Équations fonctionnelles : origine d'une méthode

Chaurien
Modifié (July 2023) dans Analyse
Considérons l'équation fonctionnelle de d'Alembert $f(x+y)+f(x-y)=2f(x)f(y)$, $f : \mathbb R \rightarrow  \mathbb R$.  Avec une condition de régularité convenable sur $f$, les solutions sont $f(x)=\cos \omega x$, $ f(x)= \cosh \omega x$, $f(x)=1, f(x)=0$.
 Cette équation a deux sœurs : $f(x+y)f(x-y)=f(x)^2+f(y)^2-1$ et $f(x)^2-f(y)^2=f(x+y)f(x-y)$, qui ont le même type de solutions, affines, circulaires ou hyperboliques. Au cours du siècle dernier, elles ont été posées à plusieurs reprises dans  des compétitions mathématiques et des revues. On supposait la fonction $f$ deux fois dérivable, et alors on transformait l'équation fonctionnelle en équation différentielle, et c'était vite  résolu.
Aux alentours des années 1970, on a pu lire, dans des revues comme la Revue de mathématiques spéciales ou Les Humanités scientifiques, des articles qui visaient à affaiblir l'hypothèse sur $f$, avec diverses remarques ingénieuses. Mais la  bonne idée qui est apparue a été la méthode que j'appelle « renforcement des hypothèses » : une fonction $f$ continue qui satisfait à l'une des trois équations fonctionnelles que j'ai citées est nécessairement deux fois dérivable. Il suffit donc de supposer la continuité de la fonction inconnue $f$, elle est deux fois dérivable, on transforme l'équation fonctionnelle en équation différentielle comme j'ai dit, et c'est résolu.
Voici par exemple un extrait de la RMS de 1973, qui pour être bref n'en était pas moins du plus haut intérêt. L'auteur prouvait la dérivabilité, mais il aurait pu  ajouter la double dérivabilité, pour le même prix.  Nous sommes en 1973, il y a cinquante ans. Il semble qu'on n'ait pas pris alors la mesure de l'intérêt de cette courte note.
Ma question, c'est : quelle est l'origine de cette méthode ?
On en reparlera...
Bonne soirée.
Fr. Ch.

Réponses

  • BobbyJoe
    Modifié (July 2023)
    Il me semble que ce type de méthode existe depuis l'équation fonctionnelle de Cauchy (caractériser les applications $\mathbb{Q}$-linéaire mesurable).
    D'ailleurs, dans la note rédigée, on peut seulement supposer $f$ localement intégrable (pour conclure). Plus précisément, à l'instar de l'équation fonctionnelle de Cauchy (qui est le prototype à penser), il suffit de montrer lorsque $f$ est seulement mesurable (et satisfait ladite équation fonctionnelle) qu'en fait $f$ est localement bornée (en fait, bornée ici).
  • Chaurien
    Modifié (July 2023)
    J'ai retrouvé un petit article de F. J. Papp dans l'American Mathematical Monthly  à  propos de l'équation fonctionnelle de d'Alembert $f(x+y)+f(x-y)=2f(x)f(y)$, et je joins cet article.
     F. J. Papp  expose rapidement l'histoire  de cette équation et ses relations avec des questions de mécanique et de géométrie, avec références intéressantes. Cauchy la résolvait sous l'hypothèse de continuité, au moyen d'une méthode de densité, comme on fait généralement, d'après Cauchy aussi,  pour $f(x+y)=f(x)+f(y)$. Et Papp est tout fiérot de nous exposer la méthode de renforcement, qui est indubitablement plus simple. Très bien, sauf que son article date de 1985, alors que dans mon précédent message j'ai cité un article de la RMS qui donnait cette méthode... douze ans plus tôt !
    Il est vrai que nous Français, nous lisons volontiers les mathématiques en anglais, mais tout porte à penser que la réciproque n'est pas vraie.
    On n'en est toujours pas à la prime origine. On en reparlera...
    Bonne journée.
    Fr. Ch.
    24/07/2023
  • Chaurien
    Modifié (July 2023)
    D'accord BobbyJoe, bonne remarque. La méthode de renforcement consiste,en quelque sorte, à faire grimper la fonction $f$ dans la hiérarchie des propriétés. Supposée continue, on prouve qu'elle est $\mathcal C^1$. Étant $\mathcal C^1$, elle est nécessairement $\mathcal C^2$, et l'on pourrait continuer, mais ce n'est généralement pas nécessaire. 
    Alors on peut regarder en arrière : si la fonction est localement intégrable au sens de Riemann, la méthode de renforcement permet d'en déduire qu'elle est continue, et alors elle est $\mathcal C^1$, $\mathcal C^2$, etc.
    En ce qui concerne l'équation fonctionnelle de Cauchy-linéaire $f(x+y)=f(x)+f(y)$, qui est pour ainsi dire la mère de toutes, il y a tout un catalogue de conditions qui permettent de ne conserver que les solutions $\mathbb R$-linéaires. On en a parlé il y a quelques années, il faudrait retrouver ça. Mais supposer qu'elle est localement Riemann-intégrable ne présente pas un grand intérêt car déjà si elle est majorée (resp. minorée) sur un intervalle non trivial, alors elle est $\mathbb R$-linéaire.
  • Dom
    Dom
    Modifié (July 2023)
    Sur ce sujet des équations fonctionnelles on a aussi le principe « on démontre une propriété locale et on en déduit une propriété globale ». 
    Deux exemples pour, par exemple, l’équation de l’exponentielle. 
    1) si la solution s’annule en un point, alors elle est nulle partout 
    2) si la solution est continue en un point, alors elle est continue partout
    Je ne sais pas s’il on peut en faire « une méthode ». 
  • Namiswan
    Modifié (July 2023)
    Il y a une astuce pour résoudre l'équation de Cauchy dans le cas mesurable avec la méthode de renforcement, sans supposer la fonction localement intégrable (c'est peut être ce qu'évoquait BobbyJoe). Il s'agit de poser $g(x)=e^{ia f(x)}$ ($a\in\R$). La fonction (à valeurs complexes) $g$  vérifie l'équation $g(x+y)=g(x)g(y)$, et elle est localement intégrable puisque bornée. On peut donc utiliser la méthode de renforcement sur $g$, puis ensuite remonter à $f$.

