Commutons les limites et cocommutons-les

Bonjour et bonne année à tous

Une question de théorie des catégories : il est connu que si $F : I\times J \to C$ est un bifoncteur, il existe une flèche canonique $$

\kappa : \ \underset{J}{\mathrm{colim}} \lim_I F \to \lim_I \underset{J}{\mathrm{colim}} F

$$ et si on prend $C=\mathbf{Ens}$ la catégorie des ensembles et si $I$ est une catégorie finie et $J$ est filtrante alors cette flèche est une bijection, cf. wikipedia

Ma question est : est-ce qu'il existe une propriété équivalente si on intervertit les propriétés de $I$ et $J$ : $I$ cofiltrante et $J$ finie ?

Merci.

Réponses

  • C'est une bonne question, j'ai envie de dire que non.

    En fait on m'a posé une question similaire récemment, et j'avais trouvé un contrexemple mais avec $J$ infini, mais il s'avère que je peux en réalité le simuler avec $J$ fini donc tout va bien, je l'explique ici.

    Je prends $I= \mathbb N$ les entiers, ordonnés dans le sens inverse de d'habitude, et $J$ le diagramme de coégaliseur usuel (deux objets, de flèches de $a$ vers $b$).

    Je prends $F(n,a) = F(n,b) = \mathbb Z/p^n\mathbb Z$, je mets la réduction modulo $p^n$ le long des entiers, et le long de $a\to b$, je mets l'identité pour une des flèches, et $x\mapsto x+1$ le long de l'autre. Comme $+1$ commute avec la réduction modulo quoi que ce soit, ça me fait bien un foncteur $F:I\times J\to C$.

    Maintenant le point est que si je prends la colimite selon $J$ d'abord, je tue tout : en effet si on coégalise $x$ et $x+1$ dans $\mathbb Z/p^n\mathbb Z$, on se retrouve à coégaliser tout le monde, donc $\mathrm{colim}_J F(i,-) = \{*\}$ quel que soit $i$. Il s'ensuit que le terme de droite de ta flèche n'est qu'un point.

    Inversement, si je prends d'abord la limite, je me retrouve avec les $p$-adiques $\mathbb Z_p$, et ensuite je coégalise $x$ et $x+1$, mais ça ça a l'effet de me donner $\mathbb Z_p/\mathbb Z$, et il est connu que ce n'est pas un point (sauf pour $p=1$) ; donc pas un isomorphisme.
  • Merci Matimax pour cette réponse rapide et très précise.
    Le contre-exemple à l'air suffisamment simple pour réfuter pas mal d'hypothèses possibles.

    Je ne suis pas familier avec les nombres $p$-adiques, comment voit-on que $\mathbf{Z}_p/\mathbf{Z}$, n'est pas un point ? J'ai l'impression qu'une question de cardinalité suffit, $\mathbf{Z}_p$ étant non dénombrable, est-ce suffisant ?

    Autre question complémentaire, y a-t-il moyen d'obtenir quand même un isomorphisme avec des hypothèses plus fortes ou plus précises, en gardant $J$ fini, $I$ infini ? En fait, le cas qui m'intéresse est avec la catégorie $C$ la catégorie des groupoïdes et non des ensembles, est-ce que cela changerait quelque chose ?
    Merci.
  • Oui, par exemple la cardinalité le prouve.
    Sinon tu peux exhiber directement un élément non trivial : quelque chose qui se comporte comme $\sum_n p^n$; plus précisément tu prends comme résidu modulo $p^n$ : $\sum_{k=0}^{n-1}p^k$. Il est évident qu'aucun entier n'a cette suite de résidus.

    Prendre la catégorie des groupoïdes au lieu des ensembles ne changera pas grand chose : tu as une inclusion (pleinement fidèle) $\mathbf{Ens\to Gpd}$ qui a un adjoint à gauche et qui exhibe $\mathbf{Ens}$ comme une sous-catégorie réflexive de $\mathbf{Gpd}$, donc ladite inclusion préserve les limites, mais elle a aussi un adjoint à droite, et donc elle préserve aussi les colimites. Donc si tu as un défaut d'isomorphisme dans $\mathbf{Ens}$, tu en auras aussi un dans $\mathbf{Gpd}$, on se simplifie donc la vie en restant dans $\mathbf{Ens}$ (sauf si tu pensais spécifiquement à des groupoïdes connexes ou quelque chose du genre, où le $\pi_0$ joue un rôle limité).

