Leibniz et sa caractéristique universelle

SiouxLeger
Modifié (October 2022) dans Fondements et Logique
Pendant toute sa vie, Leibniz a poursuivi ce projet. L'idée derrière celui-ci est que la pensée est une forme de calcul et qu'il serait possible de l'expliciter, de mettre au point un langage écrit où des symboles représenteraient les concepts primordiaux (qui constitueraient une sorte d'alphabet des pensées humaines) sur lesquels on calculerait comme on le fait avec des nombres. On pourrait voir cela comme une théorie mathématique de la pensée. Pour lui, l'algèbre et le calcul infinitésimal ne sont que des échantillons de la caractéristique universelle et c'est d'ailleurs à ses recherches sur ce sujet et à l'utilisation de symboles appropriés que Leibniz attribue ses inventions mathématiques, notamment celles concernant le calcul infinitésimal.

Gödel lui-même, dont les travaux pourraient être vu comme un argument contre cette idée de mécaniser la pensée, prenait ce projet au sérieux et pensait qu'il était réalisable, au moins en partie, et qu'ils faciliteraient les mathématiques de la même façon que le système décimal avait facilité les calculs. Il avait même une théorie conspirationniste sur le sujet et pensait que certains écrits de Leibniz avaient été censurés afin de cacher qu'il était parvenu à son objectif. Quand on lui demandait qui aurait eu un intérêt à détruire les écrits de Leibniz, il répondait: "des gens qui ne veulent pas que les hommes deviennent plus intelligents".

Pour ma part, je pense que ce projet est sans fondement et que la pensée ne fonctionne pas ainsi (le peu de succès de l'approche classique en intelligence artificielle semble le montrer) mais je ne suis pas sûr qu'il n'y ait pas quelque chose derrière quand même et je ne peux m'empêcher d'être séduit par cette idée et d'y penser de temps en temps même si ça ne va pas chercher très loin.
Je suis curieux de savoir si vous vous êtes déjà intéressé à ce sujet et ce que vous pensez de son intérêt.

Réponses

  • Alain24
    Modifié (November 2022)
    SiouxLeger a dit :
    Je suis curieux de savoir si vous vous êtes déjà intéressé à ce sujet et ce que vous pensez de son intérêt.
    Vaste sujet que LA pensée. Des neurologues se sont intéressés plus simplement à la conscience et à l'inconscient (au sens physique du terme et pas au sens des philosophes) à travers des expériences faites avec de l'Imagerie à Résonance Magnétique en continu du cerveau : le sujet homo-sapiens devait regarder un objet  et le saisir. Il en est sorti un film d'animation des aires du cerveau et un flux d'information électromagnétobiochimique conséquent. L'analyse de ce film tend à montrer qu'une toute petite aire du cerveau coordonne ces flux et la conscience c'est le retour d'information dans cette aire. L'inconscient est lié à des temps de latence. Il est intéressant de savoir que certain animaux passent le stade du miroir (ainsi le corbeau à une conscience de lui-même puisqu'il se reconnaît dans l'image du miroir). Quant à savoir ce qu'est la Morale, la Philosophie : c'est trop complexe pour ce type d'expérience !
  • Si c'est d'IA qu'il s'agit alors je suggère de l'équiper d'une Webcam et de viser un miroir pour voir sa réaction.
    Maintenant une remarque d'histoire : la révolution copernicienne des IA seraient qu'elles passent le stade du miroir, les animaux, dont homo-sapiens, n'auraient plus alors le monopole de la conscience de soi ce qui provoquerait moult indignation chez de nombreux philosophes!
    :)
  • Bonjour

    Leibniz philosophe et mathématicien du 18ème siècle avait en effet une pensée universelle et un raisonnement global d'esprit déiste

    il était proche des scientistes (Pythagore puis au 19ème siècle Auguste Comte)
    qui pensaient que tous les phénomènes physiques, naturels et humains
    étaient explicables avec les mathématiques et en particulier les nombres

    l'ambition scientiste est en fait illusoire pour tout ce qui relève des activités humaines
    on ne peut pas décemment rattacher les comportements humains à telle ou telle équation mathématique
    l'Histoire en particulier est une science sociale mais elle n'a que faire des mathématiques

    Certains scientistes contemporains en sont venus à un esprit totalitaire
    ("toute vérité est mathématique" comme l'a proclamé récemment un matheux dont je tairai le nom)

    donc non personnellement je n'ai guère d'attirance pour ces esprits universalistes et utopistes comme l'étaient Leibniz ou Gödel 
    même si je reconnais les apports importants de Leibniz aux mathématiques

    Cordialement
  • Foys
    Modifié (November 2022)
    SiouxLeger a dit :

     Il avait même une théorie conspirationniste sur le sujet et pensait que certains écrits de Leibniz avaient été censurés afin de cacher qu'il était parvenu à son objectif. Quand on lui demandait qui aurait eu un intérêt à détruire les écrits de Leibniz, il répondait: "des gens qui ne veulent pas que les hommes deviennent plus intelligents".

    La philosophie (la logique en l'espèce) n'était pas assez développée pour qu'à l'époque Leibniz ait pu mener son projet à bien. Cependant, et contrairement aux contre-vérités répandues par des gens qui ne comprennent pas la logique et qui se vengent ou bien malheureusement de menteurs qui veulent répandre la confusion, celui-ci a été pratiquement réalisé au XXième siècle pour presque toutes les mathématiques, notamment par l'entreprise Bourbaki. Et oui, on essaie de dissimuler la formalisation des mathématiques pour que les gens ne puissent pas se les approprier.

