publier ou périr

"Comme beaucoup de mes collègues, je me connecte une ou deux fois par semaines sur ARXIV.org pour prendre connaissance des dernières nouveautés mathématiques..."

Ce jour-là, l'oeil du mathématicien Etienne Ghys est attiré par un titre: "a solution of the 3x+1 Problem".
Une solution élémentaire de moins de 5 pages d'un problème qui tient en échec les chercheurs depuis plus de 90 ans, il y avait de quoi être perplexe et pour cause: l'article contenait des erreurs grossières rapidement détectées par les lecteurs.
Ce n'est qu'un des nombreux dommages collatéraux de cette frénésie de publications scientifiques qui touche aussi les maths.

"C'est la dure loi du "publish or perish" qui entraîne une explosion incroyable du nombre d'articles et, mécaniquement, une baisse de la qualité moyenne. (...) il serait préférable que tout le monde publie moins et mieux, mais personne n'a intérêt à publier moins si les autres ne le font pas."

Beaucoup de jeunes chercheurs se jettent sur ces prépublications en oubliant qu'elles n'ont pas été validées.
Le processus d'expertise avant publication est souvent très long et la tendance actuelle est de le court-circuiter avec tous les risques que cela comporte. Aujourd'hui internet est inondé d'informations non vérifiées.

"Le site Thatsmathematics.com" propose à tout le monde d'écrire un article de recherche en mathématiques. Il suffit de cliquer sur un bouton pour obtenir immédiatement un mémoire de son nom."

On raconte que des articles sans queues ni têtes générés aléatoirement ont été accepté par des journaux sérieux.


source: "Arxiv.org ou les mirages des prébublications" par Etienne Ghys-Le Monde-25 Octobre 2017.
...

Réponses

  • df a écrit:
    On raconte que des articles sans queues ni têtes générés aléatoirement ont été accepté par des journaux sérieux.
    Ça j'aimerais bien voir une source. Si tu enlèves sérieux alors c'est connu, malheureusement il y a plein de journaux bidons. Je dirais même qu'un journal sérieux qui publierait cela perdrait immédiatement toute sa réputation, mais je ne connais aucun tel cas.
  • J'avais été à une réunion d'information en vue d'obtenir d'une nouvelle bourse de recherche.
    Et je me souviens très bien que le porte-parole de l'association nous avait dit "Une publication nombreuse est essentielle pour obtenir une bourse. Si vous avez développé une grosse théorie, nous vous conseillons de couper votre travail en un maximum de petits bouts à publier séparément."
  • Il me semble que cette sur-publication nous vient, en partie, du monde anglo-saxon : il n'est peut-être pas si rare, en effet, de voir des noms de chercheurs de ces pays s'associer à des travaux pour lesquels leur contribution s'avère pour le moins assez légère. Ça permet d'afficher un nombre de publications impressionnant sur le CV, ainsi artificiellement gonflé.
  • Dans mon domaine je vois l'impact du publish or perish. Plein de papiers sans intérêt, des résultats tournés très avantageusement, et des reviewers qui mettent la pression pour avoir des résultats qui battent l'état de l'art et qui n'acceptent que les trucs à la mode, bloquant par définition les vraies innovations qui peuvent mettre du temps à mûrir. T'as beau avoir un papier profond, s'il bat pas l'état l'art t'as peu de chance d'être publié. C'en est comique parfois quand on voit certaines grosses avancées qui ont été retardées à cause de cela. Et je ne parle même pas du cas où tu voudrais publier une idée qui ne marche pas, pourtant ça peut être très intéressant.

    Je considère que les reviewers sont les premiers fautifs dans mon domaine. Trop de publis, pas assez de qualité. Et parfois on est à la limite de la R&D voire du D plutôt que de la véritable recherche.