    J'avoue que je ne sais pas quel genre d'hypothèses permettrait de conclure avec $J$ fini, $I$ infini. En fait je vais dire qu'il n'y en a pas, mais c'est pas vrai; mais je m'explique : si $J$ n'est pas connexe (au sens large), la colimite sur $J$ c'est un coproduit des colimites sur les composantes connexes donc c'est pas très important, donc on "peut se ramener" à $J$ connexe. Dans ce cas-là, de deux choses l'une : ou bien c'est un préordre, auquel cas il est équivalent à un ordre qui a un objet final, et donc la colimite revient à évaluer en cet objet final, et donc c'est pas intéressant (mais le résultat est vrai; mais bon...); ou bien il y a $x,y$ avec deux flèches distinctes $x\to y$. Dans ce cas-là, on ne peut pas dire directement "on peut faire pareil qu'en haut" (parce que les flèches distinctes pourraient après tout avoir des relations bizarres entre elles à cause d'autres flèches), mais moralement on devrait pouvoir se débrouiller pour créer un exemple similaire.

    Bon après $I$ infini ça peut être très très bizarre, donc à nouveau j'ai pas de théorème précis à citer; mais heuristiquement (je peux me tromper !!!) j'ai envie de dire que ça ne risque pas d'arriver.

    En fait le coup du $J$ filtrant + $I$ fini je le vois plus comme un coup de chance qu'autre chose (bon c'est lié à un peu d'homotopie si je ne me trompe pas donc c'est pas complètement un coup de chance, mais le fait qu'il y ait "$I$ fini", selon moi... bon pour être un poil plus précis : c'est lié au fait que $X\times -$ soit un adjoint à gauche, ce qui n'est absolument pas le cas de $X\sqcup -$, ce qui explique l'asymétrie)

    Mais comme j'ai pas dit grand chose de mathématique là, juste des intuitions, je peux me tromper lourdement ! A part les deux premiers paragraphes il ne faut pas prendre au pied de la lettre
  • Bonsoir et merci encore Maxtimax

    Je ne suis pas sûr de comprendre la parenthèse du 2e paragraphe.

    J'en conclu que si je veux démontrer la commutativité dans un cas particulier c'est soit faux, soit ça vient d'une propriété très particulière au bi-foncteur étudié et pas d'une propriété générale.
  • Bonsoir,

    J'avais pensé à un contre-exemple dans le bus, mais il semble que Maxtimax a eu le temps d'en rédiger un joli le temps que j'arrive.


    Mon contre-exemple est assez minimaliste: prenons $I = a \leftarrow \ast \rightarrow b$, c'est la catégorie du diagramme du pushout, et c'est bien cofiltrant. Prenons $J = 0, 1$, la catégorie discrète à deux éléments.

    Les colimites sur $I$ sont des pushouts, les limites sur $I$ sont simplement l'évaluation en $\ast$ car c'est un objet initial.
    Les colimites sur $J$ sont les copropduits, et les limites sur $I$ sont les produits.

    Prenons $F : I \times J$ tel que $F(\ast, 0) = F(\ast, 1) = \varnothing$, et $F(a,0) = F(a,1) = F(b,0) = F(b,1) = \{\varnothing\}$. Le foncteur est défini par les inclusions évidentes au niveau des morphismes.


    Alors $\ \underset{J}{\mathrm{colim}} \lim\limits_I F$ est l'ensemble vide puisque c'est l'union disjointe (colimite sur $J$) de deux ensembles vides (limites de $F$ sur $I$). Et $\lim\limits_I \underset{J}{\mathrm{colim}}F$ est le produit de deux pushouts d'ensembles à un élément le long de l'inclusion par l'ensemble vide. Un pushout le long de l'inclusion par l'ensemble vide est juste une somme disjointe. Donc $\lim\limits_I \underset{J}{\mathrm{colim}}F$ est le produit $(\{\varnothing\} \coprod \{\varnothing\}) \times (\{\varnothing\} \coprod \{\varnothing\})$. Et la flèche $\kappa$ n'est pas un insomorphisme dans ce cas.

    EDIT: Comme me l'a fait remarquer toutoune, ce qui précède est honteusement faux.
  • toutoune : la parenthèse est juste là parce que si tu considères des diagrammes de groupoïdes qui sont tous connexes, mais gros tout de même, tu auras peut-être des résultats plus intéressants. Ma preuve que c'est au moins aussi faux que dans $\mathbf{Ens}$ utilise des groupoïdes discrets, donc si tu es loin de t'occuper de ceux-là, elle n'est pas "pertinente".
  • Bonsoir Chat-Mats

    Est-ce qu'il n'y a pas un problème, tu écris
    n'est-ce pas plutôt :
    Les colimites sur $J$ sont les coproduits, et les limites sur $J$ sont les produits

    ce qui a un effet sur l'identification du deuxième terme
  • Oui, effectivement. Les limites sur $J$ sont les produits, mais là pas de limite sur $J$ en jeu...

