Minimisation du risque

Bonjour YvesM,

Dans un autre fil, tu écrivais : http://www.les-mathematiques.net/phorum/read.php?9,1731026,1735336#msg-1735336
"On minimise le risque et on doit utiliser des instruments dérivés, dont la titrisation est un exemple".
Est-ce que tu pourrais expliquer un peu plus précisément (sur le plan technique) ce dont il s'agit ?

Cordialement
C.N.

Réponses

  • Bonjour,

    L’article est bien fait sur Wiki et en français (je ne connais pas tous les termes français et utilisent le jargon à la con du métier).
    Pour un client (institutionnel avec un ticket de 200 millions) et à sa demande nous voulons investir dans l’immobilier commercial aux USA. De nombreuses sociétés américaines sont sur ce marché : elles construisent ou louent ou achètent de l’immobilier commercial dans certaines villes. Si nous investissons dans ces societes, en devenant actionnaires ou en prétant, dans le but de percevoir les dividendes ou les intérêts pour le compte de notre client et une commission pour le service, nous prenons un risque : la faillite d’une des sociétés. On minimise par un portefeuille de sociétés, disons 10 à 12 dans ce cas, diversifiées et spécialisées dans diverses géographies et types d’immobiliers (hotel, restaurant, zone industrielle). Mais le risque d’une faillite est bien réel et perdre 5 à 20 millions tous les 4 ans ne nous enchantent pas. C’est là que la tritrisation intervient. Un special purpose vehicule est créé et notre portefeuille ne subit aucune perte quand une des sociétés américaines fait faillite. Ce risque est détruit par la titrisation (pour nous).
    Nous sommes obligés d’accepter d’investir dans des sociétés cow-boy pour augmenter le rendement : nos clients font marcher la concurrence et viennent nous voir pour obtenir plus que ce que le concurrent propose. Donc on prend plus de risque, donc on s’expose à des faillites. Nos clients n’aiment pas : c’est leur investissement qui est en jeu. Bien sûr et comme toujours, nous réalisons ces opérations pour notre propre compte aussi. Nos clients institutionnels l’exigent : ils nous font confiance avec leur capitaux à la condition que nous soyons exposé au même risque : skin in the game. Donc au quotidien, nous travaillons pour nous même (mais le compte est comingled).
    La vraie puissance de la titrisation est qu’elle nous permet de choisir le niveau de risque de façon très fine (parce que des milliers d’operations diverses ont été sliced and diced pour découper le risque en tranche) et d’informer nos clients des risques pris pour un rendement donné. Notre risque est minimisé puisque nous visons au plus juste : sans la titrisation, nous prenons plus de risque que nécessaire pour un rendement donné.
    Un dernier avantage est que, sans titrisation, nous devons évaluer le risque par une due diligence sur les sociétés américaines et pour les cow boy ça prend beaucoup de temps et ça coûte cher. La titrisation est notée par des agences et nous leur faisons confiance (sauf pour quelques due diligence que nous tenons à faire nous-même.)

    Bien sûr, en 2008, la chute des valeurs immobilières entraînent une augmentation contractuelle des taux d’interets et les emprunteurs ne peuvent plus rembourser, la titrisation n’est d’aucune utilité dans ce cas : nous sommes bel et bien payés par les remboursements en capitaux et intérêts. Sans ses remboursements, nous perdons notre investissement et nos clients aussi, qui se retirent et font chuter les échanges...
  • Bonsoir,

    Ca, c'est la théorie. Pour une vision plus réaliste de la façon dont ça fonctionnait réellement avant 2008, lire Mickael Lewis, "Le casse du siècle", est instructif. Ce journaliste à Vanity Fair a enquêté sur les quelques gagnants qui avaient anticipé le désastre. Ses explications, lumineuses et haletantes, nous mettent en présence, chapitre 2, de Michael Burry. Ce dernier analysait les contrats de titrisation, 100 à 200 pages arides que personne ne lisait. Il a compris que leur opacité permettait de mettre en avant, pour une petite partie, les meilleurs emprunteurs, mais que l'essentiel était bien plus discutable. Et que les agences de notation ne prenaient pas la peine d'analyser en profondeur la situation. D'autant qu'en outre les meilleurs éléments de Wall Street devenaient traders, pas analystes des agences de notation. Un ouvrage passionnant, écrit dans un style alerte, qui nous fait comprendre beaucoup.
  • YvesM,

    Je n'ai pas compris toute la "théorie" ; j'ai donc une première question : dans l'exemple que tu prends, que deviennent exactement tes 200 millions ?