    Edit : et je rejoins noix de totos, c'est moins flagrant en maths pures selon moi mais en computer science 3/4 des auteurs n'ont rien fait, et c'est même pas certain qu'ils aient lu le papier dans lequel ils apparaissent. Je n'exagère pas. Je connais des directeurs de thèse qui ne sauraient faire de la recherche par eux-mêmes, ou en tout cas qui se reposent à 100% sur leurs nombreux thésards en ne faisant que du management.
  • Pour avoir travaillé dans une bibliothèque de recherches mathématiques, je peux dire que j'ai été étonné (et je le suis toujours) par le nombre considérable de périodiques mathématiques de tous les domaines et de tous les pays. Un rayonnage entier est occupé par les revues spécialisées dans la seule analyse combinatoire ! Des travaux d'agrandissement avaient été entrepris mais tous les 6 mois, il fallait repenser totalement la disposition des salles.
    Vu le flux permanent d'articles proposés, le risque est de plus en plus grand de voir un article faux ou "farfelu" échapper à un comité de vigilance et se retrouver publié. Ce qui serait effectivement un coup dur pour la crédibilité de la revue. Je ne crois pas que des titres aussi prestigieux que "Acta Arithmetica" ou "The Journal of Number Theory" aient été victimes de ce genre de bévues. En tant que modeste aide-bibliothécaire, je leur fais une confiance aveugle !
    ...
  • En France et en maths, je pense qu'il faudrait supprimer la PEDR et plutôt augmenter les salaires. Dans une population qui dans sa très grande majorité travaille bien, récompenser les "meilleurs" sur du court terme a plus d'effets pervers que d'effets positifs.
  • A noter :

    L'index de citation des articles est très souvent utilisé pour juger les chercheurs. Découper un travail important en plusieurs articles rend leur index de citation très faible. "J'ai publié 200 articles que personne n'a lu" est une défense de chercheur qui ne trouve rien !

    Cordialement.
  • Je fais partie de ces rares personnes qui n'utilisent pas un résultat sans en avoir vérifié tous les détails et je dois dire qu'il est très rare que je ne trouve pas d'erreur dans un article, même publié dans une grande revue. Parfois ce sont des erreurs sans importance, parfois ce sont des erreurs graves. De toute façon, la qualité d'un article est sans rapport avec le nombre d'erreurs qu'il contient, il ne faut pas se focaliser là dessus. C'est une bonne façon d'aborder le travail d'un auteur que de corriger tous les petits et grands détails, qu'il a semé. Plus l'auteur va prendre des risques en abordant un sujet difficile, en introduisant des choses nouvelles plus il risque de se tromper. Evidemment un article vide ne contient que rarement des erreurs puisqu'il ne contient pas de maths

    Contrairement à ce que dit Etienne, il est très dangereux de trop publier, un lecteur lira au plus quelques pages d'un article, s'il voit qu'un article ne vaut rien il vous range directement dans la case: "pas de temps à perdre avec ce genre d'individus." Si l'auteur a réussi à faire accepter un article médiocre dans une grande revue c'est pire encore car il y aura tout lieu de penser qu'en plus d'être un mathématicien nul c'est en plus un mafieux de première espèce.

    Bref, ne pas trop publier prendre son temps et oublier les commissions et autres comité de sélection font partie de la vie du mathématicien qui veut faire un travail de qualité. La qualité du travail apporte des lecteurs à défaut d'être bien vu des commissions. Etienne a beaucoup de lecteurs, car il suffit d'avoir lu un de ses articles pour vouloir en lire un autre.

    M.
  • "J'ai publié 200 articles que personne n'a lu" est une défense de chercheur qui ne trouve rien !

    Tout de suite les catégories classifiantes. Ça peut aussi être un Galois ou un Mochizuki.
  • Parce qu'Evariste a publié 200 articles ?
  • Je suis d'accord Mauricio, sauf que pour être mathématicien professionnel de nos jours, il est obligatoire de satisfaire aux exigences de certains comités.
    Pour obtenir une bourse il faut à la fois beaucoup d'articles ET un haut indice de citations.
    Pour conserver un poste d'enseignant à l'université (du moins en Belgique, je ne sais pas en France), il faut régulièrement prouver à son rectorat qu'on a publié de nouveaux articles.
  • J'ai pas vérifié mais je doute qu'Andrew Wiles ait publié 200 articles dans les 8 années où il a travaillé sur Fermat. Et pourtant on se souviendra plus de lui que des milliers d'autres qui ont publié d'innombrables articles sans intérêt sous la pression du publish ou perish. Là est tout le paradoxe.
  • Shah d'Ock,

    tu m'as bien fait rire ! Merci.
  • Soit dit en passant, l'exemple d'Etienne Ghys me semble mal choisi. Des "preuves élémentaires" de problèmes ouverts célèbres sont régulièrement publiées sur ArXiv, généralement par des universitaires qui ne sont pas mathématiciens, ou bien par des "mathématiciens" recrutés dans de petites universités très isolées. Il me semble que ces personnes sont bien plus attirées par le prestige associée à la résolution de l'un de ces problèmes fameux que par le simple fait d'ajouter une publication à leur CV.

