Propriété universelle de $\K^{(I)}$ et plus

Souvent, pour ne pas dire toujours, une fois donnée la définition d'un objet algébrique, j'ai du mal à formaliser moi-même (i.e. à deviner avant de le lire) quelle sera la propriété universelle vérifiée par ce dernier.

Prenons un exemple : $\K^{(I)}$, l'ensemble des familles à support fini d'éléments de $\K$ et indexées par $I$, où $I$ est un ensemble et $\K$ un corps.

Pour formuler la propriété universelle de $\K^{(I)}$, le cours que je lis introduit l'application $\varphi:I\rightarrow\K^{(I)}$ définie pour tout $i\in I$ par $\varphi(i):=[j\in I\mapsto\varphi(i)(j):=\delta_{i,j}\in\K]$ (où $\delta_{i,j}$ désigne le symbole de Kronecker).

Ensuite, on introduit la fameuse propriété universelle, dont la démonstration est facile :

Pour tous $\K$-espace vectoriel $E$ et toute application $u:I\rightarrow E$, il existe une unique application linéaire $\overline{u}\in\mathcal L(\K^{(I)},E)$ telle que :
$$\xymatrix{

I \ar[r]^{\varphi} \ar[rd]_{u} & \K^{(I)} \ar[d]^{\overline{u}} \\

& E

} $$


Dans tout ça, je n'aurais JAMAIS pensé à introduire l'application $\varphi$ qui me paraît artificielle.

1) Est-ce qu'il y a une "méthode générale" pour pouvoir formuler la propriété universelle vérifiée par un objet ? Car j'ai l'impression que c'est très variable : parfois l'objet apparaît au départ d'un morphisme, parfois à l'arrivée, parfois on voit des choses carrément plus compliquées. J'ai lu que la propriété universelle correspond à "la chose la plus générale vérifiée par l'objet en question" mais ça reste assez vague même si je perçois l'idée. J'ai l'impression que ce qui me manque, c'est comment savoir quelles seront les applications à introduire autour de l'objet pour définir ladite propriété universelle.

2) Est-ce que tout concept correctement défini possède une propriété universelle ? Je pense que c'est une question assez bête mais comme on formule des propriétés universelles uniquement pour des concepts "avancés" (quotients, produit tensoriel, etc.), je me demande si l'on peut formuler de telles propriétés pour des choses beaucoup plus triviales comme :
- la propriété universelle de $E\cap F$, $E$ et $F$ étant des espaces vectoriels ;
- la propriété universelle d'une application linéaire de $E$ dans $F$ ;
- la propriété universelle d'un sous-espace vectoriel $F$ et $E$ ;
- la propriété universelle de $\mathcal L(E,F)$.
- la propriété universelle d'un endomorphisme diagonalisable.
J'imagine que certains de ces points n'ont pas vraiment de sens mais c'est justement pour clarifier le concept de propriété universelle que je les pose.

Réponses

  • Tu peux commencer par lire ceci, j'espère que tu aimes les catégories.
  • En fait, je travaille également par ailleurs les catégories, bien que je n'en sois pas encore au stade des propriétés universelles. Même si j'imagine que ça n'est pas l'idéal, j'aimerais savoir si l'on peut répondre à mes questions sans les catégories. Dans un premier temps du moins. D'ailleurs, le cours d'où je tire mes observations n'utilise pas du tout les catégories.
  • Un élément $f$ de $K^{(I)}$, c'est une application de $I$ dans $K$, à support fini. On peut très bien écrire $f = \bigg[j \longmapsto \displaystyle \sum_{i \in I}f(i)\delta_{(i,j)}\bigg]$. Toute l'astuce est en fait là, mais quand on y réfléchit, c'est l'une des façons les plus commodes d'écrire un élément générique de $K^{(I)}$ quand $I$ est potentiellement de cardinal infini : si $I$ était de cardinal fini $n$, on pourrait écrire $f$ comme un $n$-uplet, mais quand $I$ est de cardinal infini, essayer d'écrire un $\infty$-uplet composé essentiellement de zéros, ça ne marche plus.

    On cherche donc une application $\varphi$ "naturelle" de $I$ dans $K^{(I)}$.

    Donc $\varphi$ est une application qui à $I$ associe une application de $I$ dans $K$. On peut commencer à entrevoir le côté "application de $I \times I$ dans $K$" : on écrirait une telle application comme $\bigg[(i,j) \longmapsto \displaystyle \sum_{k \in I}\alpha_{(i,k)}\delta_{(k,j)}\bigg]$, avec les $\alpha_{(i,j)} \in K$. Bon, il faudrait décomposer ça en "$\bigg[i \longmapsto \bigg[ j \longmapsto\displaystyle \sum_{k \in I}\alpha_{(i,k)}\delta_{(k,j)}\bigg] \bigg]$" en quelque sorte, pour faire coller ça à notre situation, et identifier $\varphi$.

    EDIT : J'ai rectifié des indices ci-dessus, merci à Mister Da.

    Donc, retour à $f = \bigg[j \longmapsto \displaystyle \sum_{i \in I}f(i)\delta_{(i,j)}\bigg]$. Si je définis $\varphi$ par $\varphi(i) = [j \longmapsto \delta_{(i,j)}]$, je peux écrire l'égalité fonctionnelle $\boxed{f = \displaystyle \sum_{i \in I}f(i)\varphi(i)}$. Et ça, c'est quand même vachement bien pour ce qu'on essaie de faire : on a trouvé, en l'espèce des $\varphi(i)$, une "base" de $K^{(I)}$ !