    Cordialement
    C.N.
  • Si on a titrisé, l'acheteur de ces titres subit deux types de risques : le risque de solvabilité de l'émetteur, qui peut faire faillite. Et le risque de marché : un titre, c'est un objet négociable. Le plus souvent, en ces domaines, une obligation ou l'équivalent. Si les taux d'intérêt montent, comme la Fed l'a initié dès 2005, le cours des obligations et assimilés baisse. Et quand on a compris l'ampleur de l'opacité des ces objets, plus personne n'a eu confiance et leur cours a chuté au-delà de leur valeur objective, que personne ne connaissait plus, pas même l'émetteur.
  • Félix a écrit:
    et leur cours a chuté au-delà de leur valeur objective

    J'imagine que tu voulais dire "en deçà". C'est quoi cette "valeur objective"?
  • Bonjour,

    Les 200 millions sont investis sur le marché des titres. On choisit un portefeuille de titres qui correspond au risque que le client accepte pour le rendement visé. Puis ces titres sont gérés : achat, vente sur le marché de gré à gré. Tout simplement.
    En pratique c’est plus compliqué parce nous avons des positions sur tous les marchés de titres. Quand le client nous transfert les capitaux, notre service structured finance/ CDO décide si ce capital vient réellement s’ajouter à notre portefeuille (peu probable) ou est investi ailleurs. Si nous l’investissons ailleurs, une écriture comptable vient indiquée que 200 millions de capitaux sont à présent négociés pour ce client. Même si dans ce cas, nous n’avons pas investi un seul dollar supplémentaire sur le marché. Quand nous gérons le portefeuille nous ne savons pas pour qui précisément (je veux dire qu’on s’en fout: ça ne change en rien la gestion). Sauf si un type de profil rendement/risque devient prépondérant et nous devons réellement équilibrer le portfefeuille...
  • YvesM,

    Merci de ces précisions, mais la question qui se pose est alors : dans la mesure où tu as dit qu'il s'agissait d'investir dans un truc assez spécifique (immobilier commercial aux USA, par exemple), cela signifie-t-il que la banque achète pour son client 200 millions d'obligations (ou autres "titres") auprès d'une "entreprise" qui gère ce genre de choses avec un risque moindre, parce qu'il serait dilué dans un plus grand nombre d'opérations ?
    Et, si c'est le cas, dans quelle mesure la banque peut-elle récupérer ces 200 millions ? Doit-elle revendre sur le marché les "obligations" qu'elle détient, ou 'l'entreprise" qui les lui a vendues finit-elle par les rembourser ?
  • Bonjour,

    Les contrats des emprunteurs américains avec obligation de rembourser le capital et de payer des intérêts sont placés dans des special purpose vehicles qui les sliced and diced. Puis des titres sont émis qui donnent le droit, au détenteur du titre, de percevoir les paiements des emprunteurs. Ces titres sont échangés sur un marché. Leur valeur est principalement la net present value des paiements futurs (discountés avec les loyers de l’argent et le risque de défaut des emprunteurs).

    Lorsque nous achetons aujoud’hui pour 200 millions de titres, nous acquérons les droits sur les futurs paiements. Puis nous touchons les paiements (les emprunteurs paient le special purpose vehicle, qui transfert le paiement au détenteur du titre). Par ailleurs, les titres changent de valeur sur le marché. Et ils peuvent s’apprécier ou se déprécier.
    Chaque jour, notre client reçoit la position de son compte. Il voit la valeur de marché des titres et les paiements, et les défauts des paiements...
    Quand notre client désire se retirer du marché, nous vendons ses titres. Ils peuvent valoir 190 millions, moins nos frais. Au total, notre client a touché les paiements des emprunteurs, disons 18 millions sur cette période. Il fait un gain de 8 millions sur la période.

    C’est très simple et la même chose quand on achète une simple action. On paie son prix de marché, puis on touche le dividende, et on la revend au prix du marché quand on veut. Au total, on perd ou on gagne de l’argent...

    Comme expliqué plus haut, en fait lorsque le client se retire du marché, nous faisons une écriture comptable : ses titres deviennent les nôtres et notre Trésorier lui verse son argent sur son compte. Car nous gérons notre portefeuille pour maximiser son profit et nous ne pouvons pas vendre ou acheter selon les désirs des clients... Comme la banque nous impose un minimum de fond propre (skin in the game) si beaucoup de clients achètent des titres, une écriture comptable ne suffit pas et nous achetons des titres sur le marché pour atteindre notre minimum...
  • merci YvesM.

    Il me reste une question concernant la "crise" : qu'est-ce qui a ruiné les banques (ne serait-ce que celles qui ont fait faillite) ? La perte de valeur des titres qu'elles détenaient, à cause de la "ruine" des prêteurs, elle même causée par les défauts de paiement des emprunteurs et la saturation du marché immobilier ne permettant plus de se rembourser sur les biens ?

    Cordialement,
    C.N.
  • Catherine Nadault:

    Les crédits refourgués aux acheteurs modestes avaient un taux variable. Evidemment quand la catastrophe a commencé les taux ont augmenté j'imagine, et les gens qui pouvaient à peine payer les traites de leur maison n'étaient plus en capacité de le faire, et il y a eu un effet boule de neige. Toute la "cordée" a dévissé, les premiers entrainant les autres dans le "vide" les pitons cédant les uns après les autres.
  • Bonjour,

    De nombreux articles très bien fait sont sur le net. Ma version : aux USA, des établissements de crédits, ont consenti des préts à taux d’intérêt variable : plus la valeur du bien s’apprécie plus le taux baisse ; lorsque la valeur du bien se déprécie, le taux augmente. La France fait exception avec ces taux fixes, la plupart des pays ont des taux variables. Si l’emprunteur ne peut plus payer, l’établissement de crédit revend son bien ; donc quand son bien se déprécie, l’établissement de crédit prend plus de risque et exige donc que ce risque soit couvert par un taux d’intérêt augmenté.
    Ce système est apparu en 2000 et les prix de l’immobilier augmentait fortement : tout le monde en profitait avec des intérêts bas et des prêts facilement accordés (même à des emprunteurs peu solvables : euphemisme bancaire).