    Ça change effectivement le deuxième terme: mais de peu. La limite sur $I$ étant l'évaluation en l'objet initial comme on a remarqué, dans ce cas, c'est juste... L'ensemble vide, et mon contre-exemple n'en est pas un :-D.

    Tout ceci montre que je suis bien fatigué, j'essaierai de pondre un vrai contrexemple "minimaliste" demain, quand mon cerveau sera reposé.
  • Après une bonne nuit de sommeil, je pense être arrivé à la conclusion que l'exemple de Maxtimax est l'un des plus "minimalistes" possible.

    Je cherchais un exemple avec $I$ fini, mais si un préordre sur un ensemble fini est cofiltrant, il a un objet initial, et la limite revient à évaluer en cet objet initial, disons $s$. Dans ce cas, prendre la limite sur $I$, puis la colimite, revient à ne garder que les objets initiaux de chaque tranche du type $I \times \{j\}$, pour avoir le diagramme $\{s\} \times J$, et prendre la colimite sur $J$ de ce dernier. Dans l'autre terme, on fait d'abord les colimites de chaque $\{i\} \times J$, puis on garde uniquement celle qui correspond à $\{s\} \times J$... Autrement dit, la même chose.

    De manière plus catégorique, le foncteur $\lim\limits_I$ est l'évaluation en l'objet initial $s$ de $I$, ce foncteur a un adjoint à gauche droite, donné par la formule $X \mapsto \mathrm{Hom}_{Set}(\mathrm{Hom}(-,s), X)$, donc il préserve les colimites...

    Ça donne au moins une condition à laquelle on peut faire commuter la colimite et la limite, même si elle n'est pas très intéressante. Tout ça pour dire que mes tentatives étaient vouées à l'échec. Du coup, avec un préordre, il faut au moins $I$ infini, et dans ce cas, on retombe sur l'exemple de Maxtimax.

    Désolé d'avoir pollué le fil avec mes faussetés.
  • Pas de souci chat-maths, en fait j'allais écrire (mais j'étais sur mon téléphone et j'ai un bug depuis récemment) quelque chose comme ça à propos de $I$.
    J'ai trouvé justement mon contre-exemple en réfléchissant à ce qu'il faudrait pour que l'application soit injective et en faisant en sorte qu'on n'ait justement pas ça. J'imagine qu'on peut se débrouiller aussi pour interdire la surjectivité.

    En gros pour interdire la surjectivité, il faudrait que les limites à gauche soient trop petites, alors qu'en recollant des trucs (colimite) on les rende plus grosses. Par exemple pour avoir des limites trop petites on peut prendre des intersections infinies vides.

    Donc à nouveau je prends $I= \mathbb N$ ordonné dans le sens opposé du sens usuel, et $J$ le diagramme de coégaliseur. Je prends une famille d'ensembles $(B_n)_{n\in \N}$ décroissante pour l'inclusion, et telle que $\bigcap_n B_n = \emptyset$. Mon diagramme va en gros être $B_n\times B_n \to B_n$, avec comme flèches les deux projections.

    Ainsi si je prends d'abord la colimite, j'obtiens un point, donc la limite est un point.
    Si je prends d'abord la limite, ça revient à prendre l'intersection (puisque $B_{n+1}\subset B_n$), donc j'obtiens $\emptyset \to \emptyset$, dont la colimites est bêtement $\emptyset$. Donc c'est clairement pas surjectif.

    Donc en général $\kappa$ n'est ni injective ni surjective.

    EDIT : bien entendu il faut que chaque $B_n$ soit non vide, sinon en prenant d'abord la colimite on se retrouve aussi avec $\emptyset$, c'est notamment ça qui force $I$ à être infini.
  • Merci à tous les deux.

    Je vais essayer de voir ce que cela signifie pour la question que je me posais initialement, à savoir démontrer une espèce de théorème de Van Kampen pour une espèce de foncteur d'homotopie défini par des limites et colimites, il faudrait arriver à une égalité de la forme
    $$
    \mathrm{colim} \lim \mathrm{colim} =\lim \mathrm{colim}
    $$
    visiblement ça n'émergera pas de considérations trop simples
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