    Soit $A$ un ensemble fini ayant au moins deux éléments (des symboles; on appellera ça un alphabet). On note $A^*$ l'ensemble des suites finies d'éléments de $A$.

    -Une partie $X$ de $A^*$ est dite décidable (ou parfois "récursive")s'il existe un logiciel qui prend un élément $t$ de $A^*$ et qui dit infailliblement et et temps fini (en faisant abstraction des problèmes de taille de mémoire et de temps d'exécution) si $t$ appartient à $X$ ou non.
    -Une partie $X$ de $A^*$ est dite semi-décidable (ou récursivement énumérable) s'il existe un programme informatique qui à un entier $n$ (on peut les représenter par des nombres en base 2 dans $A^*$ puisque $A$ contient au moins deux symboles) renvoie un $x_n\in A$ de sorte que $X=\{x_n \mid n\in \N\}$.

    Le lien entre ces deux notions (qui explique aussi la terminologie employée) est le théorème suivant (cf livre d'informatique théorique consacré à la récursivité):
    pour tout sous-ensemble $Y$ de $A^*$, $Y$ est décidable si et seulement si $Y$ et son complémentaire $A^* \backslash Y$ sont semi-décidables.

    Noter qu'il existe des ensembles semi-décidables mais non décidables dont l'exemple important qui va suivre.

    Il existe un sous-ensemble $F$ de $A^*$ appelé "ensemble des formules mathématiques" (exemple: les termes du langage bourbakiste, avec des nombres pour représenter les carrés servant de variables liées); il existe un sous-ensemble $L$ de $A^*$ constitué des suites finies d'éléments de  $F$, il existe un sous-ensemble $H$ particulier de $F$ appelé "axiomes"; il existe un sous ensemble particulier $P$ de $L$ appelé "ensemble des preuves" (une preuve est une liste satisfaisant certains critères syntaxiques précis et décidables, voir dans un livre de théorie de la démonstration le chapitre sur les systèmes de Hilbert par exemple) et enfin il existe un sous-ensemble $T$ de $F$ constitué des derniers termes des éléments de $P$, appelé "ensemble des théorèmes".
    (pour tout $x$, $x$ appartient à $T$ si et seulement si il existe une liste $(f_1,...,f_d)$ appartenant à $P$ et telle que $f_d = x$).

    On a les faits algorithmiques suivants:
    (1) $F$ est décidable
    (2) $H$ est décidable
    (3) $P$ est décidable
    (4) $T$ est semi-décidable mais non décidable (premier théorème de Gödel). ($T$ est semi-décidable parce qu'on peut écrire les listes une par une et vérifier fiablement si une telle liste est une preuve et alors, afficher sa conclusion).

    La propriété suivante : $T = F$ se dit "$T$ est contradictoire" (explication: s'il y a un énoncé comme "$A$ et $Non(A)$" parmi les énoncés prouvés, alors on peut prouver n'importe quoi via le principe d'explosion: "ex falso sequitur quod libet").
    Lorsque le langage formel constitué de $F$ est assez expressif (celui proposé par Bourbaki l'est) il est possible de représenter $A,T,F,H,P$ par des objets de $F$ et d'exprimer et de prouver des propriétés à leur propos; le second théorème d'incomplétude de Gödel dit alors que:

    (5) si on peut prouver à l'aide du système précédent que "$T$ n'est pas contradictoire", alors en fait $T$ est contradictoire.

    Les théorèmes d'indécidabilité disent que l'ensemble des formules prouvables d'une théorie ne sont pas reconnaissables par un logiciel, et la "sécurité" de $T$ comme théorie mathématique sera à jamais inconnue ou bien peut-être réfutée.

    ########################

    Le SOPHISME consistant à dire que Gödel empêche la formalisation des mathématiques se ramène à $[(4) \vee (5)] \Rightarrow [\neg (1) \vee \neg (2) \vee \neg (3)]$ ou encore à l'idée que $(4) \vee (5)$ empêche de construire des ensembles P,F,H décrivant la pratique mathématique (pourquoi?). C'est un MENSONGE!!!!
    Une fonction est un ensemble $f$ de couples tel que pour tous $x,y,z$, si $(x,y)\in f$ et $(x,z)\in f$ alors $y = z$.
  • Vassillia
    Modifié (November 2022)
    Foys a dit :
    Et oui, on essaie de dissimuler la formalisation des mathématiques pour que les gens ne puissent pas se les approprier.
    Bonjour,
    Non, il n'y a pas eu d’autodafés des écrits de Bourbaki à ma connaissance, ils sont toujours accessibles, le fait que cela ne soit pas compréhensible par le plus grand nombre suffit pour que les gens ne puissent pas se les approprier.
    Il faut distinguer les écrits de Bourbaki qui ont pour objectif d'être un recueil de connaissances (c'est très bien et je n'ai rien contre) d'un cours qui a pour objectif de transmettre des connaissances et se doit donc d'être compréhensible par le public visé.
    La philosophie nous enseigne à douter de ce qui nous paraît évident. La propagande, au contraire, nous enseigne à accepter pour évident ce dont il serait raisonnable de douter. (Aldous Huxley)
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