Tirage aléatoire de fonctions réelles

Bonjour,

Je me pose la question d'équiper l'espace des fonctions réelles d'une mesure de probabilité qui serait l'analogue de la loi uniforme. Je m'intéresse aux fonctions réelles régulières à support compact, par exemple des éléments de $C^0([0,1], \mathbb{R})$ ou $C^\infty([0,1], \mathbb{R})$.

Mon problème est que je n'arrive pas à formaliser de construction (en particulier, quel serait l'analogue des intervalles $[a,b]$ qui servent à construire la mesure de Lebesgue ?).

Ma question est donc : comment tirer de manière "uniforme" des fonctions réelles de $C^0$ ou $C^\infty$ ? Je connais par exemple la mesure de Wiener mais, intuitivement, on a du mal à croire qu'elle permette vraiment d'explorer $C^0$...

Merci par avance

Réponses

  • C'est pourtant bien la mesure de Wiener qui est en général considérée comme la bonne mesure "naturelle" sur ce genre d'espace. Pourquoi est-ce que tu ne l'apprécies pas ?
  • Sauf erreur, la mesure de Wiener assigne un poids de zéro à $C^k$ pour $k\geq 1$, donc elle répond seulement à la question pour $k=0$. Si on passe sur ce point, mon intuition était que le mouvement brownien est assez "remarquable" : par exemple, cela signifie qu'on ne tire jamais de fonctions positives, ou même monotones.
  • Pour la mesure de Lebesgue sur $[-1, 1]^{\mathbb N}$, tirer une suite positive se produit avec probabilité $0$, ça ne me choque donc pas.

    Pour la question de $\mathcal C^k$ pour $k \geq 1$, j'avoue que je n'y connais pas grand-chose.
  • @zazou : Il faut que tu précises beaucoup plus ta demande !

    1) La mesure de Wiener ne te semble peut-être pas naturelle, mais elle semble naturelle à d'autres :-D
    2) Elle donne poids zéro aux fonctions $C^1$, certes ; mais la mesure de Lebesgue donne mesure $0$ aux nombres algébriques !
    2bis) Est-ce que toi (ou moi, d'ailleurs) avons assez d'imagination pour explorer $C^0$ ? Est-ce que notre intuition n'est pas limitée par le fait que les fonctions que l'on a vues pendant notre apprentissage des mathématiques sont très, très particulières ?
    3) Qu'appelles-tu "mesure uniforme" ? Une des généralisations de la mesure de Lebesgue est la mesure de Haar sur un groupe topologique : c'est une mesure qui est invariante par les translations du groupe. Un théorème de Weil dit qu'une telle mesure (non nulle) n'existe que, "moralement", sur les groupes localements compacts (je n'ai jamais pris le temps d'essayer de comprendre l'énoncé exact). En tout cas, cela exclut les espaces normés de dimension infinie (qui ne sont jamais localement compacts d'après le théorème de Riesz). Il y a un truc qui s'appelle la "gaussian measure" sur des espaces de Hilbert, mais je ne sais pas exactement ce que c'est.
    4) Pourquoi ne pas choisir, disons, une base hilbertienne qui te plaise, et choisir les coefficients de manière aléatoire, tout en leur imposant une condition de décroissance suffisamment rapide pour que les séries associées soient lisses ?
    5) Que veut dire "uniforme" ? Pour moi, le mot "uniforme" veut dire "invariant par une certaine symétrie". Est-ce que cette définition te va ? Si oui, quelles symétries aimes-tu (attention, voir 3)) ? Sinon, que préférerais-tu ?
  • Y a-t-il un analogue de la mesure de Hausdorff sur $\mathcal C^k$ induite par la mesure de Wiener sur $\mathcal C^0$ ?
  • @Georges Abitbol: Merci beaucoup pour ta réponse, d'autant plus que j'ai conscience que la question n'est pas très précise.

    C'est le problème suivant qui m'a poussé à poser cette question (mais c'est seulement un point de départ) : étant donné un vecteur aléatoire $X$ et une variable aléatoire réelle $Y$, on s'intéresse à $h(x)=\mathbb{E}[Y|X=x]$. La question est de savoir si $h$ est proche (au sens de $\delta(f,g):=\mathbb{E}[(f(x)-g(x))^2]$) de fonctions $f$ sympathiques. De là l'envie de définir une manière d'explorer des espaces où $f$ pourrait vivre.

    3) et 5). Dans ce contexte, une interprétation triviale de "uniforme" serait de se restreindre à des fonctions $f_\theta$ où $\theta\in\Theta$ avec $\Theta$ compact, auquel cas on peut simplement prendre une loi uniforme classique. En fait, par "uniforme", je voulais simplement traduire l'idée qu'on n'a pas d'a priori sur la forme fonctionnelle. Merci également pour les éléments de 3), il faut que je regarde ça de plus près.

    4). Je n'y avais simplement pas pensé... c'est une bonne idée!
  • @zazou : Attention, sur un espace compact quelconque, "uniforme" ne veut rien dire non plus.

    Quant à cette affaire de "uniforme = pas d'a priori", ben... justement, je pense que c'est trop vague et qu'il faut chercher plus loin. C'est un truc où j'ai mis du temps à comprendre que c'était profond, et je n'ai pas tout à fait la réponse.

    Quand je dis que "uniforme" c'est "invariant par des symétries", c'est l'idée suivante : je considère l'univers des possibles, qui est un ensemble, et je le considère muni de symétries, qui sont censées refléter ce que j'attends de cet univers, sous la forme "si je bouge ça comme ça, je n'ai, en quelque sorte, rien changé".
    Si tu choisis de penser à une mesure de probabilité comme une "répartition d'incertitude", alors "probabilité uniforme" prend le sens du slogan suivant :

    je dis que mon ignorance est uniforme, si, lorsqu'une chose m'est inconnue, et que quelqu'un la transforme de telle façon, alors, même si je sais quelle est cette transformation, mon incertitude reste la même, et c'est comme si la transformation n'avait pas eu lieu.

    Avec un paquet de cartes, ça se comprend bien : si je sais qu'une carte est parmi les vingt-six premières, que je modélise ça par "mesure uniforme sur $\{1,\cdots,26\}$", alors, pour certains mélanges (par exemple, une coupe au milieu du jeu), mon incertitude se trouve complètement changée (puisque la mesure de probabilité image est la mesure uniforme sur $\{27,\cdots,52\}$). Et en fait, la mesure uniforme sur $\{1,\cdots,52\}$ est la seule qui ne bouge pas, peu importe par quelle permutation on la pousse en avant.

    Pareil pour "pile ou face" : on considère que, pour une pièce non biaisée, le fait d'échanger les noms "pile" et "face" ne devrait rien changer aux gains du jeu : c'est encore une invariance par symétrie.

    Bref, je crois que c'est "philosophiquement" intéressant de sonder un peu ce qu'on entend derrière le mot "uniforme".
  • @Georges Abitbol : Effectivement, j'ajoute donc $\Theta\subset\mathbb{R}^N$.

    Encore merci pour tes réponses détaillées. En fait, je crois que j'ai confusément appliqué l'idée de distributions a priori impropres comme intuition de "loi uniforme". Je n'avais jamais pensé à la loi uniforme comme étant invariante à certaines transformations, mais c'est très clair si on pense à une translation de loi uniforme sur un intervalle.
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