \in \mathbb{P} \atop p \equiv 1[4]} \frac{1}{1 - p^{-s}} \prod_{p \in \mathbb{P} \atop p \equiv 3[4]} \frac{1}{1 + p^{-s}} $$
$$\forall s \in \mathbb{C}, \mathrm{Re}(s) > 1, \zeta_{\mathbb{K}} (s) = \zeta(s) L(s, \chi) $$
Où $\chi$ est le caractère de Dirichlet "modulo 4", qui correspond à la fonction bêta de Dirichlet.
Pour aller plus loin :
Ce type de sommes appelées "sommes de réseaux" (lattice sum) interviennent à la frontière entre la théorie des nombres et la physique. En particulier, ce type de somme peuvent modéliser des interactions de type électrique (coulomb) dans des réseaux cristallins https://fr.wikipedia.org/wiki/Constante_de_Madelung
Par exemple la somme : $\sum_{n = 1}^{\infty} \frac{(-1)^n r_2(n)}{n^s} $ vaut $-4 \zeta(s) \eta(s)$ où $\eta$ est la fonction êta de Dirichlet.
https://mathworld.wolfram.com/LatticeSum.html
Cordialement
Calembour
Réponses
-
Illustration sur un exercice proposé (mais ayant suscité peu d'engouement) par @etanche il y a quelques années https://les-mathematiques.net/vanilla/discussion/comment/2358331 :\begin{equation} \displaystyle \sum_{(i,j,k) \in \mathbb{Z}^3} \frac{(-1)^{i+j+k}}{ \Big[ \big( i \pm \frac{1}{6} \big)^2 + \big( j \pm \frac{1}{6} \big)^2 + \big( k \pm \frac{1}{6} \big)^2 \Big]^{1/2}} \end{equation}sans dire qu'il ne s'agissait là que d'une banale lattice sum !
-
À noter : les deux démonstrations sont équivalentes.
Quant à la factorisation de la fonction zêta de Dedekind du corps quadratique en question (preuve n°2), cette formule se généralise à tout corps de nombres abéliens, et s'appelle la formule analytique du nombre de classes. J'en avais rappelé une démonstration ici il y a probablement un an, mais comme il n'y a plus moyen de rechercher une ancienne discussion ici, j'ai la flemme de faire la recherche. -
Bonjour,
Après quelques recherches :
https://les-mathematiques.net/vanilla/discussion/2042382/somme-double#latest
Cordialement
Calembour -
@Area 51
Bonjour, si vous avez l'occasion de mettre la main sur le livre "lattice sum then and now" (https://www.cambridge.org/core/books/lattice-sums-then-and-now/9D7D319609D4BDD4D8B5310B2568E93E) il regorge de telles sommes
Cordialement
Calembour -
A noter également, que la somme initiale, est également un cas particulier de la "fonction zêta d'Epstein", c'est-à-dire une somme où au dénominateur on a une forme quadratique.
Dans cette article par exemple, on peut voir l'expression des sommes d'Epstein via des fonctions $L$ ce qui généralise un peu le résultat :
http://www.numdam.org/item/10.5802/jtnb.748.pdf
Cordialement
Calembour
Connectez-vous ou Inscrivez-vous pour répondre.
Bonjour!
Catégories
- 165.5K Toutes les catégories
- 64 Collège/Lycée
- 22.2K Algèbre
- 37.6K Analyse
- 6.3K Arithmétique
- 61 Catégories et structures
- 1.1K Combinatoire et Graphes
- 13 Sciences des données
- 5.1K Concours et Examens
- 26 CultureMath
- 51 Enseignement à distance
- 2.9K Fondements et Logique
- 10.8K Géométrie
- 86 Géométrie différentielle
- 1.1K Histoire des Mathématiques
- 79 Informatique théorique
- 3.9K LaTeX
- 39K Les-mathématiques
- 3.5K Livres, articles, revues, (...)
- 2.7K Logiciels pour les mathématiques
- 29 Mathématiques et finance
- 343 Mathématiques et Physique
- 5K Mathématiques et Société
- 3.4K Pédagogie, enseignement, orientation
- 10.1K Probabilités, théorie de la mesure
- 804 Shtam
- 4.2K Statistiques
- 3.8K Topologie
- 1.4K Vie du Forum et de ses membres