Propriétés sporadiques

Bonjour,
Disons d'une propriété qu'elle est sporadique si elle n'est vérifiée que par un nombre fini d'objets. En soi, la notion n'est pas trés intéressante parce que l'on peut toujours construire une propriété sporadique en définissant "$p(x):= (x=271)$ ou $(x=\mathbb N)$ ou $(x=\exp)$ ou ... ".
Toutefois, je m'intéresse à des exemples de propriétés sporadiques "naturelles": par exemple, il n'existe que $26$ groupes exceptionnels dans la classification des groupes finis simples, dont le plus gros, le monstre, a cardinalité $2^{46}.3^{20}.5^9.7^6.11^2.13^3.17.19.23.29.31.41. 47.59.71$ (pont d'exclamation!)
J'aimerais connaître d'autres exemples de telles propriétés.
Merci d'avance,

Réponses

  • Tu peux ajouter n'importe caractérisation d'un objet particulier. Par exemple, il n'existe qu'un seul espace topologique compact, sans point isolé et totalement discontinu (l'ensemble de Cantor), ou plus difficile, la sphère $\mathbb{S}^3$ est l'unique variété fermée de dimension trois qui soit simplement connexe.
  • C'est vrai. Mais j'attends plutôt des exemples de propriétés ayant peu d'exemples mais des exemples trés gros. C'est une question informelle de toute façon.
  • Quelle belle question (trop vaste pour moi) !

    Plutôt que de propriété sporadique, je parlerais plus volontiers d'objets sporadiques ou exceptionnels : quelques individus qui refusent de rentrer dans une liste normalisée.

    Par exemple, les polyèdres réguliers sont des objets « singuliers » (je mets des guillemets pour indiquer que ce n'est pas un terme mathématique, au contraire du « régulier » précédent) mais parmi eux, le tétraèdre, le cube et l'octaèdre sont « moins singuliers » parce qu'il en existe des versions en toute dimension. En dimension $4$, il existe des polytopes réguliers qui ne rentrent pas naturellement dans une liste infinie, comme l'icosaèdre et le dodécaèdre, mais pas au-delà.

    Le groupe symétrique $\mathfrak{S}_6$ est un objet exceptionnel car il admet des automorphismes non intérieurs, ce qui le rend unique parmi les groupes symétriques (non résolubles). C'est rendu possible par une coïncidence numérique, à savoir $\binom{6}{2}=\frac{1}{3!}\binom{6}{2}\binom{4}{2}$, par laquelle deux classes de conjugaison d'involutions ont le même cardinal (les transpositions et les triples-transpositions), que les automorphismes exceptionnels permutent.

    Le corps des quaternions est un objet exceptionnel. Il est contenu dans l'algèbre des octonions, dont la géométrie donne lieu à un groupe de Lie bien particulier, $G_2$. Jacques Tits a construit une machine à produire des exceptions, la trialité (pas bien expliquée dans le lien).

    Dans la classification des groupes de Lie compacts, il y a $\R/\Z$ et quatre séries infinies correspondant aux groupes classiques ($\mathrm{SU}_n(\C)$, $\mathrm{SO}_{2n+1}(\R)$, $\mathrm{Sp}(n)$, $\mathrm{SO}_{2n}(\R)$) et cinq groupes exceptionnels (types $G_2$, $F_4$, $E_6$, $E_7$, $E_8$).

    La théorie des réseaux (ici : sous-groupes discrets d'un espace vectoriel réel) donne lieu à des structures exceptionnelles comme le réseau de Leech.

    Un système de Steiner $S(r,k,n)$ est une « géométrie finie » : c'est la donnée d'un ensemble de cardinal $n$ et une famille de parties appelées « blocs », toutes de cardinal $k$, tels que $r$ blocs quelconques aient un unique point d'intersection. Par exemple, étant donné un corps fini $\mathbf{F}_q$, les droites affines de $\mathbf{F}_q^2$ forment les blocs d'un $S(2,q,q^2)$ appelé plan affine fini. Sur l'ensemble des droites vectorielles de $\mathbf{F}_q^3$, chaque plan vectoriel définit un bloc, les droites qu'il contient, ce qui forme un $S(2,q+1,q^2+q+1)$ appelé plan projectif fini : le jeu de Dobble est de ce type ($q=7$ ; il manque deux cartes). Il y a parmi les systèmes de Steiner des objets exceptionnels, tels « le » $S(5,6,12)$, dont les groupes d'automorphismes sont d'ailleurs volontiers des groupes simples sporadiques. Les systèmes de Steiner permettent de construire des réseaux, je ne sais pas trop comment et sont associés à la théorie des codes, dans laquelle on trouve également des objets exceptionnels.

