Problème de Dirichlet discret

Bonjour à tous,

En ce moment, je planche (entre autres) sur le problème suivant. Il me semble que ce problème s'appelle "problème de Dirichlet discret" (et je m'excuse par avance pour le titre de cette discussion s'il ne s'agit pas de ce problème). Voici l'énoncé:

1) Soit $A=(a_{i,j})_{1 \leq i,j \leq n} \in \mathcal{M}_n (\mathbb{R})$ telle que pour tout $2 \leq i,j \leq n-1$, $a_{i,j}=\frac{a_{i-1,j}+a_{i+1,j}+a_{i,j-1}+a_{i,j+1}}{4}$. Montrer que la connaissance des $4n-4$ coefficients bordant $A$ entraîne la connaissance de $A$.
2) Soit $(a_{i,j})_{(i,j) \in \mathbb{Z}^2}$ une famille de $\mathbb{R}_+$ telle que pour tout $(i,j) \in \mathbb{Z}^2$, $a_{i,j}=\frac{a_{i-1,j}+a_{i+1,j}+a_{i,j-1}+a_{i,j+1}}{4}$. Montrer que tous les $a_{i,j}$ sont égaux.

J'ai réussi la première question, mais je n'ai pas trouvé la deuxième. J'ai cherché dans des livres et sur internet, et j'ai fini par trouver une solution dans un volume de la RMS. La solution de la première question est quasiment identique à la mienne, mais je trouve en revanche la solution de la deuxième question très (et même trop) astucieuse. Elle consiste à considérer une marche aléatoire sur $\mathbb{Z}^2$ et à étudier les propriétés de cette marche aléatoire. De plus, elle n'utilise pas la première question.

Comme je l'ai dit, je trouve cette approche trop astucieuse, et carrément introuvable dans les conditions de l'oral (cet exercice a été posé à un oral de l'ENS), d'autant plus que l'année où l'exercice a été posé, les probabilités n'étaient pas encore au programme des classes préparatoires (et donc la notion de marche aléatoire ne pouvait, selon moi, même pas effleurer l'esprit du candidat).

Je cherche donc une solution moins astucieuse de cette deuxième question (éventuellement longue, mais la plus naturelle possible, aboutissant au résultat par des voies auxquelles un candidat pourrait penser pendant l'oral, et si possible utilisant la première question).

Si vous avez également d'autres solutions pour la première question, je suis preneur (ma solution, comme celle de la RMS, consiste à noter $\mathcal{H}$ l'espace des matrices de $\mathcal{M}_n (\mathbb{R})$ vérifiant la propriété voulue, et à montrer que l'application de $\mathcal{H}$ dans $\mathbb{R}^{4n-4}$ qui à une matrice de $\mathcal{H}$ associe la liste de ses coefficients bordants est bijective).

Dans ma recherche, j'ai entre autres montré les trois résultats suivants:

$\bullet$ Le résultat de la première question est vrai même si $A$ est juste rectangulaire (au lieu de carrée).

$\bullet$ Le max et le min des coefficients de $A$ sont atteints sur le bord de $A$, que $A$ soit carrée ou rectangulaire (ce max et ce min peuvent être atteints ailleurs, mais ils le sont en particulier sur le bord de $A$).

$\bullet$ On considère une matrice quelconque $X=(x_{i,j})$ carrée ou rectangulaire, à coefficients réels. Si $f$ est l'application qui à une telle matrice associe la matrice $Y=(y_{i,j})$ ayant les mêmes bords que $X$ et telle que tout coefficient $y_{i,j}$ non bordant de $Y$ vérifie $y_{i,j}=\frac{x_{i-1,j}+x_{i+1,j}+x_{i,j-1}+x_{i,j+1}}{4}$, alors la suite $(f^n(X))_{n \in \mathbb{N}}$ (où $f^n$ désigne l'itérée $n$-ième de $f$) converge vers l'unique matrice $A$ ayant les mêmes coefficients bordants que $X$ et telle que tout coefficient $a_{i,j}$ non bordant de $A$ vérifie $a_{i,j}=\frac{a_{i-1,j}+a_{i+1,j}+a_{i,j-1}+a_{i,j+1}}{4}$.