    Mais, depuis les années 2006-2007, les dettes privées et publiques augmentent et le marché est nerveux. Lorsque la valeur des biens diminue dans des villes entières puis des régions, de très nombreux emprunteurs n’ont pas les moyens de rembourser ni les intérêts ni le principal. L’établissement de crédit peut mettre l’emprunteur dehors et vendre son bien, mais qui achète quand les prix diminuent et quand ils ont endettés ? Pas grand monde et la vérité économique s’impose en 2008 : ces prêts ne seront jamais remboursés.

    Le défaut de l’emprunteur est transformé en crise lorsque les établissements de crédits n’ont pas assez de liquidités pour payer leurs propres dettes (puisqu’ils empruntent leur argent sur le marché). Les banques refusent de leur préter. Ils sont aux bords de la faillite. Et quand les sommes sont en dixaines de milliards, les banques décident d’arrêter de se prêter : car on ne sait pas dans un special purpose vehicle la part due aux emprunteurs texans, californiens, etc. En gros les banques n’ont pas de visibilité sur le risque encouru : on voit bien les défauts de paiement mais on ne sait pas en prédire l’ampleur. Un peu comme un chauffeur de poids lourds sur l’autoroute qui rentre dans un brouillard épais : aprés quelques secondes, s’il ne voit pas d’éclaircie, il stoppe son camion... au risque de provoquer un carambolage. Mais que faire, rouler sans visibilité ?
    Et en plus, la chute des cours fait fuir les investisseurs et précipitent les cours au plus bas... et quand on atteint des pertes mark-to-market de plusieurs milliards, on préfère prendre ces pertes et aller jouer ailleurs. Sans prêt de nombreuses banques sont insolvables très rapidement : les États préfèrent défendre les clients particuliers plutôt que de punir les investisseurs ET les clients particuliers. Il emprunte donc pour mettre de la liquidité dans le système : en gros, puisqu’aucune banque ne prête à une banque en danger, c’est l’Etat qui prête. Puis les banques centrales déversent un flux d’argent tellement grand qu’il y a toutes les liquidités dont on peut réver et même plus... les banques font n’importe quoi avec cet argent facile et nous prépare la prochaine crise.

    Des centaines de milliers d’emprunteurs américains ont tout perdu : non seulement ils sont ruinés, sans maison, mais en plus ils sont endettés (sauf si un juge les déclare en faillite personnelle). Des banques font faillites. Des actionnaires institutionnels (dont des États) y laissent des plumes.
    Mais fondamentalement, les subprimes est la goutte qui fait déborder le vase, les prémisses de la crise sont en 2006-2007. Certaines banques arrêtent de trader les CDO dés août 2008... Lehman Brothers mord la pouissiere mi-septembre 2008... et je perds mon premier milliard en novembre...
  • @FdP : au-delà, en parlant de l'ampleur de la chute. En-deçà, comme tu le dis, en considérant le niveau atteint.
    Niveau objectif ? Plusieurs facteurs interviennent.
    - L'influence des taux d'intérêt. S'ils montent, le cours sur le marché d'une obligation ou assimilé baisse.
    - La solvabilité de l'organisme financier émetteur. En période de crise et de doutes importants sur la survie de ces entités, comme ce fut le cas, on va très vite approcher le zéro.
    - La valeur objective de la créance. Il peut y avoir des dizaines de milliers d'emprunteurs. Difficile de suivre le niveau total de leur solvabilité. D'autant que la banque qui a prêté à l'origine ne détient plus qu'une petite partie du prêt, puisque la titrisation a justement pour but de lui permettre de reprendre une part importante de ses billes pour les réinvestir dans d'autres prêts. Sa motivation à suivre finement et rapidement la solvabilité des ces milliers d'emprunteurs est amoindrie, surtout quand les choses vont vite, et que le marché immobilier baisse rapidement et fortement, comme il l'a fait (et avec des centaines de situations régionales et locales diverses). Quand sait-on qu'un emprunteur fera défaut ? On peut considérer que ce sera le cas avec une quasi-certitude quand trois mensualités ne sont pas honorées. Et alors, quel niveau de provisions comptables l'organisme doit-il passer (de pertes prévisibles, pour l'exercice comptable annuel) ? Combien d'années mettra-il à revendre le bien saisi, et pour quelle valeur ? Ce niveau objectif est donc très difficile à estimer, même pour le prêteur d'origine. Le marché, qui ne possède pas tous les éléments pour juger en finesse, portera les cours bien plus bas que le niveau raisonnable. Mais en cas final de faillite de l'émetteur, ce sera encore trop haut.
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