$\mathbb R$ complet, avant Cauchy ou Dedekind

Bonjour,

Grand fan de la définition de $\mathbb{R}$ par des coupures de Dedekind (sur $(\mathbb{Q},\leq)$ ) lorsqu'il s'agit de parler de propriétés liées au fait que $\mathbb{R}$ est complet, j'ai aussi une vague connaissance de cette histoire de classes de suites de Cauchy équivalentes (qui a l'air un poil plus sympa quand on parle de multiplication). Je crois que ces trucs datent du 19ième siècle alors qu'on a su dès l'antiquité que les nombres rationnels avaient quand même un petit problème de ce côté-là et que l'analyse dans $\mathbb{R}$ a probablement été un des plus gros morceaux de la recherche mathématique à partir du 17ième.
Si j'ai un peu de mal à suivre ce qu'on fait au lycée à ce propos, je constate que dans un livre de topologie comme le Queffélec, on attaque le problème avec une propriété des segments emboîtés "axiomisée" et que, de mémoire, en prépa, on commence le truc avec "$\mathbb{R}$ est complet, c'est cadeau".
Je me dis qu'avant les redéfinitions de $\mathbb{R}$, la question de "complétude" s'est sûrement posée plusieurs fois. Comment y répondait-on ? Je suppose qu'on postulait des trucs, mais quelle forme ça pouvait prendre ?

Réponses

  • Bonjour Titi.

    De ce que je retiens de mes études d'histoire des sciences (et donc des maths), la question ne se posait pas avant le dix-neuvième siècle. Les mathématiciens des dix-septième et dix-huitième siècle étaient nettement moins rigoureux que les grecs anciens, mais leurs nouveaux outils d'analyse (dérivées, intégrales, séries, ..) étaient tellement efficaces qu'ils "faisaient confiance à la nature", vu qu'ils les utilisaient dans des usages essentiellement physiques. Il faut voir aussi que la notion de fonction se confondait au départ avec l'idée de résultat calculé, éventuellement géométrisé, puis de somme de série convergente. Cauchy encore, au début du dix-neuvième siècle s'y fait prendre, utilisant le fait que la somme d'une série de fonctions continues est continues.

    Cordialement.
  • Bonjour Gerard, merci pour ta réponse, du coup j'ai envie de poser une deuxième question:
    Y a-t-il une corrélation entre ce tournant de la rigueur et une augmentation du nombre de scientifiques ou d'une spécialisation due à une quantité de savoir devenue trop grande? Je demande ça parce que des noms de mathématiciens "quasi-purs", je ne suis pas capables d'en sortir des masses avant des contemporains de Cauchy (et comme tu dis que l'analyse était beaucoup au service de la physique avant...) et que je suppose qu'à la fin du 18ième, le progrès technique devenait très visible aux yeux des décideurs.
  • Bonjour.

    Toujours dans mes souvenirs (donc à contrôler), il me semble que l'exigence de rigueur, qui apparaît à l'époque de la révolution française avec Laplace, Cauchy, Gauss, ... précède la professionnalisation des savants, qui démarre vers 1850 dans les universités allemandes, vite suivies par les universités de l’Europe entière. Auparavant, les savants étaient enseignants, ou pensionnés, ou riches.
    Quant à la notion de mathématicien "pur", je crains que ce ne soit qu'une création tardive du vingtième siècle, les mathématiciens du dix-neuvième siècle s'intéressant systématiquement à la mécanique rationnelle, à la théorie de la chaleur, etc. Et pour la plupart des grands mathématiciens du début du vingtième siècle (*), je connais des travaux de physique théorique. A l'exception des logiciens (Russel, Gödel, ..) et de Hardy.

    Cordialement.

    (*) C'est le cas pour Hilbert, Emmy Noether, Poincaré, Lorentz, Kolmogoroff, Borel, entre autres.
  • Bonjour Titi le curieux

    J'ajoute un commentaire à ce qu'a écrit Gérard (que je salue au passage). D'après les notes historiques de Bourbaki, Cauchy a admis que les suites dont la différence de deux termes devient aussi petite que l'on veut en valeur absolue pour un couple d'entiers suffisamment grand est une suite convergente. Quant aux Grecs, il faut être prudent car ils ne manipulaient pas des nombres mais des grandeurs et des rapports de grandeurs ; par exemple les cercles sont des grandeurs chez Euclide ce qui lui permet d'énoncer : "Deux cercles sont entre eux comme les carrés construits sur leur diamètre".

    Bruno
  • Salut Bruno !

    Effectivement, ce que je disais des grecs concernait surtout les questions de tangentes (avec la dérivée) et d'aire (avec les intégrales). C'est d'ailleurs la raison qui fait que Newton, dans ses "Principes mathématiques de la philosophie naturelle" n'utilise jamais les dérivées, redémontrant "à l'ancienne" ce qu'il a trouvé autrement.

    Cordialement.
  • Bonjour,
    Merci! Ok pour la professionnalisation tardive, je pensais à une conséquence directe et rapide de la révolution industrielle anglaise. En ce qui concerne les grecs, je pensais à ces histoires de racine carrée sans trop m'intéresser à la géométrie qui les intéressait et si j'ai une vague idée, en tout cas pour ce qui concerne l'intégrale, de ce qui se faisait à l'époque d'Archimède, j'ignorais que ça avait tant influencé Newton (il me semblait qu'il a eu des idées étranges concernant la dérivée et qu'il y a plus ou moins eu un débat avec Leibniz, qui avait des idées plus proches de ce qui s'est imposé plus tard). Je croyais que la construction par les suites de Cauchy venait de Cauchy, du coup je suis allé me renseigner un peu et je viens de constater que finalement, les constructions ont commencé à apparaître à une époque très précise (à partir de la fin des années 1860). Les allemands ont eu une bonne idée en se professionnalisant!

    Merci encore
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