Je vous remercie d'avance pour votre aide !

Réponses

  • Peut-être que ça vaut la peine de regarder le cas de $\Z$ : si $(a_n)_{n\in\Z}$ est une suite de réels positifs tels que pour tout $n$, on ait $2a_n=a_{n-1}+a_{n+1}$, peut-on en conclure que la suite est constante ?

    Quelques idées à prendre ici ?
  • En fait, le cas des matrices carrées ou rectangulaires est un cas particulier du problème plus général appelé problème de Dirichlet discret sur un graphe. On se donne un graphe connexe $G$, fini, simple, non orienté (pas de boucle, pas d'arêtes multiples), d'ensemble de sommets $S$. On dit qu'une fonction réelle $f$ : $S\longrightarrow \R$ est harmonique sur une partie $T$ de $S$ si pour tout sommet $t\in T$, $f(t)$ est la moyenne des $f(s)$, où $s$ parcourt l'ensemble des sommets voisins de $t$.

    Pour le problème de Dirichlet discret, on se donne une partition $S=T\sqcup U$ et une fonction $g$ : $U\longrightarrow \R$. Alors il existe une unique fonction $f$ : $S\longrightarrow \R$ qui est harmonique sur $T$ et égale à $g$ sur $U$. Pour l'unicité, on peut utiliser le principe du maximum. Pour l'existence, on peut partir d'une fonction quelconque $f_0$ égale à $g$ sur $T$ et prendre la limite de $(M^n (f_0 ))_{n\in \N}$, où $M$ est l'opérateur qui consiste à remplacer la valeur d'une fonction en $t\in T$ en la moyenne sur les sommets voisins. Une autre façon de montrer l'existence est de minimiser l'énergie $\sum_{a=\{ s,t\}} (f(s)-f(t))^2$, où dans la somme $a$ parcourt les arêtes du graphe.
  • @Math Coss Dans le cas de $\mathbb{Z}$, ça marche. En effet, si les $a_n$ ne sont pas tous égaux, alors il existe deux voisins $a_k$ et $a_{k+1}$ tels que $a_k \neq a_{k+1}$. En notant $b_0$ le plus grand de ces deux nombres et $b_1$ le plus petit, on construit une suite $(b_n)_{n \in \mathbb{N}}$ telle que pour tout $n \in \mathbb{N}$, $b_{n}+b_{n+2}=2 b_{n+1}$, soit $b_{n+2}=2 b_{n+1}-b_n$. Cette équation se résout en $b_n = b_0 + (b_1 - b_0)n$. Comme $b_1 < b_0$, l’un des $b_n$ sera strictement négatif. Or ce $b_n$ correspond à l’un des $a_k$: contradiction puisque les $a_k$ sont tous positifs.

    Lorsque j’ai attaqué la deuxième question, j’ai d’abord eu cette même idée: chercher une suite de voisins strictement décroissante et montrer que l’un d’eux serait strictement négatif. Le problème est que dans le cas de $\mathbb{Z}^2$, on obtient seulement une inégalité de récurrence, ce qui est à priori beaucoup moins simple que les égalités de récurrence. D’où une nouvelle question (que j’ajoute aux précédentes): y a-t-il une ou des méthode(s) pour étudier les suites définies par des inégalités de récurrence?
  • @Adrien

    Qu'appelles-tu "inégalité de récurrence" ?

    Le problème ne paraît pas facile.