    Trouver des surfaces avec un grand groupe d'automorphismes, c'est aussi exhiber des objets exceptionnels. La quartique de Klein a le plus gros groupe d'automorphismes parmi les surfaces de Riemann de genre $3$, il a pour ordre $168$.

    On peut aussi jouer au jeu des isomorphismes exceptionnels entre groupes ou algèbres de Lie (exceptionnels ou pas). Par exemple, il n'est « pas normal » que $\mathfrak{SO}_5(\C)\simeq\mathfrak{Sp}_{4}(\C)$ : c'est que les diagrammes de Dynkin $B_2$ et $C_2$ sont en fait indiscernables. On peut injecter l'algèbre de Lie de type $G_2$ dans celle de type $D_4$ (phénomène de trialité), etc.
    Avec des groupes finis, c'est sans doute plus parlant : $\mathrm{PSL}_2(\mathbf{F}_3)\simeq\mathrm{PSL}_2(\mathrm{F}_7)$ ; $\mathrm{PSL}_2(\mathbf{F}_5)\simeq \mathfrak{S}_5\simeq\mathrm{PSL}_2(\mathbf{F}_4)$, etc.
  • Merci pour ta réponse! Je ne comprends pas tout, mais j'aime particulièrement l'exemple des polyèdres: je ne m'étais jamais posé la question des polyèdres réguliers en dimension supèrieure! Ça me rapelle ce phénomène quelque peu étonnat que le $n$-volume de la $n$-boule unité commence par augmenter avec $n$, est maximal pour $n=5$, puis tend vers zéro...
  • Moui, pas vraiment à mon avis. Le volume des boules unités tend vers $0$, il se trouve qu'il n'est pas décroissant depuis le début mais ça monte un peu avant de descendre : c'est presque aussi simple que ça pourrait être.

    C'est plutôt un principe général de la topologie de basse dimension qui est en jeu : en petite dimension, il n'y a pas assez de place pour faire quoi que ce soit ; en grande dimension, il y a assez de place pour tout trivialiser.

    Par exemple, la théorie des nœuds (étudier à déformation près les plongements d'un cercle dans un espace de dimension donnée) n'a de sens qu'en dimension $3$ : en dimension $1$, il n'y a pas de plongement, en dimension $2$ il n'y en a qu'un parce qu'on ne peut pas compliquer le plongement sans faire de croisement ; en dimension $\ge4$ il n'y en a qu'un parce qu'on peut tout dénouer.

    De même, la conjecture de Poincaré peut se formuler en toute dimension : elle a été démontrée en dimension $5$, $6$ et $\ge7$ au début des années soixante, en dimension $4$ en 1982 et en dimension $3$ vers 2002.

    Dans les deux cas, on pourrait presque dire que c'est « la dimension $3$ » l'objet singulier. Enfin, sauf que ça n'a pas de sens...
  • Mon intuition (naïve) des objets sporadique est justement qu'en "petite" dimension/cardinalité il se passe des choses qui dès qu'on a suffisament "d'espace" ne peuvent plus se produire, mais que "petite" peut devenir très grande quand la structure combinatoire impliquée est complexe.
  • Je dirais volontiers ce genre de choses – mais je suis à peu près aussi naïf en la matière.
  • Le retournement de la $n$-sphère plongée dans $\R^{n+1}$ est possible si et seulement si $n \in \{0, 2, 6\}$.
  • Dans le même esprit, les seules sphères parallélisables sont $S^0$, $S^1$, $S^3$ et $S^7$.

    La partie facile, c'est de montrer que celles-ci le sont. C'est dû à l'existence des structures exceptionnelles d'algèbre à division réelle en dimensions $1$, $2$, $4$ et $8$ que sont $\R$, $\C$, $\mathbf{H}$, $\mathbf{O}$. La partie difficile du résultat semble due à Bott-Milnor (1958), précisée par Adams (1962).
  • Si je comprends bien ce post c'est plus que dans le même esprit, c'en est l'explication.
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