    Je ne sais pas si on peut résoudre le cas mesurable de l'équation de D'Alembert avec la méthode de renforcement.
  • Chaurien
    Modifié (July 2023)
    L'équation fonctionnelle $f(x+y)+f(x-y)=2f(x)f(y)$ apparaît dans l’œuvre de d'Alembert à partir de la question de mécanique concernant la composition des forces. Par la suite d'autres mathématiciens s'y sont intéressés, dont Poisson, et c'est pourquoi cete équation s'appelle généralement  « équation fonctionnelle de d'Alembert », mais aussi parfois « équation fonctionnelle de Poisson ».
    Dans le bulletin de la Société mathématique de France de 1900, p. 58, on peut lire : « M. Andrade adresse la note suivante », note qui s'intitule :  « Sur l'équation fonctionnelle de Poisson », et on peut en prendre connaissance ici :
    http://www.numdam.org/item/BSMF_1900__28__56_0/
    Cette note traite l'équation fonctionnelle en question en supposant la continuité, par la méthode de renforcement. Il est permis de penser qu'il s'agit là de l'invention de cette méthode, sauf si quelqu'un découvre une référence antérieure.
    L'auteur est Jules Andrade (1857-1933), universitaire spécialisé en mécanique.
    https://fr.wikipedia.org/wiki/Jules_Andrade
    https://de.wikipedia.org/wiki/Jules_Andrade?oldid=121693998
    Jules Andrade était doué d'une forte personnalité. Il s'est illustré par son soutien actif au capitaine Dreyfus, notamment en écrivant une lettre ouverte au général Mercier, ministre de la Guerre au moment de l'Affaire. Cette lettre commence par : $~$ « Mon cher camarade » et utilise le tutoiement, pour la raison qu'Andrade et Mercier étaient tous deux polytechniciens (quoiqu'à 24 promotions de distance). J'ignore si cette tradition polytechnicienne est encore en vigueur de nos jours...
    Une rue de Rennes porte son nom.
    Bonne journée.
    Fr. Ch.
  • Chaurien a dit :
     Cette lettre commence par « Mon cher camarade » et utilise le tutoiement, pour la raison qu'Andrade et Mercier étaient tous deux polytechniciens (quoiqu'à 24 promotions de distance). J'ignore si cette tradition polytechnicienne existe encore de nos jours...
    Dans wikipidia on trouve cette phrase sur la page "Traditions de l'X": Une ancienne règle de savoir-vivre veut que le tutoiement soit de rigueur entre anciens élèves appartenant à des promotions de moins de dix ans d'écart, ou à l'initiative du plus ancien en cas d'écart supérieur.
  • P.2
    P.2
    Modifié (July 2023)
    La plus simple des équations fonctionnelles est celle de Cauchy $f(x)+f(y)=f(x+y)$ sur les réels et est bien documentée. Je profite du fil pour poser la question suivante: connaissez-vous de la littérature pour le problème suivant: soit $\mu(dx)$ une mesure positive sur $\R$. Dans quelle conditions sur $\mu$ l’équation fonctionnelle             $$f(x)+f(y)=f(x+y),$$
    valable pour $\mu$ presque tous $x$ et $y$ a-t-elle $f(x)=ax$ pour seule solution ? Je veux dire : il existe $a$ tel que $f(x)=ax$ pour $\mu$ presque tout $x$ ? Et naturellement, je suppose $f$ mesurable pour éviter le bazar des bases de Hamel.  Il existe des cas évidents pour lequel c'est faux, comme $\mu=\delta_0+\delta_1+\delta_{\sqrt{2}}.$
  • @Chaurien Ce genre de méthode porte parfois le nom de "bootstrap" en anglais.
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