Existence des mesures de Haar par H. Cartan

Bonjour.

Dans son article Sur la mesure de Haar, Henri Cartan démontre l'existence des mesures de Haar avec un théorème d'approximation. Celui-ci dépend d'un lemme que Cartan donne sans preuve. Il nous dit en bas de page, que l'on pourra trouver une démonstration dans un livre d'André Weil, sauf que Weil n'y démontre pas exactement le lemme de Cartan.

Voici le lemme en question :

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Dans l'article
  • $G$ désigne un groupe topologique séparé localement compact.
  • $\mathcal C$ est la famille des fonctions continues à support compact sur $G$, positives et non-identiquement nulles.
  • $\mathcal F_U$ est la famille des éléments de $\mathcal C$ supportés dans l'ouvert $U$.
  • Les nombres de recouvrement de Haar sont définis par
    $$ (f:\phi) = \inf\bigg\{ \sum_i c_i : c_i \ge 0, s_i \in G \text{ en nombre fini tels que } f(x) \le \sum_i c_i \phi(s_i^{-1} x) \text{ pour tout $x\in G$}\bigg\} $$
  • La fonctionnelle $I_\phi$ est définie par $I_\phi(f) = (f:\phi) / (f_0 : \phi)$ où $f_0 \in \mathcal C$ est donnée à l'avance.

Le résultat que démontre André Weil, dans L'intégration sur les groupes topologiques et ses applications n'est pas tout à fait ce qu'annonce Cartan, car grosso-modo Weil le démontre uniquement pour des $\lambda_i = 1$. Autrement-dit il démontre que $I_\phi$ est « presque » additive quand le support de $\phi$ se rapproche du singleton $\{1\}$, mais l'approximation n'est pas uniforme en les $\lambda_i \le \Lambda$ (a priori).

Comme j'étais désespéré, j'ai cherché une autre preuve du théorème d'approximation de Cartan. Dans le livre The Joys of Haar Measure j'ai eu le plaisir de lire une preuve « fausse » car l'auteur inverse l'ordre des quantificateurs. Plus précisément :
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et l'auteur utilise le lemme version « non uniforme en $\lambda_i$ »

1632489010-joys-0.png

Ses constantes $c_i$ dépendent de $\psi$ qui lui-même dépend de $g$... alors que ce que l'on veut c'est :
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Il y a sûrement moyen de tronquer les coefficients de manière uniforme pour utiliser la presque additivité, mais quand j'ai essayé de rédiger ça, j'ai eu assez mal à la tête... (:D


Mais du coup, je ne vois toujours pas comment démontrer le lemme de Cartan. J'ai pensé à quelque chose, mais je ne sais pas si c'est vrai.

On se donne $\delta > 0$ et $g$ dans $\mathcal C$ qui vaut $1$ au voisinage de $\cup_i \operatorname{supp} f_i$.
Est-ce que les fonctions
$$ h_{i, \lambda_1,\ldots,\lambda_n}(x) = \frac{\lambda _i f_i(x)}{\delta g(x) +\sum_j \lambda_j f_j(x)} 1_{f_i(x)\neq 0} $$
sont uniformément continues, uniformément en les $\lambda_j \le \Lambda$ ? Au sens où on aurait pour tout $\varepsilon > 0$, un voisinage $U$ de l'unité tel que
$$ \forall \lambda_1,\ldots, \lambda_n \le \Lambda ~,~ \forall x,y \in G~~,~~ y^{-1}x\in U \Longrightarrow |h_{i, \lambda_1,\ldots,\lambda_n}(x) - h_{i, \lambda_1,\ldots,\lambda_n}(y)| \le \varepsilon$$

J'aimerais avoir un peu d'aide. Ça me rend fou de ne pas réussir à prouver ce fichu lemme, et de n'en trouver aucune démonstration nulle part. La preuve n'a pas du tout l'air évidente je trouve, c'est vache de la part de Cartan de nous laisser en plan comme ça. :(

Merci.

Réponses

  • C'est à cause de cet article que j'ai préféré le document de Jonathan Gleason qui démontre l'existence de la mesure de Haar. Gleason utilise l'axiome du choix, je ne sais pas si Cartan s'en sert, ni si ça change quelque chose pour toi.

    En tout cas, je n'avais pas relevé d'erreur dedans, et tout est explicité.
  • Cartan utilise implicitement l'axiome du choix dénombrable dépendant je pense, puisqu'on a du lemme d'Urysohn un peu partout.