    Cela dit, je suis malgré tout d'accord avec Etienne Ghys sur le phénomène qu'il décrit.
  • Ce phénomène n'est-il pas lié tout simplement à Internet ?
    On trouve désormais tout ce que l'on veut, on peut créer des sites avec des informations fausses (je ne parle pas de fakes news mais des choses fausses telles un dictionnaire qui changerait les définitions des mots, etc.).

    C'est La Liberté, comme on dit.
  • Il y a toujours eu des fabricants de fausses nouvelles, voir par exemple les livres de Léo Taxil. Et toujours des gens pour les croire. Les voyantes extra-lucides et autres marabout ne font pas faillite.
    Mais pour les textes mathématiques faux, il ne semble pas que l'essentiel soient des fabrications volontaires. Plutôt de l'incompétence ou des gens piégés au mirage de "j'ai trouvé bien plus simple". Et ce genre de publication fait tache pour un chercheur.

    Cordialement
  • En lisant ce fil je me fais la remarque que dans une discussion sur un forum, il y a toujours un biais vers les "trains qui n'arrivent pas à l'heure". En maths, j'ai l'impression que les choses sont assez saines.

    * Dans tous les comités de sélection auxquels j'ai participé, jamais le nombre d'articles n'a été l'élément déterminant (c'est même plutôt un argument retenu quand quelqu'un veut "prouver" qu'un sujet est trop facile).

    * Les mathématiciens (jeunes ou moins jeunes) qui publient dans les journaux bidons se décrédibilisent. Personne ne fait ça, sauf parfois quelques jeunes isolés.

    * De ma (petite) expérience et en discutant avec des collègues il ressort que les éditeurs et referee faisaient un travail sérieux en défendant des longs articles lorsqu'ils les trouvent intéressants.

    * Je cite Gérard : "L'index de citation des articles est très souvent utilisé pour juger les chercheurs". En Maths je ne connais aucun collègue qui connaît son h-index.
  • Parce qu'Evariste a publié 200 articles ?
    Mon cerveau gauche me dit d'écrire:
    Justement, Galois n'était pas soumis aux mêmes contraintes du poubliche or perish or be rich.
    Mon cerveau droit me dit d'écrire:
    À plus forte raison, si un mec qui écrit 200 articles que personnes ne lit c'est un chercheur qui ne trouve pas, alors celui qui écrit un seul mémoire que personne ne lit, c'est quoi?
    Mais comme je ne suis ni de gauche ni de droite, bien au contraire, je prends le parti de garder le silence.
  • df a écrit:
    Beaucoup de jeunes chercheurs se jettent sur ces prépublications en oubliant qu'elles n'ont pas été validées.

    De toute façon, validés ou non, comme l'a dit Mauricio, il faut vérifier les résultats que l'on utilise. Utiliser un résultat qui s'avère inexact peut avoir des conséquences plus ou moins graves. Dans le meilleurs des cas, cela peut restreindre la portée de l'article (par exemple, il faut des hypothèses plus restrictives pour être sûr que le résultat principal soit valide) et dans le pire (si tout repose dessus) enlever toute raison d'être. De plus, comprendre au moins les idées de démonstration d'un résultat antérieur permet d'accroître son recul sur son domaine de recherche.

    En tant que "jeune chercheur", je ne me sens pas spécialement soumis au "publier ou périr", mais le fait de devoir candidater amène des contraintes dans la stratégie de recherche. Je m'explique : au début de ma thèse, je me disais que dès qu'on avait des résultats qui pouvaient faire l'objet d'un article, on rédige puis on le soumet ; plus on a d'article et mieux c'est. Mais la réalité est plus complexe. Par exemple, il convient de ne pas rester cantonné aux même types de problèmes et développer de nouvelles thématiques, surtout après la soutenance de thèse.