    On peut considérer $m = {\rm Inf}\ \{ a_{ij}\ ; \ i,j\in \Z\}$. Si $m$ est atteint, $(a_{ij})$ est constant par le principe du maximum.
    On peut donc raisonner par l'absurde en supposant que $m$ n'est pas atteint. Quitte à remplacer $(a_{ij})$ par $(a_{ij}-m)$ qui reste harmonique et positif, on peut toujours supposer $m=0$. Mais après ???
  • Le problème de Dirichlet discret, dans sa version "Graphes", était proposé comme exercice II du Concours Général 2018 :
    Sujet :
    https://www.freemaths.fr/annales-composition-mathematiques-concours-general/concours-general-mathematiques-2018-sujet.pdf
    Corrigé :
    https://www.freemaths.fr/annales-composition-mathematiques-concours-general/concours-general-mathematiques-2018-corrige.pdf

    A ma connaissance, il y a au moins 4 façons de résoudre le problème : une utilisant l'algèbre linéaire, une par la minimisation de l'énergie, une par itérations (cf. ci-dessus) et une par les probas. C'est vraiment un très joli problème de ce point de vue.

    Celle du CG a le mérite d'être compréhensible et faisable par un élève de Tle. Reste à savoir combien de candidats auront compris le titre de l'exercice...:-D

    Pierre.
  • PierreB,
    « Faisable par un élève de Tle »...pas n’importe lequel (surtout aujourd’hui) :-D
  • @Paul Broussous Je raisonne ainsi: si tous les $a_{i,j}$ ne sont pas égaux, alors on peut trouver deux points voisins $a_0$ et $a_1$ tels que $a_0 > a_1$ (par « voisins » je veux dire que $a_0$ fait partie des quatre points dont la moyenne arithmétique fait $a_1$). Notons $a_0$, $x$, $y$ et $z$ les quatre voisins de $a_1$. Alors $4 a_1 - a_0=x+y+z$. Si $x$, $y$ et $z$ sont tous les trois strictement supérieurs à $\frac{1}{3}(4 a_1 - a_0)$, alors on ne peut pas avoir l’égalité $4 a_1 - a_0=x+y+z$. Ainsi, on a $\min (x,y,z) \leq \frac{1}{3}(4 a_1 - a_0)$. Notons $b_0 = a_0$, $b_1 = a_1$ et $b_2 = \min (x,y,z)$. Alors $b_2 \leq \frac{1}{3}(4 b_1-b_0)$. En considérant de même les quatre voisins de $b_2$, on trouve un point $b_3$ tel que $b_3 \leq \frac{1}{3}(4 b_2-b_1)$. On construit donc une suite $(b_n)_{n \in \mathbb{N}}$ de points telle que deux points consécutifs soient voisins, telle que $b_1<b_0$ et telle que pour tout $n \in \mathbb{N}^*$, $b_{n+2} \leq \frac{1}{3}(4 b_{n+1}-b_n)$ (c’est cette dernière relation que j’appelle « inégalité de récurrence »).
    Je cherche donc à montrer que l’un des $b_n$ sera strictement négatif. Cela soulève cinq questions.

    1) Je cherche à faire un raisonnement par l’absurde, mais est-ce la bonne méthode (peut-on par exemple résoudre cette question par un raisonnement direct)?

    2) Je fais visiblement un raisonnement par l’absurde en supposant que les $a_{i,j}$ ne sont pas tous égaux, mais la contradiction sera-t-elle forcément que l’un d’eux sera strictement négatif (ou y a-t-il une autre hypothèse de mon énoncé que je peux contredire)?

    3) Si la contradiction est bien que l’un des $a_{i,j}$ sera strictement négatif, la suite $(b_n)$ que j’ai considérée est-elle la bonne? On pourrait par exemple imaginer que la suite $(b_n)$ reste positive, mais qu’une autre suite $(b’_n)$ (telle que deux points consécutifs soient voisins) ait un terme strictement négatif, sans pour autant que $b’_{n+1}$ soit le minimum des quatre points voisins de $b’_n$. Cela me semble peu probable, et je pense que la suite $(b_n)$ que j’ai définie est la meilleure candidate à avoir un point strictement négatif, mais je n’ai pas de preuve de cette affirmation donc la question mérite d’être posée.