    Je trouve quand même la preuve de Cartan assez simple (modulo le lemme que je n'arrive pas à montrer) et plus intuitive que celle avec le théorème de Tychonoff. On dit d'abord que $I_\phi$ est presque additive et avec le théorème d'approximation, on montre que $(I_\phi(f))_{\phi}$ est de Cauchy quand le support de $\phi$ se resserre autour de l'unité, donc par complétude la limite existe et on obtient à la fin une forme linéaire positive avec toutes les bonnes propriétés.
  • Je ne pense pas être capable de t'aider avec le lemme en question, cependant je suis intéressé par ce fil quand même.
  • Bon je pense tenir quelque chose. (:D

    On choisit $V$ un voisinage compact de l'unité qui contient les supports des $f_i$. On choisit une fonction $g \in \mathcal C$ qui vaut $1$ sur $V$.
    On considère le compact $K = V\cdot V$.

    Soit $\delta > 0$.

    Vues comme familles de $C(K)$, les
    $$ \mathcal H_i = \{ h_{i,\lambda} : \lambda \in [0,\Lambda]^n\} $$ sont compactes (ce sont des images continues du compact $[0,\Lambda]^n$) donc par Arzelà-Ascoli (le sens direct, qui ne nécessite aucunement l'axiome du choix par ailleurs, pas même DC) les $\mathcal H_i$ sont équicontinues. Comme $K$ est compact, on a même de l'équicontinuité uniforme pour la structure uniforme à gauche par exemple.

    Ainsi il existe un voisinage de l'unité $U$ symétrique, contenu dans $V$ tel que
    $$ \forall i, \forall \lambda \in [0,\Lambda]^n ~,~ \forall x,y\in K~,~ y^{-1}x \in U \Longrightarrow |h_{i,\lambda}(x)-h_{i,\lambda}(y)| \le \delta$$

    Maintenant, je fixe $\phi \in \mathcal F_U$ et $0\le \lambda_1,\ldots,\lambda_n \le \Lambda$. Supposons que $c_1,\ldots,c_m \ge 0$ et $s_1,\ldots,s_m \in G$ soient tels que
    $$ \forall x\in G ~,~ f(x) := \delta g + \sum_i \lambda_i f_i(x) \le \sum_j c_j \phi(s_j^{-1}x) $$ Étant donné $x$ dans le support de $f_i$ on a
    $$ \lambda_i f_i(x) = h_{i,\lambda}(x) f(x) \le \sum_j c_j \phi(s_j^{-1}x) h_{i,\lambda}(x) $$ Si $s_j^{-1}x \in U$, alors par symétrie de $U$ on a $s_j \in xU \subset K$ car $U, \operatorname{supp}f_i \subset V$ et $V \cdot V = K$ d'où $$ \phi(s_j^{-1}x)h_{i,\lambda}(x) \le \phi(s_j^{-1}x)(h_{i,\lambda}(s_j) + \delta) $$ L'inégalité reste vraie si $s_j^{-1}x\not \in U$ car $\operatorname{supp} \phi \subset U$. On en déduit alors que
    $$ \forall x\in G ~,~ \lambda_i f_i(x) \le \sum_j c_j (h_{i,\lambda}(s_j) + \delta) \phi(s_j^{-1}x) $$
    Donc par définition des nombres de Haar
    $$ \lambda_i (f_i : \phi) \le \sum_j c_j (h_{i,\lambda}(s_j) + \delta) $$
    Puis en sommant selon $i$
    $$ \sum_i \lambda_i (f_i : \phi) \le (1 + n\delta) \sum_j c_j $$
    car par construction $\sum_i h_{i,\lambda} = \frac{\sum_i \lambda_i f_i}{\lambda g + \sum_j \lambda_j f_j} 1_{V} \le 1$. Par suite
    $$ \sum_i \lambda_i (f_i : \phi) \le (1+n\delta)(f : \phi) \le (1+n\delta)\Big( \sum_i \lambda_i f_i : \phi\Big) + (1+n\delta)\delta (g : \phi) $$ En divisant par $(f_0 : \phi)$
    $$ \begin{split} \sum_i \lambda_i I_\phi(f_i) &\le I_\phi\Big( \sum_i \lambda_i f_i \Big) + n\Lambda\delta I_\phi(f_1 + \cdots + f_n) + \delta(1+n\delta) I_\phi(g ) \\
    &\le I_\phi\Big( \sum_i \lambda_i f_i \Big) + n\Lambda\delta (f_1 + \cdots + f_n : f_0) + \delta(1+n\delta) (g : f_0 )
    \end{split}$$

    Ainsi en choisissant un $\delta$ assez petit pour que
    $$ n\Lambda\delta (f_1 + \cdots + f_n : f_0) + \delta(1+n\delta) (g : f_0 ) < \varepsilon $$ ça prouve le lemme si je n'ai pas fait d'érreur. :-)

    Corrigez-moi si je me trompe !
  • Les membres de Bourbaki supposaient toujours l'axiome du choix général (celui-ci est entraîné par l'emploi du symbole tau de Hilbert dans leur formalisme ainsi que le schéma de sélection-réunion).
    Une fonction est un ensemble $f$ de couples tel que pour tous $x,y,z$, si $(x,y)\in f$ et $(x,z)\in f$ alors $y = z$.
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