    Il y a le risque d'être tiraillé entre deux options contradictoires : publier un résultat qui est assez proche (au premier abord mais en fait pas tant que ça) quitte à se le faire reprocher, ou bien ne pas publier un résultat bien que l'on ait passé du temps dessus.
  • Bonjour,

    en tombant sur une liste de périodiques mathématiques (revues, journaux, séminaires...), je me suis "amusé" à relever uniquement les titres où apparaissent le terme "ALGEBRE" ou "algébrique"... En guise d'illustration de l'ampleur et de la profusion des publications dans le domaine mathématique.

    Cette liste non-exhaustive ne contient que des journaux ou des revues. Tous les titres correspondent à des publications distinctes (papier ou électronique) avec leur périodicité.
    Beaucoup sont issues de Springer, Ingeta, De Gruyter, Science Direct, JSTOR, Gallica, NUMDAM etc... Il y a aussi des éditeurs Transsylvaniens !

    Certains titres n'existent peut-être plus ou ont changé de noms. Le travail d'un bibliothécaire consiste parfois à remonter l'historique de certaines revues. Quand celles-ci provenaient du bloc Soviétique par exemple, c'était une mission quasiment impossible. En France, le "Journal de mathématiques élémentaires", très ancien, a changé plusieurs fois de nom et d'institution. Retracer sa "mue" au fil des ans mobilise toutes les ressources d'une petite structure universitaire comme une bibliothèque de recherche.


    •ACM communications in computer algebra

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    •SIGSAM Bulletin: communications in computer algebra

    •Séminaire Dubreil. Algèbre et théorie des nombres

    •Séminaire Samuel. Algèbre commutative

    •Topological algebra and its applications


    Et juste pour le folklore:

    •Acta crystallographica section A

    •Journal of thermal stresses

    •Journal of mathematics and music: mathematical and computational approches to music theory, analysis, composition and performance


    Pour la poésie des titres:

    •Geometriae dedicata

    •Folia mathematica

    •Confluentes mathematici

    •Mathematica Aeterna

    Une revue consacrée à la suite de Fibonaccci:

    •Fibonacci quaterly

    Et pour finir, des titres et destinations improbables:

    •Mathematica bohemica

    •Carpathian journal of mathematics

    •Antartica journal of mathematics

    •American journal of mathematical and management sciences

    •Journal of elliptic and parabolic equations


    Merci @girdav ! Un scientifique a tout intérêt à exercer un contrôle critique et sévère sur ses futures publications, plutôt que de se reposer sur un éventuel comité de lecture !
    J'imagine que la plupart le font. Certains rechignent plus ou moins consciemment à le faire de peur de voir diminuer, comme tu le dis, la portée de leurs travaux.

    Après une dictée, certains ne veulent pas se relire de peur de trouver des fautes ! Peut-être que ce comportement irrationnel qui commence au Primaire perdure jusqu'à la Thèse.

    Les qualités du "publish or perish" (une dynamique, une émulation du milieu scientifique) sont aussi ses défauts: "dictature du chiffre et crise de la reproductibilité".
    Il est vrai que pour valider une expérience: le mieux reste encore de la reproduire autant de fois que nécessaire et loin de tout impératif économique ou éditorial.

    ...
  • c'est quoi un journal bidon?
  • Un journal qui publie n’importe quoi par exemple.
    Algebraic symbols are used when you do not know what you are talking about.
            -- Schnoebelen, Philippe
  • C'est un journal qui permet quand même de publier un article qui n'intéresse personne, voire dans le pire des cas un article qui n'a aucun sens ou est faux. C'est un journal dans lequel les gens (qui n'arrivent pas ailleurs) publient mais que personne ne lit en fait. C'est un journal dans lequel aucun chercheur reconnu dans son domaine ne songerait même à publier. C'est un journal dont la peer-review est une blague, voire inexistante. Et des journaux bidons, malheureusement, y'en a pas mal. C'est tout un business d'ailleurs.
  • Il y a même une liste fameuse sur internet regroupant ces journaux, je vais essayer de retrouver le lien.
  • Je pensais à liste regroupant les "mauvaises revues".

    Je l'ai retrouvée : https://clinicallibrarian.wordpress.com/2017/01/23/bealls-list-of-predatory-publishers/
  • Je ne savais qu'il existait une "American Society of registered Nurses" !
    Ou une "Ada Lovelace Publications"...

    Et quand on voit un intitulé vague comme "Acta Scientifica": le mieux c'est de se méfier !
    ...
  • faut vraiment être une buse pour publier dans un journal bidon....
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