    4) Si effectivement j’ai considéré la bonne suite, comment l’étudier et comment montrer qu’elle possède un terme strictement négatif?

    5) Je réitère la question: de façon générale, y a-t-il une ou des méthode(s) pour étudier les suites définies par des inégalités de récurrence (c’est-à-dire les suites vérifiant une relation du type $u_{n+p+1} \leq f(u_n, u_{n+1}, \ldots , u_{n+p})$ ou $u_{n+p+1} \geq f(u_n, u_{n+1}, \ldots , u_{n+p})$; cas particulier: $f(u_n, u_{n+1}, \ldots , u_{n+p})$ est une combinaison linéaire de $u_n$, $u_{n+1}$, ..., $u_{n+p}$?
  • Bonjour,

    L'évocation d'une marche aléatoire permettant d'aborder le problème évoqué par ce fil m'a suffisamment intrigué pour susciter en moi une certaine obstination à vouloir la découvrir. Ce n'est donc pas une solution tout à fait élémentaire que je propose, mais une approche probabiliste qui, peut-être, est identique à celle de la RMS signalée par Adrien 2019.(quelqu'un connaît-il la référence exacte de cette dernière ?)

    Soit donc $f: \Z^2 \to \R^+,$ harmonique. Soient $\:u,v \in\Z^2$ tels que $\|v-u\|_2 =1$ et $\:f(u) =a\leqslant f(v) =b.\:\:$ Il suffit de prouver que $\boxed{\:a\geqslant b.}$

    On introduit une suite $(U_n)_{n\in \N}$ de variables aléatoires indépendantes uniformément distribuées dans $\Big\{(0,1); (0,-1) ;(1,0); (-1,0) \Big\}, \:$ puis:
    $Z_0= u , \quad \forall n \in \N, \:\: Z_{n +1}= Z_{n} + U_n,\qquad X_n = f(Z_n), \qquad T = \inf \{n \in \N^* \mid X_n\geqslant b.\}, \qquad T\wedge n = \inf \{ T,n\}.$

    $\forall n \in \N^*,\quad X_{T\wedge n} = a+ \displaystyle \sum_{k=0} ^{n-1} \mathbf 1_{T>k} (X_{k+1} - X_{k}).\quad $ Or: $\quad\mathbb E\Big( \mathbf 1_{T>k} (X_{k+1} - X_{k}) \Big ) = \Pr[T>k]\:\mathbb E\left ( X_{k+1}- X_k \mid T>k \right).$

    Le caractère harmonique de $f$ fait que: $\:\boxed{\mathbb E \left( X_{k+1}- X_k \mid T>k \right ) =0}\:\:$ de sorte que: $\quad \mathbb E(X_{T\wedge n}) = a. \quad (1)$

    La marche aléatoire $(Z_n)_n$ possède en outre la propriété $\bigstar$ suivante: "à partir de la position $u$, la position $v$ est presque sûrement atteinte ."
    $\quad\Pr\left[ \displaystyle \bigcup_{n=1}^{+\infty} (Z_n =v) \right ] \overset{\bigstar}=1:\quad $ Ainsi: $\:\:\:\:\displaystyle \lim_{n\to + \infty}\Pr [T\leqslant n)]=1,\quad \displaystyle \lim_{n\to + \infty} \Pr\Big[ X_{T\wedge n} \geqslant b\Big] =1.\qquad(2)$
    D'autre part, $X_n$ est positive et l'inégalité de Markov donne: $\:\:\Pr \Big[ X_{T\wedge n} \geqslant b \Big]\leqslant \dfrac {\mathbb E(X_{T\wedge n})} b \:\overset {(1)} =\: \dfrac a b.\quad(2)\:$ entraîne alors: $\:1\leqslant \dfrac ab \:\square$
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