    En vrai, je pourrais même enlever les guillemets autour du mot base, et justement, c'est un peu ça l'idée de cette propriété universelle. Si tu as compris la propriété universelle du produit tensoriel de deux espaces vectoriels, elle marche un peu pareil : tout ce qu'on fait, c'est fabriquer l'application qui définit les "tenseurs purs", puisqu'ils contiennent une base du produit tensoriel.
  • Merci, ça éclaire ma compréhension et la naturalité de ce procédé pour $\K^{(I)}$.

    Le truc qui me manque toutefois c'est quand est-ce qu'on sait qu'un truc sera caractérisable par propriété universelle. Mais là j'imagine que sans catégorie c'est compliqué. Le lien que tu as donné semble donner une réponse, il me reste donc à avancer sur les catégories.
  • J'aurai du mal à répondre à ta question. Je pense que la meilleure façon d'y répondre se situe en effet dans la théorie des catégories, mais je n'en suis pas spécialement un expert non plus (il y a des connaisseurs sur le forum, mais vu l'heure qu'il est, il faudra sûrement attendre encore un peu). Les PU sont liées aux "opérations" qui se "définissent bien" dans le langage des catégories, en tout cas.
  • J'ai un problème je n'arrive pas à poster ma réponse... j'ai un "phorum database error" mais pourtant je n'ai fait aucun copier-coller donc je suis perplexe
  • C’est un coup des anti-catégoristes.
  • 1) oui et non. Un objet a toujours la propriété universelle triviale suivante : un morphisme partant de $X$ est la même donnée qu'un morphisme partant de $X$.
    Trouver une PU inéressante, si on ne part pas avec, c'est plus compliqué.

    Cela dit, pour certains des exemples que tu cites (le produit tensoriel par exemple), la PU vient par définition. C'est elle qu'on cherche à obtenir et joie, un objet la satisfait. C'est le cas aussi du quotient par exemple (et de manière un peu plus détournée le noyau).

    Avec assez d'expérience, des définitions pas forcément formulées sous cette forme deviennent facilement traduisibles, d'autres pas.

    Pour $K^{(I)}$, on pourrait par exemple partir de cette PU (qui est intéressante : elle nous dit que cet espace vectoriel est libre sur $I$, i.e. que $I$ en forme une base), et observer que ces suites à support fini la vérifient. C'est comme ça que j'y pense, personnellement

    Et effectivement, il y a des "mapping in universal properties" et des "mapping out UP", selon que la PU gouverne comment on crée des morphismes vers ou depuis un objet. Ça... c'est juste que les deux existent.


    2) pour les objets dans un contexte où tu as des morphismes, oui, je l'ai dit rapidement au tout début. Cela dit elle n'est pas intéressante. Mais des objets peuvent avoir plusieurs PU et c'est là que beaucoup de trucs beaux apparaissent.
    En fait, en algèbre on se fiche un peu des rouages intérieurs de l'objet , ce qui nous intéresse c'est comment il interagit avec le monde : remplace moi les suites à support fini par autre chose qui se comporte pareil et ça m'ira. De ce point de vue, la PU est beaucoup plus importante que l'objet, puisque l'objet n'est qu'un "modèle" de cette PU; et c'est du coup pour ça qu'on définit pas mal de choses par PU.
    Donc pour donner une meilleure réponse à 2) : plus tu avances, plus tes objets seront définis par PU et donc la réponse se rapproche de "oui" de manière non triviale.
    Il faut aussi savoir que c'est un peu trompeur de dire "la PU d'un objet" : en général la PU c'est celle d'un objet + un ceetain nombre de données (e.g. une flèche $I\to V$) et on fait l'abus de ne paelee que de l'objet. Du coup, retrouver ces données peut être un "processus créatif". Si tu as les données, et que leur "fonctorialité" t'est claire, il n'y a plus trop de question.


    Pour $E\cap F$, tu vois bien que ça n'a pas de sens pour "$E$ et $F$ des espaces vectoriels" : il faut me donner un espace vectoriel ambient, et me dire comment $E$ et $F$ y sont plongés (sinon la réponse n'est pas du tout invariante par iso, ou même par encodage de trucs idiots). Donc ta donnée c'est $(E,i), (F,j)$ où $i$ et $j$ sont des plongements dans un gros espace vectoriel $L$. Dans ce cas, $E\cap F$ correspond au "pullback" ou "produit fibré" $E\times_L F$.

    La propriété universelle "d'un machin" (ev, endomorphisme, endomoprhisme diagonalisable,....) ça ne veut rien dire si tu ne me dis pas lequel.

    $L(E,F)$ ça dépend ce que tu me donnes. Si tu acceptes le produit tensoriel comme primitif, il y en a une très intéressante, sinon c'est plus compliqué. Cela vient de ce qu'en principe, $L(E,F)$ devrait n'être qu'un ensemble - c'est un espace vectoriel "parce que" le produit tensoriel existe (dire "parce que" ici.... disons que c'est lié). Sans PT, je peux t'en donner un PU en tant qu'ensemble :-D
  • (J'avais un c bizarre qui s'était caché au lieu d'une cédille, j'ai eu du mal à le repérer :-D )
  • Bonjour,

    dans le premier message d'Homo Topi, j'ai l'impression qu'il y a une petite coquille. Quand on lit $\bigg[(i,j) \longmapsto \displaystyle \sum_{i \in I}\alpha_{(i,j)}\delta_{(i,j)}\bigg]$ faut-il en fait lire $\bigg[(i,j) \longmapsto \displaystyle \sum_{k \in I}\alpha_{(i,k)}\delta_{(k,j)}\bigg]$ (et pareil pour la suite) ?
    Je vous remercie par avance.
    Cordialement,
    Mister Da
  • Si, c'est plutôt ça en effet ! Je vais rectifier ça dans mon message, merci :-)
  • Merci beaucoup Maxtimax !
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